dimanche 17 novembre 2019

Grand-père


Grand-père
 Chanson française – Grand-père – Georges Brassens – 1957



Enterrement de pauvre

Makovski – 1872





Dialogue Maïeutique

Figure-toi, Lucien l’âne mon ami, que j’ai la foutue manie de l’exhaustivité, au moins relative et un foutu penchant à compléter les collections.

Je sais, Marco Valdo M.I., tu es un Encyclopédiste, un descendant zélé de Diderot et de ses Lumières.

Alors, quand il s’agit, Lucien l’âne mon ami, de chansons et d’auteurs de qualité et à mon goût, je ne peux me retenir d’une certaine tendresse et d’essayer d’en glisser une de plus dans les oreilles anonymes.

Cette fois, Marco Valdo M.I. mon ami, il me semble que comme le sage tu tournes autour du tombeau et que ça cache quelque chose de bien intéressant. Sans doute, une nouvelle chanson. Je suis au comble de la curiosité, je ne tiens plus, dis-moi, dis-moi laquelle.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, je m’en vais à l’instant te satisfaire et t’annoncer ce Grand-père qu’on avait jusqu’ici un peu délaissé. Soit, je l’admets volontiers, c’est le désir de bien des grands-pères d’être abandonné dans un coin de la pièce, seul avec la télé. Pas tous, heureusement, comme on va le voir. C’est aussi le leur d’être enterrés et quand il est aimé et les descendants pas trop méprisants à son égard, le grand-père peut être mené au trou final « comme un empereur », ce qu souligne la chanson :
« Grand-père aurait été content
D’aller à sa dernière demeure
Comme un empereur. »

Oh, dit Lucien l’âne, question collection de chansons de Brassens, on pourrait voir ce qui précède l’arrivée de l’étape et entendre le triste sort qui fut réservé à « L’Ancêtre ». D’ailleurs, la mort est une personne ou une circonstance fort prisée chez Tonton Georges. De mémoire d’âne, comme disait la Comtesse, je relève qu’il y a, à vue de nez d’ânes, qui ont le nez long : Mourir pour des Idées, Les Funérailles d’Antan, Le vieux Léon, Oncle Archibald, Pauvre Martin, Le Fossoyeur, La Ballade des Cimetières, Le Testament, Supplique pour être enterré à la Plage de Sète et probablement, d’autres encore.

De fait, Lucien l’âne mon ami, tu as mis ton doigt d’ongulé sur une énorme faille. Comment, on aurait droit à Mourir pour des Idées, Les Funérailles d’Antan, Oncle Archibald, Pauvre Martin, Le Testament, Supplique pour être enterré à la Plage de Sète et pas aux autres chansons qui confrontent la mort ? Je pense qu’il faudra un jour y remédier. Pour en venir au fait, j’avais écrit précédemment en présentant Les Funérailles :
« Et puis, une fois mort, il y en a qui se rengorgent, qui se font porter en terre ou en feu comme des divinités égarées, fiers de leur importance (dès lors passée), rodomontades et compagnie, pleurs, fleurs, couronnes, discours, cortèges Bref, pompes funèbres à tout-va. Évidemment, la chose coûte et cher encore bien. C’est là un des aspects de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres – même déjà morts. Même morts, ils veulent parader, ils veulent imposer. La chose est folle, mais c’est la chose. »
Et c’est bien un épisode de cette facette sourde de la guerre sempiternelle que les riches et les puissants font aux pauvres jusqu’au-delà de la vie qu’il s’agit ici. Cette histoire de ce Grand-Père bien aimé et supporté par ses enfants voit surgir et s’élever vaillamment une résistance funéraire.

Oh, dit Lucien l’âne, il faut porte la résistance jusque-là. Il n’y a pas de raison d’abandonner et de laisser tomber Bon Papa, même si on se fout complètement de ce qu’on fera de nous après notre mort.

Bref, que raconte la chanson ?, reprend Marco Valdo M.I. Tout simplement le combat des enfants pour enterrer Bon Papa. Je partage avec toi ce peu de goût pour les cérémonies, les cérémonials, les rites et toutes ces sortes de choses. D’ailleurs, en ce qui me concerne, je finirai en engrais pour les roses trémières du jardin des oliviers, où me tiendront compagnie – vivants ou morts, car on les enterre là – mes chats, dont le brave Jésus et son ami Makhno ; ce qui fait de ce jardin un vrai zoo posthume. Mais au temps de la chanson de Tonton Georges, l’enterrement du Grand-père était une obligation, une sorte de rite social très codifié et tenu en mains par la florissante industrie des Pompes Funèbres. On le voit dans la chanson où comme il n’y a pas de petit profit à perdre, à tous les stades de cette délicate opération, les enfants de Grand-père vont rencontrer la même exigence mercantile :

« Comme on était légers d’argent,
Le marchand nous reçut à bras fermés.
« Chez l’épicier, pas d’argent, pas d’épices,
Chez la belle Suzon, pas d’argent, pas de cuisse…
Les morts de basse condition,
C’est pas de ma juridiction. »

Mais, Ora e sempre : Resistenza !, les descendants ne vont pas s’en laisser conter et marquer d’un coup de botte (au demeurent,c elles héritées du Grand-père)bien placé leur réprobation. Recevront donc successivement un coup de pied au cul : le vendeur de cercueil – on trouve un cercueil de réemploi ; le croque-mort – on se passe de corbillard en portant à l’épaule le cercueil ; le vicaire – la chose n’est pas précisée, mais à l’évidence, on se passe des services religieux.

De toute façon, dit Lucien l’âne, ces services religieux sont parfaitement inutiles. Pour les autres, c’est la question du prix et de l’exploitation cupide de la circonstance qui pose problème.

Il faut souligner, reprend Marco Valdo M.I., combien la mort est socialement marquée et de la même manière que la vie. En fait, on peut affirmer que la mort est le pur prolongement de la vie, son dernier stade et après, point final, sauf à édifier des tombeaux, évoquer des fantômes et organiser des cérémonies. Ce sont là des préoccupations que peuvent se permettre les riches. Mais pour les pauvres, c’est une autre affaire. Les pauvres, on ne les entend pas mourir, on ne sait même pas qu’ils sont morts ; ils ne bénéficient ni d’annonces nécrologiques, ni de funérailles pompeuses. C’est à peine s’ils peuvent payer la note, considérée par les notaires comme une dépense prioritaire.

Peut-être, dit Lucien l’âne, ça lui fait une belle jambe au mort. Finalement, il faut quand même évacuer le cadavre et de préférence, avant qu’il n’empeste tout le voisinage ; c’est le service minimum ; ô pas dans l’intérêt du mort, mais pour des raisons d’hygiène publique. Cela dit, mort, on n’a pas besoin de tous ces tralalas ; ce qui importe vraiment, c’est d’aimer et d’être aimé vivant, foi d’âne. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde ritualiste, rituelliste, superstitieux, manipulateur, exploiteur, cupide et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Grand-père suivait en chantant
La route qui mène à cent ans.
La mort lui fit, au coin d’un bois,
Le coup du père François.
Il avait donné de son vivant
Tant de bonheur à ses enfants
Qu’on fit, pour lui en savoir gré,
Tout pour l’enterrer.
Et l’on courut à toutes jam-
-Bes quérir une bière, mais…
Comme on était légers d’argent,
Le marchand nous reçut à bras fermés.
« Chez l’épicier, pas d’argent, pas d’épices,
Chez la belle Suzon, pas d’argent, pas de cuisse…
Les morts de basse condition,
C’est pas de ma juridiction. »
Or, j’avais hérité de grand-père
Une paire de bottes pointues.
S’il y a des coups de pied quelque part qui se perdent,
Celui-là toucha son but.
C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre,
C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre,
Ah ! c’est pas joli…
Ah ! c’est pas poli…
A une fesse qui dit merde à l’autre.
Bon papa,
Ne t’en fais pas,
Nous en viendrons
À bout de tous ces empêcheurs d’enterrer en rond.

Le mieux à faire et le plus court,
Pour que l’enterrement suivît son cours,
Fut de borner nos prétentions
À une bière d’occasion.
Contre un pot de miel, on acquit
Les quatre planches d’un mort qui
Rêvait d’offrir quelques douceurs
À une âme sœur.
Et l’on courut à toutes jam-
-Bes quérir un corbillard, mais…
Comme on était légers d’argent,
Le marchand nous reçut à bras fermés.
« Chez l’épicier, pas d’argent, pas d’épices,
Chez la belle Suzon, pas d’argent, pas de cuisse…
Les morts de basse condition,
C’est pas de ma juridiction. »
Ma botte partit, mais je me refuse
De dire vers quel endroit,
Ça rendrait les dames confuses
Et je n’en ai pas le droit.
C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre,
C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre,
Ah ! c’est pas joli…
Ah ! c’est pas poli…
A une fesse qui dit merde à l’autre.
Bon papa,
Ne t’en fais pas,
Nous en viendrons
À bout de tous ces empêcheurs d’enterrer en rond.

Le mieux à faire et le plus court,
Pour que l’enterrement suivît son cours,
Fut de porter sur notre dos
Le funèbre fardeau.
S’il eût pu revivre un instant,
Grand-père aurait été content
D’aller à sa dernière demeure
Comme un empereur.
Et l’on courut à toutes jam-
-Bes quérir un goupillon, mais…
Comme on était légers d’argent,
Le marchand nous reçut à bras fermés.
« Chez l’épicier, pas d’argent, pas d’épices,
Chez la belle Suzon, pas d’argent, pas de cuisse…
Les morts de basse condition,
C’est pas de ma juridiction. »
Avant même que le vicaire
Ait pu lâcher un cri,
Je lui bottai le cul au nom du Père,
Du Fils et du Saint-Esprit.
C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre,
C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre,
Ah ! c’est pas joli…
Ah ! c’est pas poli…
A une fesse qui dit merde à l’autre.
Bon papa,
Ne t’en fais pas,
Nous en viendrons
À bout de tous ces empêcheurs d’enterrer en rond,
À bout de tous ces empêcheurs d’enterrer en rond.