jeudi 7 mai 2020

LA FABLE DU VIEUX ET DE L’ENFANT



LA FABLE DU VIEUX ET DE L’ENFANT 

Conte primitiviste.

Version française – LA FABLE DU VIEUX ET DE L’ENFANT – Conte primitiviste – Marco Valdo M.I. – 2020

Paroles : Ahmed il Lavavetri
Musique
 : Francesco Guccini, Il vecchio e il bambino, 1972
2020 : Chansonnier du Coronavirus



Désert de plaine (2084)
d'après Filippo de Pisis (1921)




Dialogue Maïeutique


Comme tu vas le voir ci-après, Lucien l’âne mon ami, je viens de terminer la version française d’une chanson italienne de notre ami Ahmed il Lavavetri, autrement dit Ahmed le Lavevitre, le laveur de carreaux, alias, alias. On dira ici pour simplifier Ahmed, afin de préserver son anonymat.

Oh, dit Lucien l’âne, je vois très bien qui c’est ce personnage. C’est un comme nous, un hétéronyme, chose prisée dans le monde de la chanson intelligente et extelligente. Pour les autres auteurs ou chanteurs, il y a le pseudonyme, qui leur sert de masque. Il faut dire que le masque est fort à la mode ces temps-ci.

Tu fais bien, dit Marco Valdo M.I., de parler de l’étrange coutume du temps présent, car c’est un peu le sujet de la chanson. Le masque : la chanson est elle-même une parodie, ce qui dans son domaine est aussi un masque. Donc une parodie d’une chanson ancienne (1972 – à l’heure où je te parle, ça près de cinquante ans, un demi-siècle) de Francesco Guccini qui s’intitulait tout pareillement Il vecchio e il bambino – Le Vieux et l’Enfant et cette circonstance m’a poussé à en faire également la version française.

En soi, Marco Valdo M.I. mon ami, ce n’est pas une mauvaise chose que de faire connaître en français une chanson de Francesco Guccini, lequel comme tous les auteurs italiens de chansons de qualité est assez peu connu dans les régions de langue française, sauf peut-être dans l’émigration italienne et sa proche descendance.

Dès lors, Lucien l’âne, pour distinguer ces deux chansons qui auraient sans ça porté le même titre, Ahmed a ajouté la mention « Fabia primitivista ». Ce que je n’ai pas fait ; j’ai finalement opté pour « LA FABLE DU VIEUX ET DE L’ENFANT – Conte primitiviste ». L’essentiel est cependant ailleurs ; il est dans l’histoire elle-même que je te résume : un vieux et un enfant se promènent dans un paysage désolé et le vieux raconte à l’enfant les souvenirs de ses vingt ans.

Certes, dit Lucien l’âne, ça ne m’étonne pas : les vieux racontent souvent aux enfants les souvenirs de leur propre enfance et de leur jeunesse.

Oui, c’est souvent le cas, dit Marco Valdo M.I., mas pas toujours. Passons ! L’affaire est que ce vieux avait eu ses vingt ans cette année-ci. Je la sais, car j’ai compté à partir de la mention préliminaire qui dit : « Quelque part dans la plaine padane en 2084. » J’en ai tiré la conclusion que : primo, le vieux était né en 2000 ; deuzio, qu’il a 84 ans ; troizio qu’il avait donc 20 ans en 2020. J’ai peut-être raisonné dans un autre ordre, mais enfin, tout est venu d’un coup. Donc, le vieux (un jeune de ces jours-ci) raconte la vie d’aujourd’hui à un enfant de demain et même, si tu veux mon avis, d’après-demain, le tout dans un décor pas très enthousiasmant. Même si j’ai tendance à penser que c’est encore fort optimiste et qu’au train où on y va, à ce moment-là, il risque de n’y avoir plus grand-chose et plus grand monde dans la plaine padane carbonisée par le soleil. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai introduit – et j’espère qu’Ahmed ne m’en voudra pas, j’espère d’ailleurs toujours que les auteurs ne m’en veulent pas de mes versions assez baroques – en lieu et place du crapaud (vispo ranocchio), deux escargots qui s’en vont à un enterrement (Chanson des escargots qui vont à l'enterrement‎ d’une feuille morte), une coutume rituelle provisoirement suspendue pour l’instant.

Oui, dit Lucien l’âne, j’ai appris ça. Il paraît même qu’on n’a plus de places pour entasser les cadavres en attente. Mais de mémoire d’un âne, ce n’est pas la première fois que ça arrive et ce n’est même pas la pire. Tiens, à propos de cadavre, ça me rappelle ce roman où il faut conduite le cadavre de Dieu (alias Jéhovah) au Pôle Nord pour conserver son corps gigantesque, long de plusieurs kilomètres. Si je me souviens exactement, ce roman porte comme titre « Towing Jehovah » (en français, En remorquant Jéhovah) et a comme auteur, l’écrivain étazunien James Morrow. Quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde croulant, triste, écervelé et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Quelque part dans la plaine padane en 2084.


Un vieux et un enfant se tenant la main
Allaient ensemble sur le chemin.
La poussière jaune s’élevait dans le vent,
La croissance stagnait depuis longtemps.
La plaine immense pullulait
De chèvres et les femmes barattaient le lait,
Pressaient le fromage, cueillaient les haricots
Pour nourrir grands et petiots.

Les deux cheminaient, le jour tombait,
Le vieux parlait et souriait
En pensant à l’âge de sa jeunesse,
Quand il travaillait pour la peau des fesses.
Il pensait au temps de ses vingt ans,
Aux virologues, au confinement et autres événements,
Il ne restait plus rien, tout était décadent,
Tout était revenu au passé lointain. Heureusement !
 
Le vieux disait, l’air enjoué :
« Imagine pépé masqué,
Pépé et mémé toujours éloignés,
Les files à la poste et au supermarché.
Et dans cette plaine, passé le pont,
On trouvait le pouvoir et ses institutions,
Ses décrets et l’aide des autres nations,
Qu’on regardait avec circonspection. »

Le gamin s’arrêtant et de l’œil,
Lorgnant heureux deux escargots en deuil,
Dit au vieux en lâchant la bonde :
« Grand-père, c’était un joli monde… ! »