LE PROCÈS DES SORCIÈRES
Version
française – LE PROCÈS DES SORCIÈRES – Marco Valdo M.I. –
2019
d’après
la traduction italienne de Riccardo Venturi – 2019 (Riccardo
Venturi,
Policlinico di Careggi (Firenze), 23-05-2019)
Paroles
et
musique :
Kjell Höglund
La sorcière au miroir
Félicien Rops |
Dialogue
Maïeutique
Mon
ami Lucien l’âne, toi comme moi, nous aimons beaucoup les
sorcières, je le sais.
Certes,
Marco Valdo M.I.mon ami, il en est ainsi aujourd’hui. Je dis ça,
car qui se souviens de ma mésaventure, qui somme toute se rappelle
mon histoire, pourrait avoir l’idée que je serais en colère
contre les sorcières. Il n’en est rien, avec le temps, vois-tu, je
me suis mis à aimer celle qui me fit âne. Si tu te souviens, au
début de ma vie errante, une vie d’aventures et de pérégrinations
forcées, qui était due à une erreur résultant de mon envie de
pratiquer son art sans y être initié, j’en voulais à cette femme
de mon destin de jeune homme ainsi contrarié. Cependant,
aujourd’hui, je me rends compte que ce fut moi le seul fautif et
même si elle n’y est finalement pour rien, je la bénis de m’avoir
ouvert le chemin de l’immortalité.
N’exagère
pas, Lucien l’âne mon ami, ton immortalité ne durera que ce que
durera l’humanité, ce qui la raccourcit grandement. Mais venons-en
aux autres sorcières, à celles qu’on brûle, qu’on jette en
cendres en dehors des cimetières.
Oh,
dit Lucien l’âne, en dehors de leurs cimetières consacrés, mais
elles s’en moquent bien les sorcières, car pour elles, la terre
vaut la terre et la rivière et l’océan aussi sont accueillants à
la poussière. Le vent lui-même la berce et la porte dans ses bras.
Mais poursuis cependant.
D’abord,
je te rappelle, Lucien l’âne mon ami, que la chose n’est pas
nouvelle pour nous de deviser des sorcières. Ensemble, on a vu et
commenté trois chansons Hou!
Hou !, où Clara la folle était brûlée comme une
sorcière, Katheline
la bonne sorcière, qui est la mère de Nelle, dont on brûla
les cheveux et qu’on fit noyer en l’épreuve de l’eau telle que
la concevait l’Inquisition et Les
Sorciers, qui conte le procès de Katheline et bien des choses
furent dites à ces occasions. Mais poursuivons. Il est question ici
d’un long sermon à la manière de ceux que font les pasteurs, les
prêtres et tous les prêcheurs de toutes les religions contre les
sorcières, réputées impies. Je n’insisterai pas sur cette haine
à l’égard des sorcières qui sont pourtant l’incarnation de la
vie hors des temples et loin des odes qu’on récite. De toute
façon, il ne s’agit pas ici uniquement de ces sorcières
anciennes, il s’agit également de sorcières intemporelles et de
sorcières en un sens plus général, qui dès lors, étant
pourchassées peuvent aussi bien être des hommes.
Des
sorcières, des hommes ?, dit Lucien l’âne, un peu
interloqué. J’aurais toujours pensé que les hommes de cette
catégorie étaient des sorciers. Il faudrait que tu m’expliques
cette curiosité.
Soit,
Lucien l’âne mon ami. En fait, la chasse aux sorcières désigne
de manière générale la persécution par un pouvoir ou n’importe
quel groupe humain des contradicteurs, des dissidents, de ceux qui ne
soumettent pas ou même ne correspondent pas aux exigences, aux us,
aux coutumes, aux usages, aux usances et aux croyances de ce groupe,
de ce clan, de cette communauté. Dès lors, la chasse aux sorcières
peut tout autant désigner une persécution religieuse qu’une
persécution raciale ou politique ou sociale ou culturelle ou même,
linguistique ou un mélange de diverses sortes. Elles ont lieu
partout dans le monde et sont extrêmement tenaces – par
parenthèse, elles sont aussi extrêmement stupides et méchantes.
L’Histoire des hommes en est remplie.
J’en
ai vu de mes yeux vu, dit Lucien l’âne, et même, un grand nombre
de fois de ces persécutions.
Cependant,
reprend Marco Valdo
M.I., la chanson a un cadre précis, qui est de mettre face à cette
vilaine manie de la chasse aux sorcières comme phénomène social,
comme mécanisme de catharsis tendant à l’exonération de leurs
turpitudes, ceux qui n’ont le courage ni de s’y opposer, ni de
les dénoncer, ni même de vouloir voir qu’elles existent et
surtout, de s’interroger sur quoi elles se fondent et à quoi elles
servent. Kjell Höglund fait
bien de mettre les bonnes gens de Suède et d’ailleurs face à face
avec eux-mêmes et à la chasse aux sorcières et à tout ce que ça
signifie. En fait, il les sermonne dans la plus pure tradition des
grands sermons : Démosthène lançant ses Philippiques aux
Athéniens ou Cicéron ses Catilinaires aux Romains.
C’est
là qu’il a dit « Quousque tandem abutere, Catilina,
patientia nostra? », que je te traduis, dit Lucien l’âne,
« Jusqu’à quand Catilina abuseras-tu de notre patience ? »
On
pourrait citer bien d’autres exemples, dit Marco Valdo M.I., mais
l’essentiel reste ce que dit la chanson, qui malgré qu’elle date
de 1973, paraît être un sermon d’aujourd’hui tant ce qu’il
dénonce, les attitudes qu’il décrit, les comportements qu’il
démonte, les vilenies qu’il met à jour sont présents dans notre
société et constituent le fondement de ce que l’on nomme à
présent pudiquement le populisme et qui n’est rien d’autre que
le fascisme revisité. C’est à cet égard un texte lumineux qui
illustre avec beaucoup de précision ce qui était dit dans La
Guerre de Cent Mille Ans. Cette liaison intime du particulier au
général, qui fait que chaque geste que l’on pose, chaque parole
qu’on expose, chaque pensée de chaque jour, de chaque seconde nous
implique dans cette lutte faite des milliards de décisions ou
d’indécisions, d’acceptations ou de refus de milliards d’êtres
humains ; tout se joue dans ces détails. C’est ainsi que se
forme la cohérence de ce monde.
Ho,
s’écrie Lucien l’âne, arrête-toi là. Il nous faut conclure.
Non,
non, dit Marco Valdo, je veux encore dire quelques mots de la version
française, car elle s’écarte un peu par son style de la version
italienne, dont j’imagine qu’elle a elle-même établi une
certaine distance par rapport à la chanson suédoise. Et si parfois,
elle s’écarte plus encore, le tort en est à la rime, ce bijou. Ce
que je veux souligner, c’est que je suis quand même persuadé que
globalement, elles se ressemblent et qu’en tout cas, elles donnent
le même sens au sermon sur la scène.
Bon,
cette fois, dit Lucien l’âne, je conclus et je dis qu’il nous
faut tisser le linceul de ce vieux monde persécuteur, menteur,
voleur, assassin, criminel et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Si
on veut, il est facile de trouver des boucs émissaires
Et
bien que soit passé le temps des procès de sorcières,
On
n’en a pas oublié le principe, il est toujours bon ;
Quand
on veut quelque chose, toujours il répond
Et
comme le monde n’est pas encore parfait,
Si
parfois, on en a besoin, il est toujours prêt
Pour
qu’on donne libre cours à nos émotions
Et
qu’on se retrouve une once de considération.
Nous
avons rarement besoin d’un prétexte clair,
Souvent
suffit un défaut imaginaire.
Alors,
les amis de la justice se réunissent pour le procès
Qu’on
déroule à huis clos, en secret,
Et
rend un verdict selon la coutume usuelle
Et
ensuite, nous donnons la justification habituelle :
« Tout
n’est pas encore exactement comme on l’aurait souhaité,
On
a donc brûlé une autre sorcière pour des raisons de sécurité. »
Le
dégoût que vous ressentez pour votre existence,
Votre
manque de compétence et votre impuissance,
Le
doute que vous avez éternellement quant à votre intelligence,
Votre
désir d’ordre, de structure et de cohérence,
Les
livres à lire que vous n’avez jamais regardés,
Les
lettres que vous n’avez jamais écrites et votre mentale cécité
Sont
choses difficiles à affronter, même quand vous le voulez ;
Alors,
vous mettez une autre sorcière au bûcher pour des raisons de
sécurité.
Vous
rêvez de coucher avec des houris,
Pour
mille et une nuits, pour mille et deux nuits.
Vous
rêvez de parcourir le monde en millionnaires enviés
Et
obtenir exactement tout ce que vous voulez.
Vous
rêvez de vivre dans le luxe et l’abondance
Vous
voulez la mort d’autrui avec insistance,
Mais
vous n’osez jamais vraiment l’avouer.
Alors,
vous mettez
une autre sorcière au bûcher pour des raisons de sécurité.
Vous
voulez empoisonner, poignarder ou pendre
Ou
avec une locomotive écraser les plus tendres.
De
l’extérieur, vous aimez avoir l’air aimable et sensible,
Mais
au dedans, votre volonté est cruelle et primitive.
Il
vous plaît particulièrement de voir les autres mal finir
Et
de ressasser vos vilaines petites vilenies ou encore pire.
Mais
il est difficile de reconnaître sa propre malignité ;
Alors,
vous mettez une
autre sorcière au bûcher pour des raisons de sécurité.
Vous
avez peur d’attraper le sida ou la syphilis,
Le
cancer, la tuberculose ou la chaude-pisse.
Pour
le reste, vous êtes surtout une baudruche
Qui
refuse ses responsabilités et fait l’autruche.
Vous
volez dès que vous en avez l’occasion
Et
vous pleurez et vous réclamez la compassion.
Vous
vous prenez pour un génie incompris
Et
plutôt que d’agir, vous laissez tout aller de mal en pis.
Vous
mentez par habitude sans aucune réticence,
Il
vous manque sans doute une conscience.
Vous
avez peut-être honte de ce que vous avez perpétré,
Alors,
vous mettez une autre sorcière au bûcher pour des raisons de
sécurité.
En
réalité, vous vous détestez et ça vous attriste,
Alors
pourquoi ne pas en parler à votre analyste ?
Dites-lui
ce que vous ressentez et s’il s’étonne,
Dites-lui
que vous êtes vraiment une personne,
Que
vous êtes malade, que vous souffrez tellement.
Pensez
à votre réputation, car il reste peu de temps,
Car
vous êtes assez vieux et qu’il faut vous hâter.
Alors,
mettez une autre sorcière au bûcher pour des raisons de sécurité ?
Comme
nous avons été contraints de nous rendre,
Notre
ressentiment est fort et notre haine n’est pas tendre
Pour
celui qui a conservé ses idées et qui ne s’est pas rendu,
On
ne peut pas le tolérer, car nous avons perdu.
Tout
ce qui nous reste est une amère désillusion,
Tout
ce que nous avons est amertume et illusion,
Tout
ce qu’on peut espérer, c’est ignorer,
Et
croire que tout est juste et se garder de discuter.
Éviter
de se souvenir et penser que ça va bien,
Faire
semblant de ne comprendre jamais rien,
Nier
que nos espérances ont pris l’eau,
Que
la drogue nous a chamboulé le cerveau
Et
quand la mémoire vient, tout oublier.
Éviter
celui-là qui n’a pas cessé de rêver,
Celui-là
qui veut un autre monde, qui a d’autres envies,
Qui
conçoit un avenir meilleur et lutte pour la vie.
Et
alors, il nous prend un ressentiment incisif,
On
sent qu’on vit un moment décisif
Qu’il
faut agir pour ne pas être anéantis,
Pour
ne pas laisser nos espoirs démentis,
Et
soudain, on conclut follement,
Que
d’une seule personne tout dépend,
Que
toute cette diablerie est la faute de ce saboteur,
Que
derrière chaque mystère se cache un conspirateur
Qui
mène un diabolique complot
Pour
nous plonger tous dans le fiasco,
Qui
trame des plans odieux et manigance des mystères,
Qui
décide de faire monter l’eau et de noyer la terre.
Alors,
on sacrifie nos descendants dans un jeu menteur :
Le
bien, on l’appelle le mal ; le juste, on le nomme l’erreur.
Puis,
on passe la maladie aux enfants de demain,
De
notre lugubre mission, les schizophrènes témoins.
Telle
une immense cascade, la paranoïa nous abasourdit,
On
explose à l’intérieur tandis que du passé surgit
Une
senteur faible et lointaine de cerises, de camomille et d’été ;
Alors,
on remet une sorcière sur le bûcher
pour des raisons de sécurité.
À
chaque époque, nous avons eu cette
nécessité
D’inciter
à l’erreur pour couvrir notre culpabilité,
Pour
trouver à blâmer, pour brûler les sorcières,
Pour
faire un exemple, pour punir ces mégères.
Nous
avons crucifié Jésus et tant d’autres encore
Et
bâti une culture sur cette métaphore.
Depuis
lors, la pensée humaine est imprégnée
Du
mythe d’une paix
intérieure par les dieux donnée.
Ainsi,
on a répondu à la
honte qui nous plombe
Et
mis prématurément des millions de gens dans la tombe.
Car
la condition de la paix intérieure est le sacrifice sanglant
Et
c’est une langue qu’on comprend aisément.
Les
tout premiers chrétiens ont dû subir le châtiment de l’enfer,
On
les a jetés aux bêtes féroces, on les a mis aux fers.
Puis,
avec l’Inquisition, les croyants devenus majorité ont traîné
Les
hérétiques au bûcher
pour se faire par le
Père Éternel pardonner.
Ceux
qui n’étaient pas
d’accord ont
reçu le traitement qu’ils méritent,
Car
on doit tous soutenir ceux qui mènent et ce qu’on hérite ;
Tous
ceux qui pensaient innocents à de grandes choses et à la liberté
Ont
été dûment récompensés par les Autorités.
Certains
ont été assez futés pour revoir à temps leur position
Galilée,
par exemple, malgré ses signes de dénégation,
Pour
sa part, a proclamé l’immobilité de la Terre.
Et
ainsi, cette fois-là, on a évité de brûler une autre sorcière.
L’évêque
Brask était intelligent,
c’était une exception,
Un
bout de papier caché démentit sa soumission.
Cependant,
les Juifs, par millions, on les a brûlés ;
Tant
à se demander comment cela a pu arriver
Et
brûler le dissident, ça arrive encore maintenant parfois.
Qui
donc va allumer le prochain bûcher, ne serait-ce pas toi ?
Comme
avant, la chasse aux sorcières réjouit nos cantons,
Pour
chaque bouc émissaire abattu, on tire une salve de canon.
Si
par hasard, arrive un étranger,
On
lui colle à l’instant un faux nez
On
croque du communiste sans ménagement
Et
on regarde de travers celui qui n’est pas blanc.
Pourtant,
mille formes de vie libre animent les champs
Et
se glissent l’été parmi les petites fleurs des enfants.
Des
voyous et des vauriens de tout acabit,
Des
païens et des métis nous empestent jour et nuit,
De
dangereux escrocs se faufilent dans le noir,
On
regarde d’un œil noir passer des hommes noirs.
Un
rossignol gringotte dans le bosquet vert,
Et
pendant ce temps, on met au bûcher
une autre sorcière.
Maintenant :
à qui profite tout ça ? Réfléchissons un peu.
Il
s’agit, voyez-vous, de gens qui sont heureux
De
voir ici et là le bûcher des sorcières s’allumer,
Ravis
de voir chasser des fantômes dans l’obscurité.
Ce
sont eux qui se frottent les mains et sifflent un petit air,
Quand
une nuit de Walpurgis, brûlent les boucs émissaires
Alors
qu’eux, les mains sales s’en vont libres,
Dormir
en leur maison après avoir fermé la serrure.
Ils
exploitent
notre désillusion et
notre culpabilité.
Pour
qu’on ne s’aperçoive pas qu’ils viennent de nous voler.
Ils
jouent sur nos peurs un jeu si fin
Qu’on
ne sait plus ce qui est mal et ce qui est bien.
Ils
savent faire tourner la meule et se faire du blé
Et
se jouer de nous, pauvres corps courbés.
Nous,
on ne voit rien de leurs détournements
Et
on se retrouve Dons Quichotte face aux moulins à vent.
Ils
profitent
tranquillement quand
nous regardons
ailleurs,
Ils
se tiennent derrière des nuages de vapeur
Et
de nos efforts cumulés, font leur capital
Et
alors, on condamne ceux qui n’ont fait aucun mal.
Ils
ressemblent au magicien d’un spectacle de variétés.
Qui
nous abuse de fausses réalités,
Qui
fait des tours étonnants, sort une colombe son chapeau,
Qui
fait du pain avec le gâteau et transforme le vin en eau.
Et
nous, le bon public, on applaudit ses prestations :
Un
lapin est sorti du néant, il est vraiment mignon.
Le
monde veut être trompé et il pense à peine
À
ce qu’il a payé pour toute cette scène.
Le
tricheur jette une fausse carte sur la table,
Et
ramène à la maison ses gains considérables.
Et
nous, dépités, on s’accuse l’un l’autre.
C’est
lui ! Non,
c’est lui !
Non, c’était l’autre… !
On
cherche un nouveau bouc et le spectacle peut reprendre.
Quelque
chose clignote. Apprendrons-nous jamais à comprendre
Qu’il
y a quelque chose de louche quand la banque gagne toujours,
Même
si au coin de la rue, le bûcher flambe nuit et jour ?
Il
ne sert à rien de chasser les sorcières dans l’obscurité,
Ce
sont les règles du jeu que nous devons changer.
Jouer
sans tricher, si on le veut, nous, nous pouvons le faire,
Et
nous, on n’aura
pas besoin de brûler une autre sorcière.