mardi 6 septembre 2016

CHA-CHA DE LA CONJONCTURE

CHA-CHA DE LA CONJONCTURE

Version française – CHA-CHA DE LA CONJONCTURE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande – Geh´n sie mit der Konjunktur (Konjunktur-Cha-Cha) – Hazy Osterwald Sextett – 1960
Paroles de Kurt Feltz (1910-1982)
Musique de Paul Durand (1907-1977)



Il s’agit d’une perle absolue qui en quelques strophes explique, selon moi, très bien comment du « Wirtschaftswunder », du « miracle économique » d’hier, on est arrivé au désastre d’aujourd’hui…
Dans la version anglaise de ce morceau, qui, à l’époque, fut un grand succès international, il manque complètement (peut-être censurée) une strophe très amusante (et glaçante) que j’ai comprise ainsi : « Mon amie a un fiancé qui, grâce à Dieu, est secrétaire d’un gros banquier. Il l’emmène « à dîner » (!) et lorsqu’il a bu lui dispense quelques conseils pour investir au mieux leurs actions »
Dans le sketch qui accompagnait la chanson, les membres du Hazy Osterwald Sextett descendaient, vêtus d’hommes d’affaires coiffés de chapeaux melon, d’une Mercedes modèle 300, mieux connue comme « 300 Adenauer », la voiture officielle préférée du chancelier allemand Konrad Adenauer. On raconte que quand Adenauer vit pour la première fois la majestueuse 300 (longue de plus de 5 mètres, large de presque 2, lourde de presque 2 tonnes), il dit : « Belle, mais n’avez-vous rien de plus gros ? ».
(commentaire traduit de l’italien)


Dialogue maïeutique

Mon ami Lucien l’âne, sais-tu ce qu’est la conjoncture ?

Oh oui, Marco Valdo M.I. mon ami, que je le sais. Il s’agit là d’une personne importante qu’il convient de suivre les yeux fermés.

C’est à peu près ça qu’elle raconte, Lucien l’âne mon ami, mais c’est une chanson baignée d’ironie. En fait, ce n’est pas la chanson qui dit « Suivez la conjoncture ! », elle ne fait que répéter le discours ambiant, la rumeur propagée par les affairistes, par les nouveaux « riches » ou par ceux qui aspirent à l’être qui sont des gens qui suivent la conjoncture eux aussi et hasard, chance, opportunisme ou le plus souvent, combine, magouilles, détournements, bref, les affaires, ils s’en tirent plutôt bien et profitent de ces mouvements fortuits et incontrôlés. Évidemment, comme tu l’as sans doute deviné, la conjoncture est en fait l’économie en mouvement et de ce fait, elle peut aller dans un sens ou dans l’autre et selon comment on la regarde ou la position qu’on occupe, elle peut aller dans le bon sens ou non. Outre que d’être bonne ou mauvaise, elle peut être basse, elle peut être haute ; elle peut être déprimée ou dépressive, elle peut être euphorique ; cette personne est sujette aux sautes d’humeur.

Je l’avais entendu dire que c’était une personne capricieuse et assez imprévisible, intervient Lucien l’âne.

Donc, Lucien l’âne mon ami, la chanson envisage la conjoncture dans le sens de la montée, dans la situation de ceux ou celles qui se trouvent en position de tirer profit de la situation, sans trop se poser de questions quant aux fondements de cette « bonne » conjoncture. La conjoncture, c’est en fait la marée qui rythme la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres en vue de magnifier leurs profits et tout ce qui en découle et comme telle, elle pose sa richesse sur un immense socle de pauvreté et de misère.

Moi qui ai parcouru le monde depuis longtemps, enchaîne Lucien l’âne, j’en ai vu des gens qui « suivaient la conjoncture » sans trop se poser de questions tant que les profits s’accumulaient et je les ai vus aussi se retrouver un peu plus tard le bec dans l’eau.

Juste, Lucien l’âne mon ami, la conjoncture est un genre spéculatif ; dans le meilleur des cas, elle tient de la météorologie ; habituellement, elle relèverait plutôt de l’astrologie. Si j’osais un néologisme, je dirais que c’est de l’éconologie. Son application tient du pari mutuel. On peut y connaître des lendemains qui déchantent. Dans cette chanson, il s’agit bien de la conjoncture considérée d’un point de vue général, cette sorte de nébuleuse insaisissable, dont on disserte comme du temps qu’il fait, car c’est aussi un intarissable sujet de conversation. Du moins dans certains milieux, plus que dans d’autres. Encore que les médias amplifient cette rumeur.

En fait, Marco Valdo M.I. mon ami, tu as raison, c’est un peu comme le temps qu’il fait, qu’il a fait, qu’il va faire et comme pour le temps, on n’y peut rien. Elle va, elle vient.

Donc, à l’époque de la chanson, vers 1960, en Allemagne (et dans les pays similaires – disons de l’Europe industrielle), la conjoncture est haute et favorable, la machine économique tourne à plein régime, les villes et les usines ont été rebâties, le ciel est clair, la route est large. L’Europe est sortie de sa profonde dépression, s’est remise de la guerre et vit un moment d’euphorie économique.

En effet, Marco Valdo M.I. mon ami, mais la conjoncture est un phénomène assez hasardeux et peut amener ses plus ardents suiveurs au bord de la ruine ou entraîner des catastrophes majeures. On parle alors de « crise ».

Bien sûr, Lucien l’âne mon ami, mais on n’en est pas encore là au moment où se situe la chanson. Enfin, pas pour tout le monde et certainement pas pour ceux qui « surfent sur la vague ». Pour d’autres, les choses sont moins splendides. Par exemple, et je pense que ce n’est pas un hasard s’il y a un passage à propos de Krupp von Bohlen auquel on conseille d’aller chercher son charbon sur le grand marché mondial.

« Allez chercher votre charbon vous-même
Krupp von Bohlen sur le grand marché du monde ».

Oui, certainement, euh ?, dit Lucien l’âne en faisant un point d’interrogation avec sa queue.

Ah bon, dit Marco Valdo M.I., ça mérite une explication. Alors: Krupp von Bohlen est en fait le propriétaire des aciéries Krupp à Essen dans la Ruhr et sans doute, de bien d’autres choses. Pour alimenter ces aciéries en énergie, il lui faut du charbon et c’est l’époque où progressivement les mines européennes s’épuisent et les charbonnages ferment l’un après l’autre. Il lui reste donc – conjoncture oblige – à chercher à se fournir sur le grand marché mondial – notamment du charbon étazunien. « Suivez la conjoncture ! » s’applique aussi à lui, mais dans un autre sens, dans un sens plus réel, plus concret – cette fois, il s’agit de s’adapter à une évolution concrète et pas de spéculer sur une évolution hasardeuse. C’est un autre sens du mot conjoncture.

Je me demande bien s’il y avait d’autres raisons de citer ce Krupp von Bohlen dans la chanson, dit Lucien l’âne d’un air presque rêveur.

Bonne, excellente question, Lucien l’âne mon ami. Je vais te répondre, car en effet, il y a une raison plus ou moins cachée à cette présence de Krupp von Bohlen dans la chanson. Posons d’abord qu’au moment de la chanson et pour nombre d’Allemands, l’allusion était claire, même si elle s’est perdue dans les brumes de l’Histoire aujourd’hui. Voici la clé de cette mystérieuse allusion : l’homme en question est Alfried Krupp von Bohlen, qui fut un nazi de la première heure, qui par la suite outre de fournir le régime en acier, en armes, en canons, en fusées devint ministre de l’Armement, utilisant dans ses usines des prisonniers des camps de concentration (notamment Auschwitz) et pour toutes ces raisons et d’autres, fut condamné après la guerre pour « pillage et crime contre l’humanité », le 31 juillet 1948 lors du procès Krupp et condamné à douze ans d’emprisonnement et à la confiscation de ses biens.

Bien des autres ont été condamnés à mort pour moins que ça, dit Lucien l’âne en ouvrant de grands yeux noirs de colère.

Évidemment, mais ils ne s’appelaient pas Krupp. Le 5 décembre 1950, Konrad Adenauer (alors, chancelier de la République Fédérale – le même qui roule en Mercedes 300 et dont la chanson dit : « On reçoit gratuitement, si on roule en limousine » ) écrit une lettre exhortant les Alliés à la clémence pour Krupp. Alfried Krupp est libéré le 4 février 1951 – même pas 3 ans après sa condamnation. La confiscation des biens de la société est annulée et sa fortune personnelle de 10 000 000 de dollars (de l’époque) lui est restituée. Il reprend le contrôle du groupe en 1953 et d’une des plus grandes sociétés du monde.
À part ça, le miracle économique [[47078]] (la conjoncture va bien !) cachait une crise charbonnière, qui va mettre des milliers et des milliers de gens au chômage et chez les interlocuteurs de la chanson, pas un mot des mineurs, ni des régions sinistrées par l’effondrement charbonnier. En fait, la chanson chansonne les spéculateurs, ceux qui boursicotent en petit ou en grand, ceux qui tirent profit ou espèrent en tirer des hauts et des bas réels ou imaginaires de l’économie et plus particulièrement, de la bourse, du jeu sur les actions ou sur les valeurs ; en somme, une sorte de grand casino ; en plus vrai, en plus professionnel sans doute à leurs yeux de parasites, qui en font un métier. Quant à la petite secrétaire et à son ami, ils ne sont là que comme figurants dans la pièce ; ce sont des marionnettes.

En somme, un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches font aux pauvres afin de prospérer, de tirer des profits, de maintenir leur domination, dit Lucien l’âne en guise de conclusion. Il ne nous reste qu’à reprendre notre tâche et tisser, tisser encore le linceul de ce vieux monde spéculateur, parasite, exploiteur, dominateur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Suivez, suivez
Suivez, suivez
Suivez la conjoncture !
Suivez cette aventure,
Prenez votre part, n’ayez aucun regret
Et ne soyez pas en retard au grand banquet !


Suivez la conjoncture,
Suivez-la, suivez !
Suivez la dans cette aventure,
Suivez-la, suivez !
Voyez, là-bas, les autres déjà s’empiffrent
Au grand banquet, prenez de la crème à volonté

On est ce qu’on est, pas par sa valeur propre
On reçoit gratuitement, si on roule en limousine
Et on fait ce qu’on fait par habitude
Car on n’aime que soi-même.


Suivez la conjoncture,
Suivez-la, suivez !
Suivez la dans cette aventure,
Suivez-la, suivez !
Allez chercher votre charbon vous-même
Krupp von Bohlen sur le grand marché du monde !


Oh jo to ho jo to hoo
C’est la vie, oui !
Oh jo oh jo to ho jo to hoo
Et je vois oui
Oh jo oh jo to ho jo to hoo
Mon grand tournant aujourd’hui !
Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke


Oh jo to ho jo to hoo
C’est le bon moment !
Oh jo oh jo to ho jo to hoo
Et je jure maintenant
Oh jo oh jo to ho jo to hoo
Sur les nouveaux bons temps.
Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke



Suivez la conjoncture,
Suivez-la, suivez !
Suivez la dans cette aventure,
Suivez-la, suivez !
Prenez votre part et plumez les autres,
Sinon eux vous décapiteront de toute manière.

Suivez la conjoncture,
Suivez-la, suivez !
Tournez à cette heure,
Tournez, tournez !
Courez,
Courez, s’il le faut, battez-vous
Et puis, vendez avec le profit de la conjoncture !


Mon ami a une amie
Qui, dans une banque, est par chance
La Secrétaire en chef du patron.
Il a soupé avec elle et lui a donné en confidence
Des tuyaux pour les actions.

Suivez la conjoncture,
Suivez-la, suivez !
Suivez la dans cette aventure,
Suivez-la, suivez !
L’argent est dans ce monde le seul ciment qui tient,
Quand on en a assez.
L’argent est dans ce monde le seul ciment qui tient,
Quand on en a assez,
Quand on en a assez, quand on en a assez.