LA FABLE DU VIEUX ET DE L’ENFANT
– Conte primitiviste.
Version
française – LA FABLE DU VIEUX ET DE L’ENFANT – Conte
primitiviste – Marco Valdo M.I. – 2020
Musique : Francesco Guccini, Il vecchio e il bambino, 1972
2020 : Chansonnier du Coronavirus
Désert de plaine (2084)
d'après Filippo de Pisis (1921) |
Dialogue
Maïeutique
Comme
tu vas le voir ci-après, Lucien l’âne mon ami, je viens de
terminer la version française d’une chanson italienne de notre ami
Ahmed il Lavavetri, autrement dit Ahmed le Lavevitre, le laveur de
carreaux, alias, alias. On dira ici pour simplifier Ahmed, afin de
préserver son anonymat.
Oh,
dit Lucien l’âne, je vois très bien qui c’est ce personnage.
C’est un comme nous, un hétéronyme, chose prisée dans le monde
de la chanson intelligente et extelligente. Pour les autres auteurs
ou chanteurs, il y a le pseudonyme, qui leur sert de masque. Il faut
dire que le masque est fort à la mode ces temps-ci.
Tu
fais bien, dit Marco Valdo
M.I., de parler de l’étrange coutume du temps présent, car c’est
un peu le sujet de la chanson. Le masque : la chanson est
elle-même une parodie, ce qui dans son domaine est aussi un masque.
Donc une parodie d’une chanson ancienne (1972 – à l’heure où
je te parle, ça près de cinquante ans, un demi-siècle) de
Francesco Guccini qui s’intitulait tout pareillement Il
vecchio e il bambino – Le Vieux et l’Enfant et cette
circonstance m’a poussé à en faire également la version
française.
En
soi, Marco Valdo M.I. mon ami, ce n’est pas une mauvaise chose que
de faire connaître en français une chanson de Francesco Guccini,
lequel comme tous les auteurs italiens de chansons de qualité est
assez peu connu dans les régions de langue française, sauf
peut-être dans l’émigration italienne et sa proche descendance.
Dès
lors, Lucien l’âne, pour distinguer ces deux chansons qui auraient
sans ça porté le même titre, Ahmed a ajouté la mention « Fabia
primitivista ». Ce que je n’ai pas fait ; j’ai
finalement opté pour « LA FABLE DU VIEUX ET DE L’ENFANT –
Conte primitiviste ». L’essentiel est cependant ailleurs ;
il est dans l’histoire elle-même que je te résume : un vieux
et un enfant se promènent dans un paysage désolé et le vieux
raconte à l’enfant les souvenirs de ses vingt ans.
Certes,
dit Lucien l’âne, ça ne m’étonne pas : les vieux
racontent souvent aux enfants les souvenirs de leur propre enfance et
de leur jeunesse.
Oui,
c’est souvent le cas, dit Marco Valdo M.I., mas pas toujours.
Passons ! L’affaire est que ce vieux avait eu ses vingt ans
cette
année-ci. Je la sais, car j’ai compté à partir de la mention
préliminaire qui dit : « Quelque
part dans la plaine padane en 2084. » J’en
ai tiré la conclusion que : primo, le vieux était né en
2000 ; deuzio, qu’il a 84 ans ; troizio qu’il avait
donc 20 ans en 2020. J’ai peut-être raisonné dans un autre ordre,
mais enfin, tout est venu d’un coup. Donc, le vieux (un jeune de
ces jours-ci) raconte la vie d’aujourd’hui à un enfant de demain
et même, si tu veux mon avis, d’après-demain, le tout dans un
décor pas très enthousiasmant. Même si j’ai tendance à penser
que c’est encore fort optimiste et qu’au train où on y va, à ce
moment-là, il risque de n’y avoir plus grand-chose et plus grand
monde dans la plaine padane carbonisée par le soleil. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai introduit – et j’espère
qu’Ahmed ne m’en voudra pas, j’espère d’ailleurs toujours
que les auteurs ne
m’en veulent pas de mes versions assez baroques – en lieu et
place du crapaud (vispo ranocchio), deux escargots qui s’en vont à
un enterrement (Chanson
des escargots qui vont à l'enterrement d’une feuille morte),
une coutume rituelle provisoirement suspendue pour l’instant.
Oui,
dit Lucien l’âne, j’ai appris ça. Il paraît même qu’on n’a
plus de places pour entasser les cadavres en attente. Mais de mémoire
d’un âne, ce n’est pas la première fois que ça arrive
et ce n’est même pas la pire. Tiens, à propos de cadavre, ça me
rappelle ce roman où il faut conduite le cadavre de Dieu (alias
Jéhovah) au Pôle Nord pour conserver son corps
gigantesque, long de plusieurs kilomètres. Si je me souviens
exactement, ce roman porte comme titre « Towing Jehovah »
(en français, En remorquant Jéhovah) et a comme
auteur, l’écrivain étazunien James Morrow. Quant à nous, tissons
le linceul de ce vieux monde croulant, triste, écervelé et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Quelque
part dans la plaine padane en 2084.
Un
vieux et un enfant se tenant la main
Allaient
ensemble sur le chemin.
La
poussière jaune s’élevait dans le vent,
La
croissance stagnait depuis longtemps.
La
plaine immense pullulait
De
chèvres et les femmes barattaient le lait,
Pressaient
le fromage, cueillaient les haricots
Pour
nourrir grands et petiots.
Les
deux cheminaient,
le jour tombait,
Le
vieux parlait et souriait
En
pensant à l’âge
de sa jeunesse,
Quand
il travaillait pour
la peau des fesses.
Il
pensait au temps de
ses vingt ans,
Aux
virologues, au
confinement et
autres événements,
Il
ne restait plus rien, tout était décadent,
Tout
était revenu au
passé lointain. Heureusement !
Le
vieux disait,
l’air enjoué :
« Imagine
pépé masqué,
Pépé
et mémé toujours éloignés,
Les
files à la poste et au
supermarché.
Et
dans cette plaine, passé
le pont,
On
trouvait le pouvoir et ses institutions,
Ses
décrets et l’aide
des autres
nations,
Qu’on
regardait avec
circonspection. »
Le
gamin s’arrêtant
et de
l’œil,
Lorgnant
heureux deux
escargots en
deuil,
Dit
au vieux en
lâchant la bonde :
« Grand-père,
c’était un
joli monde… ! »