lundi 29 février 2016

MISS PROPAGANDE

MISS PROPAGANDE



Version française – MISS PROPAGANDE – Marco Valdo M.I. – 2016
d’après la version italienne – MISS PROPAGANDISS – Krzysiek Wrona – 2016
d’une
Chanson polonaise – Miss PropagandissBogdan Olewicz – 1983

Texte de Bogdan Olewicz et Zbigniew Hołdys
Musique de Zbigniew Hołdys







Miss Propagandiss est à l’évidence une chanson à clé, une chanson cryptée, même si elle a toutes les allures d’une chanson d’amour, comme Le Temps des Cerises , qui est elle aussi une chanson d’amour, rappelle la Commune de Paris. Cependant, cette déclaration d’amour à Miss Propagande est pure ironie, pour qui veut l’entendre, d’autant plus forte qu’elle est cachée, un peu rentrée comme une colère. Cela dit, quelques commentaires et pour commencer, la réponse à la question de Krzysiek qui demandait : « Je suis depuis toujours curieux de connaître la signification du texte dit en français en arrière-plan sonore. Selon l’indication qui figure sur le disque, ce sont des fragments d’articles du journal L’Humanité ». 

Ah !, dit Lucien l’âne en riant, je suis très curieux moi aussi et j’aimerais vraiment savoir ce que tu as à en dire ?


Rien qui va pouvoir satisfaire la curiosité de Krzysiek. Car, d’abord, je tiens pour acquis qu’il sait parfaitement bien que L’Humanité est le quotidien du P.C.F. et qu’en matière de propagande, il n’a pas grand-chose à apprendre des services polonais et que de mémoire, comme à peu près tous les organes des partis communistes, il avait bien du mal à s’en prendre aux régimes en place dans les pays du Pacte de Varsovie. Ce doit donc être une forme d’illustration de l’influence de Miss Propagande à l’étranger. De toute façon, la chose est difficile à contrôler, car, en fait, si on entend vaguement quelque chose en fond sonore, même à une oreille exercée comme celle d’un âne ou d’un locuteur français, rien de compréhensible ne ressort, ni même rien qui laisse penser que ce serait du français. Cela dit, l’idée de lire des extraits de L’Humanité comme illustration de Miss Propagandiss ne manque certainement pas de pertinence. Une autre hypothèse pousserait à se demander si le but recherché n’est pas de démontrer que ce quelque chose de ce que dit l’humanité (de ce que disaient les gens d’ailleurs à propos de ce que subissaient les Polonais) est couvert par le tintamarre de Miss Propagandiss.


Ce serait alors une excellente démonstration, car en fait, on ne comprend rien de ce brouhaha, dit Lucien l’âne. Mais tu parlais de quelques commentaires. De quoi s’agit-il ?


Eh bien, cette Miss Propagandiss, Miss Propagande, Madame Propagande m’en évoque d’autres. Ainsi Léo Ferré s’en était pris quant à lui à la guerre en la nommant Miss Guéguerre  ou à la misère avec Madame la misère . Voilà pour le Miss PropagandeFraulein Propaganda – Madame la Propagande – Soeur Évangélise.


Que voilà d’intéressantes personnes, que je me garderais bien de fréquenter, tout âne que je suis, dit Lucien l'âne en grattant le sol de son joli sabot noir.


Et tu aurais mille fois raison, car la guerre et la misère sont d’effroyables rencontres, mais elles ont pour elles leur évidence, j’allais dire leur franchise. Ce n’est pas le cas de Miss Propagande, qui elle est des plus insidieuses ; tellement menteuse, sournoise, retorse que si pour séduire les peuples, elle est propagande ; pour séduire les croyants, elle se nomme évangélisation et pour séduire les gens, elle se pare du joli nom de publicité. En réalité, c’est la même chose. C’est une fameuse hétaïre, une mercenaire de la communication qui sert celui qui a le pouvoir ; le pouvoir ou l’argent, ce qui est la même chose. Madame Propagande est une guerrière, une technicienne de la guerre, c’est une arme des plus efficaces dans la Guerre de Cent Mille Ans où elle s’inscrit résolument dans le camp des riches et des puissants.


Écoutons-la quand même cette chanson et reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde propagandiste, publicitaire, télévisuel, radiophonique, communiquant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Tu me fatigues !
Va coucher !
Laisse-moi rêver,
Je veux vivre.

Mais qu’en sais-tu, toi ?
Fais comme il te semble.
J’en ai marre.
Je veux rester seul, moi.

Laisse-moi,

Je te prie.
Tu le sais quoi
Que je t’aime…

dimanche 28 février 2016

NOTRE MOHAND

NOTRE MOHAND


Version française – NOTRE MOHAND – Marco Valdo M.I. – 2016
d’après la version italienne de Vermondo Brugnatelli d’une
Chanson kabyle – Muḥend-nneɣ – Idir 1979
D’après le poème Isitiden ("Les saints") de Ben-Mohamed
Musique et interprétation: Idir (https://fr.wikipedia.org/wiki/Idir)
Texte : Ben-Mohamed



Aucun problème de « partialité » pour notre site : si nous insérons cette chanson dans l’« Antiwar Anticléricales », parcours où elle doit se trouver, il nous faut préciser que la chose ne se limite pas et ne peut pas se limiter à l’église catholique ou aux églises chrétiennes. Les élucubrations et les infamies religieuses, porteuses de guerre, n’ont pas différences entre leur dieux, leurs saints, leurs idoles. [RV]

« Si de nos jours l’attention d’Idir est tournée surtout
vers les questions de l’identité et à la recherche d’une cohabitation parmi des cultures différentes, tandis qu’elle est marquée (mais pas certes totalement) par la veine « contestatrice » et de dénonciation des maux de la société algérienne ; dans les premiers temps de son activité, on trouvait une considérable charge de contestation des valeurs traditionnelles considérées comme des entraves au développement d’une société moderne.

La chanson muḥend-Nneɣ (« notre Mohand ») en est un exemple, chanson où il reprend un texte de Ben Mohamed dans lequel, en imitant la forme traditionnelle de l’adekker en honneur des saints de village, on dénonce le danger et l’inutilité de ces cultes populaires qui poussent les gens à des attitudes de passive résignation en attente de quelque miracle. »
Vermondo Brugnatelli, La canzone cabila
(La chanson kabyle)

NOTRE MOHAND

Notre Mohand est un surhomme :
Il a égorgé un boeuf et l’a ressuscité,
Les anges le considèrent comme un saint
Qui lui désobéit, il le paralyse.
Mais où était ce surhomme
Quand l’ennemi est arrivé ?
Tout le pays se plaint,
« Ô saints, faites disparaître notre malchance »
Peut-être son pouvoir magique s’est-il envolé
Quand il a commencé à pleuvoir des balles.

Notre Mohand est un surhomme
Un mot de lui et les montagnes s’agenouillent
Il a débarassé les obstacles à la vue
Afin que les fidèles puissent voir La Mecque
Mais où est le surhomme
Quand les mères ont pleuré
Celui-ci était frappé, celui-là exilé
Celui-ci a fui, celui-là est sous terre
Même le cheikh du village est tombé
La crue l’a emporté.

Glisse, va, fous le camp
Dégage avec tes emmerdements.

LES SAINTS
Version française – LES SAINTS – Marco Valdo M.I. – 2016
d’après La version italienne de Vermondo Brugnatelli de
Isitiden – poème de Ben-Mohamed, dont est tirée la chanson d’Idir.


Sidi Yahia Lâidali
A égorgé un bœuf et l’a ressuscité,
Les anges le considèrent comme un saint
Qui lui désobéit, il le paralyse.
Mais où était-il Lâidali
Quand est arrivé l’ennemi ?
Tout le pays se plaint,
« Ô saints, faites disparaître notre malchance »
Peut-être son pouvoir magique s’est-il envolé
Quand il a commencé à pleuvoir des balles.


Ô Sidi Touati Ahwayli
Un mot de lui et les montagnes s’agenouillent
Il a débarrassé les obstacles à la vue
Afin que les fidèles puissent voir La Mecque
Mais où est le surhomme Ahwayli
Quand le peuple était enchaîné ?
Elle ne lui plaît peut-être pas la liberté
Il fuit l’odeur de la poudre
Il s’est calfeutré à l’ombre de l’ermitage
Dans son refuge, il revigore ses forces.


Soi-disant saint des Miracles
Accumula un tas de peaux
Et de chacune sortit un chevreau
Qui s’en alla à pied
Là où était le saint des miracles
Quand pleuraient les mères
Celui-ci était frappé, celui-là exilé
Celui-ci fuit, celui-là sous terre
Il s’est retiré là-bas en son sanctuaire
Et la crue l’a emporté. 

samedi 27 février 2016

LETTRE À MON FILS (SI…)

LETTRE À MON FILS (SI…)


Version française – LETTRE À MON FILS (SI...) – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – Lettera al figlio (Se)Massimo Priviero – 2010

Librement inspirée du poème If de Kipling


Si tu es vrai parmi ceux qui ne le sont pas,
Si le vent des routes est celui que tu veux,
Si tu sais regarder dans les yeux,





Voici donc, Lucien l’âne mon ami, une chanson de Massimo Priviero dont je viens de faire une version en langue française. Cependant, je vais commencer par te parler un peu d’un texte inséré en annexe à cette chanson, un très étonnant « BRÉVIAIRE POUR LAÏCS » ; étonnant à plus d’un titre. D’abord, par son auteur Antonio GRAMSCI, dont on ne s’attendrait pas à ce qu’il traduise Rudyard Kipling, que George Orwell définissait comme « prophet of British Imperialism » ; un prophète de l’impérialisme, c’est tout dire, quand on pense au méridionalisme de Gramsci. Ensuite, un « BRÉVIAIRE POUR LAÏCS » est en soi une chose inattendue…


C’est en effet étonnant dans ce nid de papes, de cardinaux, d’archevêques, d’évêques, de frères, de moines, de sœurs, de nonnettes, etc. 


Évidemment, on comprend mal aujourd’hui, mais cela s’explique par le moment où Gramsci écrit ce bréviaire, cet abrégé de doctrine. On était en 1916 et malgré la guerre, l’Italie était encore un État laïque, c’est-à-dire un pays adulte qui avait débarrassé le domaine public des religieux. Ce n’est plus le cas à présent depuis que le fascisme a réinstallé l’Église au milieu du village et pire encore, de l’école.


Ah, Brecht avait raison, dit Lucien l’âne en dressant les pils de l’échine. Le ventre est encore fécond où se reproduit la chose immonde.


Pourtant, quand j’avais choisi de traduire cette « Lettera al figlio » de Massimo Priviero ou plus sommairement intitulée « Se... » (Si…), j’ignorais tout de son importance et où elle allait m’emmener.


C’est souvent le cas des chansons qu’on rencontre ici et qu’on découvre. J’ajouterais « forcément », car ton inculture est immense, presque comme la mienne.


Certes, mais cette chanson-ci est ornée d’appendices non négligeables ; ce qui en accroît la taille et la complexité. Je m’en vais m’en expliquer à l’instant, car je vois bien ton œil qui vibre d’interrogation.


Bien sûr que je suis tout tremblant d’interrogation après un tel préambule. J’en suis tout coi. Alors, sans attendre, dis-moi quoi.


A priori, comme je t’ai dit, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. Ce n’est qu’en avançant que je me suis aperçu de l’ampleur de cet ensemble qui m’a conduit à toute une série de découvertes et de traductions supplémentaires. En résumé, il y a :
La « Lettera al figlio » de Massimo Priviero et sa version française que j’ai établie ;

le poème de Rudyard Kipling « If » (Si... ) – 1910, dont existent un certain nombre de versions interprétées par divers chanteurs et groupes ;

une version italienne de ce texte de Kipling par Antonio Gramsci : Se-Breviario per Laici di Rudyard Kipling (1916) et ma version française du BRÉVIAIRE POUR LAÏQUES;

une chanson française de Bernard Lavilliers, intitulée sobrement « IF... », dont le texte est celui de la version française d’André Maurois (1918), ainsi qu’une série d’autres versions françaises [http://www.crescenzo.nom.fr/kipling.html] ;

ensuite, un très remarquable ANTI-KIPLING du poète brésilien Domingos Carvalho da Silva (1915-2004) et la version italienne de Ruggiero Jacobbi (1973), dont je me suis fait un devoir et un plaisir de faire une version française, sans en changer le titre.


Fort bien, dit Lucien l’âne en ouvrant des yeux de hibou pour marquer son ébahissement. Et sur le fond ?


Oh ! Il y aurait beaucoup à dire. En premier lieu, il faudrait parler de la parenté de cette chanson avec les chansons de Georges Brassens « La mauvaise herbe» et « La mauvaise réputation  » et aussi, de situer ses origines philosophiques, avant la colonisation judéo-chrétienne de l’Europe, quelque part en Grèce du côté d’Épicure ou de Diogène. Pour nos derniers siècles, j’y verrais assez bien une parenté avec le courant anarchiste ou libertaire, sans doute d’un anarchisme bien tempéré…


Un bémol cependant, dit Lucien l’âne en souriant. Une lettre au fils, c’est bien, mais que fait-on des filles ?


Pour les filles, on indiquera d’autres chansons d’initiation à la vie. Je renverrais volontiers à Boris Vian qui disait : « Ne vous mariez pas les filles ![[48856]] » et à Brassens encore qui suggérait : « Embrasse-les tous ! » et « La Chansonnette à celle qui reste pucelle », qu’il nous faudra insérer ici un de ces jours.


Bien, bien, dit Lucien l’âne un peu effaré. Laissons mûrir cette mauvaise herbe…


Halte ! Lucien l’âne mon ami, je t’arrête là avant que tu ne conclues à ton habitude, il me plaît de signaler aussi – c’est indispensable ! – une autre chanson italienne au titre similaire ; c’est la « Lettera al figlio » de notre ami Germano Bonaveri, dont j’avais fait une version française, il y a déjà quelques années. Enfin, reprenons notre tâche et tissons, tissons le linceul de ce vieux monde trop riche, trop affairiste, trop sombre, trop envahissant et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Si tu es vrai parmi ceux qui ne le sont pas,
Si le vent des routes est celui que tu veux,
Si tu sais regarder dans les yeux,
Celui qui a visé ton front et lui dire « je suis là »,
Si tu trouves le cœur du temps passé,
Si tu cherches en vain ta vérité,
Le monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon fils.

Si tu te tiens à l’écart des mafias et des héros
Si tu partages ton meilleur pain,
Si les joies et les peines de ton destin
Ne régissent pas ton existence
Si tu perds tout, tout ce que tu tiens
Mais pas ta voix qui dit « Résistance ! »
Le monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon fils.

Si tu sais jouer parmi ceux qui ne savent pas
Si tu comptes pour rien qui te maudit
Si ce n’est pas le succès que tu poursuis
Mais la couleur des caresses que tu feras.
Si tu sais mourir aux côtés de tes amis en souriant
Si tu recherches l’innocence à chaque instant
Le monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon fils.

Si tu penses que tout chemin à chaque pas de chaque pied
A besoin de lumière, de paix et de liberté,
Si l’or que tu vois et que tu n’auras pas
Est sans intérêt pour jauger ce que tu seras
Si tu sais danser avec les mendiants et les rois
Et ne changes rien à ce qui compte pour toi 
Le monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon fils.
Le monde que tu vois sera un jour à toi et tu seras un homme doux, mon fils.




« SI » – BRÉVIAIRE POUR LAÏCS

Version française de la traduction d’Antonio Gramsci (17/12/1916) - « SI » – BRÉVIAIRE POUR LAÏCS – Marco Valdo M.I. – 2016



Si tu peux garder ton calme, quand tous ont perdu la tête et disent que c’est ta faute
Si tu es sûr de toi quand tous doutent et que tu comprends ces doutes
Si tu peux attendre, sans te lasser d’attendre
Si tu ne mens pas au milieu des mensonges
Ou, haï, tu ne te laisses pas emporter pa la haine, sans avoir l’air trop bon, ni trop sage
Si tu peux rêver sans être esclave de ton rêve,
Si succès ou désastre, tu traites ces deux imposteurs de même manière
Si tu peux entendre reprise la vérité que tu as émise, arrangée par des fourbes pour piéger des osts,
Si tu peux regarder les choses que tu as créées se détruire et si t’abaissant, tu les reconstruis avec tes mêmes instruments,
Si tu peux entasser tes gains, les risquer en un coup, jeter le dé, les perdre et recommencer tout du début, sans jamis dire un mot de ta défaite,
Si tu peux contraindre ton cœur, tes nerfs, tes muscles à servir, même après qu’ils se sont abîmés et tenir ferme, quand tu n’auras plus en toi que la volonté de dire à ce qui reste : tenez ferme,
Si tu peux parler aux multitudes en gardant ta vertu, et parler aux rois en gardant le sens commun,
Si un ennemi ne peut te blesser, ni même un ami,
Si tous les hommes ont une valeur pour toi, mais aucun n’en a trop,
Si tu arrives à remplir ta minute fatale de soixante secondes qui vaillent,
Alors, la terre est tienne et avec elle, tout ce qu’elle contient et ce qui importe plus encore, tu seras un homme, mon fils.



ANTI-KIPLING

Version française – ANTI-KIPLING – Marco Valdo M.I. – 2016
d’après la version italienne de RUGGERO JACOBBI
de l’Anti-Kipling du poète brésilien Domingos Carvalho da Silva (1915-2004).


Si, mon fils, tu croîs tordu comme
Croît le long de l’arbre tord la liane,
Ou tu t’engraisses dans la boue,
Comme la plante grasse dans la vase,
Contemple le bleu du ciel et pense,
Car le reste n’a aucune importance.

Aigle ou chacal tu seras.
Le monde admet tout et
Le soleil ne distingue pas
Entre les fleurs et le fumier.
Tu feras les péchés les plus pervertis
Je t’absoudrai. Rien n’avilit
Ou n’anoblit la vie.
La vérité et la vertu agonisent
Dans la même solitude funèbre
Où les vers et les rats
N’importent pas.

Avec Dieu, sans Dieu ou contre Dieu,
Tu te hérisseras dans un monde envieux
Agressé par les loups du bien, les agneaux de la guerre,
Les colombes du mal, les tigres de la bienveillance.

Tu aimeras celle qui un jour trahira ta confiance.
Tu te vengeras sur la femme de ton frère,
Sur ta propre sœur. Tu commettras encore
D’autres incestes de moindre importance.

Tu seras absent à toutes choses -
Cela importe nullement -
Et ton soleil sera brillant
Même si derrière cette splendeur se tient ta face morte
Et à rien d’autre tu n’accorderas la moindre importance.

Mais si tu participes, tu meurs, tu souffres
Maudissant ta vie qui fut ton seul héritage
Et ton père, et ta mère et le monde
Qui un jour, te poussa aux forceps à ton ultime agonie,
À ta dernière heure, tu sauras quand même
Que tout cela n’avait aucune importance.



Tu seras un Homme, mon fils
Version française du poème “If” de Rudyard Kipling (1910)
traduit de l’anglais par André Maurois (1918).
Interprète : Bernard Lavilliers : IF (1988) [https://www.youtube.com/watch?v=zY3dnHlGggY]



Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.