lundi 16 septembre 2019

VERDUN, DES ANNÉES PLUS TARD

VERDUN, DES ANNÉES PLUS TARD


Version française – VERDUN, DES ANNÉES PLUS TARD – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Verdun, viele Jahre späterErich Kästner – 1932
Texte d’Erich Kästner, dans son recueil "Gesang zwischen den Stühlen"
Musi
que de Lee Bach, cantautrice franco-allemande, née à Cuxhaven en 1947.
De son album "Wie ein Vogel frei", 1980.




Dialogue maïeutique


C’était, souviens-toi, Lucien l’âne mon ami, il y a une centaine d’années ou un peu plus. Le silence s’appesantissait sur les champs de Lorraine et sur les hauteurs de la Meuse. Provisoirement, les canons s’étaient tus. Une décade plus tard, Le silence était toujours là et le souvenir aussi.

Oui, dit Lucien l’âne, de tout ça, je me souviens comme tout le monde qui entend le nom « Verdun ». Je suppose que la chanson aussi.

Effectivement, répond Marco Valdo M.I., tout le monde et tu fais bien de dire ainsi. Car dans nos régions de langue française, quand on entend Verdun, on pense à l’abomination et en même temps, à des centaines de milliers de morts en uniforme bleu. On n’imagine pas un instant – quand je dis « on », ça veut dire « la plupart des gens », car il y a des exceptions – que le même nom suscite dans les pays de langue allemande la même sensation. Et pourtant, finalement, les cadavres ne portent pas d’uniformes ; je parle des cadavres en tenue de squelettes. Par exemple, ces cent mille ex-vivants conservés dans l’ossuaire de Douaumont.

À mon sens, dit Lucien l’âne, tous ces cimetières où s’alignent des tombes individuelles de gens morts en tas, tous ces monuments, tout cet art patriotico-tumulaire ne devraient tenir qu’en un seul, un seul immense mont pour tous les morts de toutes les guerres de tous les temps et qui grandirait au fur et à mesure des joutes humaines. Au moins, on pourrait se rendre compte nettement de l’ampleur du désastre. Surtout quand l’empilement dépassera en hauteur l’Everest et je ne sais quelle surface au sol. Cette montagne au-dessus de laquelle planeraient les vautours, se verrait de loin et finirait peut-être par imposer la paix des armes – au moins, de celles-là.

C’est un merveilleux projet, Lucien l’âne mon ami, mais je crains fort qu’il ne révulse les bonnes âmes. Et puis, comment le financer ? Qui serait chargé de ce grand œuvre, l’ONU ? Dans le fond, il n’y a qu’elle pour le faire, mais elle aurait du boulot – autre chose qu’un mur. Imagine qu’il faudrait rapatrier tous les ossements, tous les cadavres, tous les restes de toutes les guerres depuis que la guerre existe et tant qu’elle existerait. Ce serait le monument de la Guerre de Cent Mille Ans. Combien de camions, combien de trains, combien de navires chargés à ras bord d’os et de crânes faudra-t-il ? Et puis, où le faire ce grand monument fait de tant d’humanité ? En Afrique, pays des origines ? En Sibérie ou en Alaska, il conserverait mieux, du moins au sol. Sur une île de Polynésie, au Pôle ? Et lequel ? Ce serait quand même un lieu vivant, toujours en croissance, un fameux phare, un fameux symbole que ce « Tous réunis dans la mort ». Et il rencontrerait l’appel des morts rapporté par Erich Kästner dans la chanson :

« Chaque jour, le chœur des morts répète :
« Ayez une très bonne mémoire ! »

Oh, dit Lucien l’âne, la vie est macabre, c’est dans sa nature. Peu importe la façon dont on la termine, c’est toujours par la mort. Même nous, les ânes, on meurt ; c’est tout dire. En attendant, tissons le linceul de ce vieux monde macabre, mortel, mortifère, morticole et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Sur le champ de bataille de Verdun,
Les morts ne trouvent aucun repos.
Quotidiennement, là, de la terre sortent
Casques, crânes, carcasses et chaussures.
Sur le champ de bataille de Verdun
Courent des chrétiens armés de pelles,
Ils ramassent les côtes et les têtes
Et emportent les héros dans des boîtes.

Au-dessus dans l’ossuaire de Douaumont
Reposent douze mille morts sur le mont.
Et huit mille hommes attendent dans les boîtes,
Impuissants, des sépultures adéquates.
Sur le champ nettoyé le jour avant,
Gisent au matin dix nouveaux corps.
Et l’épouvante saisit le paysan.
On ne peut rien faire contre les morts.
Ce coin n’est pas un jardin,
Et certainement pas un jardin d’Éden.
Sur le champ de bataille de Verdun,
Les morts se lèvent et parlent.

Dans les maïs et les fleurs des champs,
Dans les sous-bois et les fougères,
Les mains surgissent de terre,
Pour avertir les vivants.
Sur le champ de bataille de Verdun,
Les cadavres poussent comme une récolte.
Chaque jour, le chœur des morts répète :
« Ayez une très bonne mémoire ! »