CHA-CHA DE LA CONJONCTURE
Version
française – CHA-CHA DE LA CONJONCTURE – Marco Valdo M.I. –
2016
Chanson
allemande – Geh´n
sie mit der Konjunktur (Konjunktur-Cha-Cha) – Hazy Osterwald
Sextett – 1960
Paroles
de Kurt Feltz (1910-1982)
Musique de Paul Durand (1907-1977)
Musique de Paul Durand (1907-1977)
Il s’agit d’une perle
absolue qui en quelques strophes explique, selon moi, très bien
comment du « Wirtschaftswunder », du « miracle
économique » d’hier, on est arrivé au désastre
d’aujourd’hui…
Dans la version anglaise de ce morceau,
qui, à l’époque, fut un grand succès international, il manque
complètement (peut-être censurée) une strophe très amusante (et
glaçante) que j’ai comprise ainsi : « Mon amie a un
fiancé qui, grâce à Dieu, est secrétaire d’un gros banquier. Il
l’emmène « à dîner » (!) et lorsqu’il a bu lui
dispense quelques conseils pour investir au mieux leurs actions »
Dans le
sketch qui accompagnait la chanson, les membres du Hazy Osterwald
Sextett descendaient, vêtus d’hommes d’affaires coiffés de
chapeaux melon, d’une Mercedes modèle 300, mieux connue comme
« 300 Adenauer », la voiture officielle préférée du
chancelier allemand Konrad Adenauer. On raconte que quand Adenauer
vit pour la première fois la majestueuse 300 (longue de plus de 5
mètres, large de presque 2, lourde de presque 2 tonnes), il dit :
« Belle, mais n’avez-vous rien de plus gros ? ».
(commentaire traduit de l’italien)
Dialogue
maïeutique
Mon
ami Lucien l’âne, sais-tu ce qu’est la conjoncture ?
Oh
oui, Marco Valdo M.I. mon ami, que je le sais. Il s’agit là d’une
personne importante qu’il convient de suivre les yeux fermés.
C’est
à peu près ça qu’elle raconte, Lucien l’âne mon ami, mais
c’est une chanson baignée d’ironie. En fait, ce n’est pas la
chanson qui dit « Suivez la conjoncture ! », elle ne
fait que répéter le discours ambiant, la rumeur propagée par les
affairistes, par les nouveaux « riches » ou par ceux qui
aspirent à l’être qui sont des gens qui suivent la conjoncture
eux aussi et hasard, chance, opportunisme ou le plus souvent,
combine, magouilles, détournements, bref, les affaires, ils s’en
tirent plutôt bien et profitent de ces mouvements fortuits et
incontrôlés. Évidemment, comme tu l’as sans doute deviné, la
conjoncture est en fait l’économie en mouvement et de ce fait,
elle peut aller dans un sens ou dans l’autre et selon comment on la
regarde ou la position qu’on occupe, elle peut aller dans le bon
sens ou non. Outre que d’être bonne ou mauvaise, elle peut être
basse, elle peut être haute ; elle peut être déprimée ou
dépressive, elle peut être euphorique ; cette personne est
sujette aux sautes d’humeur.
Je
l’avais entendu dire que c’était une personne capricieuse et
assez imprévisible, intervient Lucien l’âne.
Donc,
Lucien l’âne mon ami, la chanson envisage la conjoncture dans le
sens de la montée, dans la situation de ceux ou celles qui se
trouvent en position de tirer profit de la situation, sans trop se
poser de questions quant aux fondements de cette « bonne »
conjoncture. La conjoncture, c’est en fait la marée qui rythme la
Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres en vue de
magnifier leurs profits et tout ce qui en découle et comme telle,
elle pose sa richesse sur un immense socle de pauvreté et de misère.
Moi
qui ai parcouru le monde depuis longtemps, enchaîne Lucien l’âne,
j’en ai vu des gens qui « suivaient la conjoncture »
sans trop se poser de questions tant que les profits s’accumulaient
et je les ai vus aussi se retrouver un peu plus tard le bec dans
l’eau.
Juste,
Lucien l’âne mon ami, la conjoncture est un genre spéculatif ;
dans le meilleur des cas, elle tient de la météorologie ;
habituellement, elle relèverait plutôt de l’astrologie. Si
j’osais un néologisme, je dirais que c’est de l’éconologie.
Son application tient du pari mutuel. On peut y connaître des
lendemains qui déchantent. Dans cette chanson, il s’agit bien de
la conjoncture considérée d’un point de vue général, cette
sorte de nébuleuse insaisissable, dont on disserte comme du temps
qu’il fait, car c’est aussi un intarissable sujet de
conversation. Du moins dans certains milieux, plus que dans d’autres.
Encore que les médias amplifient cette rumeur.
En
fait, Marco Valdo M.I. mon ami, tu as raison, c’est un peu comme le
temps qu’il fait, qu’il a fait, qu’il va faire et comme pour le
temps, on n’y peut rien. Elle va, elle vient.
Donc,
à l’époque de la chanson, vers 1960, en Allemagne (et dans les
pays similaires – disons de l’Europe industrielle), la
conjoncture est haute et favorable, la machine économique tourne à
plein régime, les villes et les usines ont été rebâties, le ciel
est clair, la route est large. L’Europe est sortie de sa profonde
dépression, s’est remise de la guerre et vit un moment d’euphorie
économique.
En
effet, Marco Valdo M.I. mon ami, mais la conjoncture est un phénomène
assez hasardeux et peut amener ses plus ardents suiveurs au bord de
la ruine ou entraîner des catastrophes majeures. On parle alors de
« crise ».
Bien
sûr, Lucien l’âne mon ami, mais on n’en est pas encore là au
moment où se situe la chanson. Enfin, pas pour tout le monde et
certainement pas pour ceux qui « surfent sur la vague ».
Pour d’autres, les choses sont moins splendides. Par exemple, et je
pense que ce n’est pas un hasard s’il y a un passage à propos de
Krupp von Bohlen auquel on conseille d’aller chercher son charbon
sur le grand marché mondial.
« Allez
chercher votre charbon vous-même
Krupp
von Bohlen sur le grand marché du monde ».
Oui,
certainement, euh ?, dit Lucien l’âne en faisant un point
d’interrogation avec sa queue.
Ah
bon, dit Marco Valdo M.I., ça mérite une explication. Alors: Krupp
von Bohlen est en fait le propriétaire
des aciéries Krupp à Essen dans la Ruhr et sans doute, de bien
d’autres choses. Pour alimenter ces aciéries en énergie, il lui
faut du charbon et c’est l’époque où progressivement les mines
européennes s’épuisent et les charbonnages ferment l’un après
l’autre. Il lui reste donc – conjoncture oblige – à chercher à
se fournir sur le grand marché mondial – notamment
du charbon étazunien. « Suivez la
conjoncture ! » s’applique aussi à lui, mais dans un
autre sens, dans un sens plus réel, plus concret – cette fois, il
s’agit de s’adapter à une évolution concrète et pas de
spéculer sur une évolution hasardeuse.
C’est un autre sens du mot
conjoncture.
Je
me demande bien s’il y avait d’autres raisons de citer ce Krupp
von Bohlen dans la chanson, dit Lucien l’âne d’un air presque
rêveur.
Bonne,
excellente question, Lucien l’âne mon ami. Je vais te répondre,
car en effet, il y a une raison plus ou moins cachée à cette
présence de Krupp von Bohlen dans la chanson. Posons
d’abord qu’au moment de la chanson et pour nombre d’Allemands,
l’allusion était claire, même si elle s’est perdue dans les
brumes de l’Histoire aujourd’hui. Voici
la clé de cette mystérieuse allusion : l’homme en question
est Alfried Krupp von Bohlen, qui fut un nazi de la première heure,
qui par la suite outre de fournir le régime en acier, en armes, en
canons, en fusées devint ministre de l’Armement, utilisant dans
ses usines des prisonniers des camps de concentration (notamment
Auschwitz) et pour toutes ces raisons et d’autres, fut condamné
après la guerre pour « pillage
et crime contre l’humanité », le 31 juillet 1948 lors du
procès Krupp et condamné à douze ans d’emprisonnement
et à la confiscation de ses biens.
Bien
des autres ont été condamnés à mort pour moins que ça, dit
Lucien l’âne en ouvrant de grands yeux noirs de colère.
Évidemment,
mais ils ne s’appelaient pas Krupp. Le 5 décembre 1950, Konrad
Adenauer (alors, chancelier de la République Fédérale – le
même qui roule en Mercedes 300 et dont la chanson dit :
« On
reçoit gratuitement, si on roule
en limousine » )
écrit une lettre exhortant les Alliés à la clémence pour Krupp.
Alfried Krupp est libéré le 4 février 1951 – même pas
3 ans après sa condamnation. La confiscation des biens de la société
est annulée et sa fortune personnelle de 10 000 000 de
dollars (de l’époque) lui est restituée. Il
reprend le contrôle du groupe en 1953 et
d’une des plus grandes
sociétés du
monde.
À
part ça, le miracle
économique [[47078]] (la conjoncture va
bien !) cachait une crise charbonnière, qui va mettre des
milliers et des milliers
de gens au chômage et chez les interlocuteurs de la chanson, pas un
mot des mineurs, ni des régions sinistrées par l’effondrement
charbonnier. En fait, la chanson chansonne les spéculateurs, ceux
qui boursicotent en petit ou en grand, ceux qui tirent profit ou
espèrent en tirer des hauts et des bas réels ou imaginaires de
l’économie et plus particulièrement, de la bourse, du jeu sur les
actions ou sur les valeurs ; en somme, une sorte de grand
casino ; en plus vrai, en plus
professionnel sans doute à leurs yeux
de parasites, qui en font un métier.
Quant à la petite secrétaire et à son ami, ils ne sont là que
comme figurants dans la pièce ; ce sont des marionnettes.
En
somme, un épisode de la Guerre
de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches font aux pauvres afin
de prospérer, de tirer des profits, de maintenir leur domination,
dit Lucien l’âne en guise de conclusion. Il ne nous reste qu’à
reprendre notre tâche et tisser, tisser encore le linceul de ce
vieux monde spéculateur, parasite, exploiteur, dominateur et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Suivez,
suivez
Suivez,
suivez
Suivez
la conjoncture !
Suivez
cette aventure,
Prenez
votre part, n’ayez aucun regret
Et
ne soyez pas en retard au grand banquet !
Suivez
la dans cette aventure,
Suivez-la,
suivez !
Voyez,
là-bas, les autres déjà s’empiffrent
On
reçoit gratuitement, si on roule en limousine
Et on fait ce
qu’on fait par habitude
Car on n’aime que soi-même.
Suivez
la dans cette aventure,
Suivez-la,
suivez !
Allez
chercher votre charbon vous-même
Krupp
von Bohlen sur le grand marché du monde !
Oh
jo to ho jo to hoo
C’est la vie, oui !
Oh jo oh jo
to ho jo to hoo
Et je vois oui
Oh jo oh jo to ho jo to hoo
Mon grand tournant aujourd’hui !
Pinke Pinke Pinke
Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke
Oh
jo to ho jo to hoo
C’est le bon moment !
Oh jo oh
jo to ho jo to hoo
Et je jure maintenant
Oh jo oh jo to ho
jo to hoo
Sur les nouveaux bons temps.
Pinke Pinke Pinke
Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke
Suivez
la dans cette aventure,
Suivez-la,
suivez !
Prenez votre part et plumez les autres,
Sinon
eux vous décapiteront de toute manière.
Tournez
à cette heure,
Tournez,
tournez !
Suivez
la dans cette aventure,
(commentaire traduit de l’italien)
Et on fait ce qu’on fait par habitude
Car on n’aime que soi-même.
C’est la vie, oui !
Oh jo oh jo to ho jo to hoo
Et je vois oui
Oh jo oh jo to ho jo to hoo
Mon grand tournant aujourd’hui !
Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke
C’est le bon moment !
Oh jo oh jo to ho jo to hoo
Et je jure maintenant
Oh jo oh jo to ho jo to hoo
Sur les nouveaux bons temps.
Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke Pinke
Prenez votre part et plumez les autres,
Sinon eux vous décapiteront de toute manière.