ASIE-AFRIQUE
Version française – ASIE-AFRIQUE – Marco Valdo M.I. – 2018
d’après
la version italienne de Flavio Poltronieri – ASIA – AFRIKA –
2018
d’une
chanson turque – Asya-Afrika
– Zülfü
Livaneli – 1988
Dialogue
maïeutique
Voici,
Lucien l’âne mon ami, une chanson turque de Zülfü
Livaneli, qu’on a commencé à découvrir avec
Les
Murs (Duvarlar) et Güldünya.
Cette
chanson-ci est l’écho d’un poème de Nazim Hikmet : Adresse
aux
écrivains asiates et africains (Asya-Afrika
yazarlarina),
qui est une sorte de profession d’internationalisme ; l’une
comme l’autre s’inscrivent dans une logique tiers-mondiste, qui
fut celle de Nehru. Depuis, les choses ont évolué, toute une
histoire s’est écoulée. Si dans les principes, la chanson de
Livaneli est parfaitement dans la ligne des revendications d’égalité
humaine, dans les faits, auxquels elle se rapporte, elle ne
correspond plus aux situations d’aujourd’hui.
Oh,
Marco Valdo M.I. mon ami, c’est assez naturel. La chanson date d’il
y a 30 ans et elle se fondait sur des faits de l’époque. Et puis,
en quoi est-elle décalée par rapport à la situation actuelle ?
Peux-tu me l’expliquer ?
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, je m’en vais te détailler ces
éléments qui la rendent anachronique. La première strophe parle de
la Chine et de la place Tienanmen qui est une des plus grandes et
plus célèbres places de notre monde ; elle est le lieu par
excellence de la capitale de la Chine, Pékin. Elle
porte – par je ne sais quelle ironie de l’Histoire ! – ce
nom de Tienanmen qui signifie « Place de la porte de la
Paix céleste ». Cette strophe comprise comme on peut la
comprendre aujourd’hui semblerait indiquer que la chanson prend
parti pour les révoltés de Tienanmen et ce serait très bien ainsi,
si ce n’était que ce serait un contre-sens en ce qui concerne les
opprimés et les oppresseurs. Si les opprimés sont toujours les
opprimés et le peuple chinois, les oppresseurs d’aujourd’hui
qu’évoque la Place Tienanmen, c’est le Parti Communiste Chinois.
Je vois ton regard éwaré, je le vois qui me présente toute
l’incompréhension du monde ; alors, je m’explique.
La
chanson date de 1988 et malgré certains antécédents, on pouvait
voir cette place Tienanmen comme le lieu d’expression historique
des opprimés de la Chine.
L’année
suivant, en juin 1989, la 27ième Armée chinoise écrasait avec ses
chars les manifestants tout autour de cette place, occupée par le
peuple. La répression faisait plus de 10 000 morts. Selon Alan
Donald, l’ambassadeur britannique en poste à Pékin qui envoyait
les informations à son gouvernement, les blindés ont « roulé
sur les corps à de nombreuses reprises, faisant comme une « pâte »
avant que les restes soient ramassés au bulldozer. Restes incinérés
et évacués au jet d’eau dans les égouts ». Dans les jours
qui suivent, l’armée chinoise occupe Pékin et la répression
s’étend à tout le pays.
Il
est difficile d’imaginer que cette strophe ait eu le même sens en
1988, sauf à être une chanson prophétique prenant parti sur ce qui
allait se passer l’année suivante et que le sens qu’elle a pu
prendre après les massacres de 1989. Depuis lors, Tienanmen est
toujours symbole de lutte pour la liberté et contre l’oppression
et l’oppresseur d’alors est toujours au pouvoir et s’y accroche
solidement. Comme on le voit, la
Guerre de Cent Mille Ans ne connaît pas de frontières ;
elle fait rage partout et les riches et les puissants de partout font
brutalement la répression et la guerre aux pauvres et ils le font au
nom de Dieu, du Droit, de l’État, de la Nation, de la Race, de la
République, de la Démocratie, de la Liberté, du Peuple, du Parti, du
Prolétariat, du Prophète ou de n’importe quoi.
Quant
à la dernière strophe qui parle de l’Afrique du Sud, elle devrait
elle aussi être actualisée. Botha et Mandela, qui tous les deux
furent présidents du pays, ont disparu.
Effectivement,
Marco Valdo M.I., ces deux strophes sont circonstancielles et de ce
fait, ont perdu leurs repères pour la plupart des auditeurs ;
mais c’est le lot de toutes les chansons qui se focalisent sur une
actualité, par essence évanescente. Il fallait vraiment introduire
un peu d’histoire pour comprendre ces deux strophes de la chanson,
mais il en est une autre.
Il en
est une autre et celle-là, Lucien l’âne mon ami, est toujours
d’actualité, car elle est quasi-intemporelle. Que dit-elle ?
Elle affirme l’homme d’Asie et d’Afrique face à la
colonisation par le monde « européen » et la domination
du monde par l’Occident.
Maintenant,
si tu le veux bien, Marco Valdo
M.I. mon ami, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce
vieux monde déséquilibré, raciste, oppresseur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Je
suis asiate, je suis africain !