vendredi 11 octobre 2019

L’Apologie des Jambes


L’Apologie des Jambes


Chanson française – L’Apologie des Jambes – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 3 bis

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l'édition française de « LES JAMBES C'EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.




Dialogue Maïeutique


Et les jambes, maintenant ! Marco Valdo M.I. mon ami, tu ne sais qu’inventer pour attirer l’attention du populo, pour piquer le badaud au vif, pour capturer un instant le chaland qui passe. Des jambes, je le demande, à quoi ça rime ? Où cela nous mène ?

À peu près n’importe où, Lucien l’âne mon ami. Les jambes nous mènent du début à la fin, elles conduisent immanquablement ailleurs, plus loin, ici. Comme tu ne l’as pas souligné – et c’est dommage, car tu aurais tout compris – comme le dit le titre : les jambes sont faites pour cavaler.

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, si je te suis bien, les jambes sont faites pour fuir et cette fuite finalement mène tout le monde nulle part, au même endroit, au néant. Pas la peine de se presser, dès lors.
Certes, Lucien l’âne mon ami, pas la peine de se presser, mais qu’y faire, ce sont les jambes qui mènent le train et on ne peut que les suivre. Cela dit, cesse de philosopher, ce n’est pas de ça que les jambes parlent. Et puis, ce ne sont pas toutes les jambes, ce ne sont pas n’importe quelles jambes qui parlent, ce sont celles de notre Arlequin, éternel déserteur et pour lui, ses jambes, c’est en quelque sorte son instrument de travail et surtout, son équipement de survie. C’est vrai aussi pour les jambes de la danseuse, mais différemment. Donc, il est important de fixer la chose, le locuteur, celui qui parle dans la chanson, c’est Mathias, l’Arlequin amoureux, notre Mathias Kuře, qui vient après onze ans de retrouver son Arlecchina, restée – en dépit de tous ses vagabondages – son Étoile du berger, sa Vénus stellaire, l’ultime destination de ses pérégrinations.

Je m’imaginais que, certainement, ce récit de fugues et de jambes serait le fait de cet Arlequin échappé à la déroute autrichienne de Marengo, réplique Lucien l’âne, et que ce fugueur ferait l’apologie des jambes.

Alors, Lucien l’âne mon ami, je ne pourrai pas t’apprendre grand-chose. Notre Mathias qu’on avait vu couché et caché dans la charpente d’une grange est marqué par un signe d’amour pour une dame, danseuse de cirque ambulant et vendeuse de charmes à ses heures, qu’il appelle son Arlecchina. Il en est tellement toqué que ça faisait onze années, comme je te l’ai dit, qu’il la cherchait – véritablement, partout. Onze années d’errance déjà depuis la Bavière et sa première incorporation et sa première désertion. Il s’était dérobé au monde militaire, dès qu’il l’avait pu jusqu’à ce qu’à quarante ans passés, on le reprenne et on le remette en uniforme. Entretemps, il avait vécu de vagabondage et du désir de retrouver son Arlequine danseuse.

En fait, dit Lucien l’âne, ton Arlequin amoureux est un héros malgré lui, un déserteur romantique et de plus, obstiné dans son refus de la guerre et des guerriers.

Il faut dire, Lucien l’âne mon ami, qu’en cela, il n’avait qu’un seul choix : fuir ou mourir. C’était un maître stratège de la débine ; c’est sur la cavale qu’il bâtit son épopée, laquelle diffère nettement de celle d’Ulysse, même si pour Odysseus comme pour Mathias, il s’agit de chercher la femme. Cependant, Pénélope était une dame casanière et Ulysse rentrait chez lui par un chemin compliqué, mais il allait quelque part. La danseuse La Tournesse était une femme vagabonde et à la rejoindre, notre Arlequuin allait ailleurs, un lieu insaisissable, un ailleurs toujours fuyant. Leurs épopées , leurs errances magnifiques étaient de natures différentes.

Je vois bien tout ça et mille autres choses, Marco Valdo M.I. mon ami, mais il nous faut conclure et tisser le linceul de ce vieux monde dur aux vagabonds et aux déserteurs et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Arlecchina, je suis ensorcelé
Mordu de toi : Amor vincit omnia,
Viens, viens ma beauté
Prendre un café chez moi.

Te souviens-tu de la Bavière
Où les soldats me piégèrent ?
Cette fois-là, on me fit fantassin
Et marcher contre le Prussien.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Souviens-t-en, Arlecchina,
C’était la première fois.
Je m’étais éclipsé discrètement
En laissant là le régiment.

Je resterais bien avec vous.
Que sais-tu faire ?
Tirer, j’étais militaire
Et me sauver surtout.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Dis-moi, Pollo, tu étais prêtre avant.
Non pas, j’étais au couvent.
J’ai fui, je passe ma vie à fuir.
Filer où ? Je ne sais pas. Juste fuir.

Quand la mort rôde par là
Arlecchina, on ne choisit pas
Fissa fissa, on fuit épouvanté,
Les jambes sont faites pour cavaler.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.