mardi 14 juin 2016

La Chanson du Savon

La Chanson du Savon

La Chanson du Savon – Marco Valdo M.I. – 2016
Seifenlied – Julian Arendt – 1928


Voici, mon cher Lucien l’âne, une chanson de cabaret qui ridiculise avec beaucoup d’ironie les sociaux-démocrates allemands, dont les candidats, pendant la campagne électorale de 1928, distribuaient aux meetings des savons estampillés « Votez SPD ».

Hola, dit Lucien l’âne, voilà bien une mauvaise idée. Il est vrai que la publicité et la propagande ne font généralement pas preuve d’énormément de subtilité. Mais quand même, c’est fort lourd un pareil symbole. De deux choses l’une en matière interprétation : soit le cadeau de savon pourrait laisser supposer que l’on considère que les électeurs à qui on les distribue sont des gens sales ; soit le SPD se prend lui-même pour une sorte de Monsieur Propre et a comme programme de tout nettoyer.
De mémoire d’âne, cette manie de la propreté est une des bases des partis de l’ordre ; un tel hygiénisme politique est fort inquiétant et ouvre la porte à des grands nettoyages, y compris ethniques.

Une initiative vraiment « propre » pour une Allemagne au bord du gouffre où les gens étaient préoccupés de trouver quelque chose à se mettre sous la dent avant même de penser à se laver.
Aux élections qui suivirent cette campagne, le SPD gagna quelques sièges, mais il n’obtînt même pas le tiers du parlement ; les nazis perdirent de nombreux sièges, mais les sociaux-démocrates en vue d’assurer une sorte de « paix nationale » appelèrent d’autres partis à participer au pouvoir : centre, droite et même, les nationaux-socialistes, réduits à même pas 3 % de l’électorat. C’est ainsi qu’en 1928, firent leur entrée dans les institutions quelques prétoriens de Hitler comme Hermann Goering, Joseph Goebbels et Wilhelm Frick.
Sans doute, les sociaux-démocrates ou d’autres partis, comme cela se voit actuellement dans des pays d’Europe, se coalisent avec les nationalistes, l’idée étant de les associer à la politique gouvernementale, de réduire leur opposition et de récupérer les électeurs.

Alors, Marco Valdo M.I. mon ami, à présent que le contexte est un peu éclairé, que peut donc bien raconter « La Chanson du Savon » ?

La chanson elle-même, comme je te l’ai déjà indiqué, est une solide moquerie assez acerbe qui vise cette distribution de savoir politique, systématisée dans le refrain :
« Moussons, frottons,
Savonnons,
Relavons
Nos mains à fond ! »

Dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, n’as-tu pas comme moi perçu dans ce quatrain comme une allusion à cet assassin qui se lave les mains pour effacer son crime ou plus bibliquement, une allusion à ce Ponce Pilate tant décrié par certains.

Lucien l’âne mon ami, je pencherais volontiers pour les deux hypothèses à la fois ; ce serait en syntonie avec la position de la social-démocratie de l’époque, qui venait d’assassiner la gauche socialiste, de réprimer le syndicalisme, de mettre au pas les organisations ouvrières et tout ce qui y ressemblait. Elle avait écrasé dans le sang la révolution et il s’agissait d’affirmer sa position de pouvoir et sa capacité de parti « responsable ».

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, mes oreilles d’âne entendent d’ailleurs cette antienne actuellement, c’est comme si les sociaux-démocrates et leurs alliés ne s’étaient rendu compte de rien, ignoraient la suite de cette « stratégie politique » et qu’ils avaient versé sur l’histoire un tombereau de silence et d’oubli. Mais dis-moi, maintenant ce que dit la chanson ?

Eh bien, vois-tu Lucien l’âne mon ami, je vais te synthétiser ça. La chanson reprend les diverses étapes de l’action de la social-démocratie à partir du moment où elle a commencé à se trahir elle-même en abandonnant sont engagement socialiste contre la guerre, quand elle s’était ralliée en 1914 à la politique guerrière de l’Empereur. Elle avait carrément tourné casaque, comme on dit chez nous.
Au quatrain suivant, elle se rallie à la République ; au suivant, elle massacre les ouvriers et les soldats démobilisés qui entamaient la révolution pour instaurer le socialisme, lors-même que la social-démocratie proclamait dans ses propres principes vouloir la révolution et le socialisme.
Enfin, elle participe au pouvoir et c’est sans doute, à ses yeux, une « bonne affaire ».

Comme je vois, « Bon sang ne peut mentir ! » ; mauvais sang non plus, me semble-t-il. À quel niveau ils étaient tombés ? À celui de l’épicerie, sans doute. Au niveau des comptes (électoraux) de boutiquiers sans foi ni loi. Entendons-nous bien, Marco Valdo M.I. mon ami, je n’ai rien contre les principes de l’épicerie et de la boutique quand ils sont appliqués à l’épicerie et à la boutique, ce sont alors même des principes sains et nécessaires, mais par contre, ils n’ont rien à faire dans d’autres domaines – et particulièrement, en politique. Comme je le vois par la chanson, l’époque déjà, les gens n’étaient pas dupes. Voyons cette chanson et reprenons notre tâche qui consiste à tisser le linceul de ce vieux monde électoral, calculateur, épicier et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Nous avons offert à nos frères
D’électoraux savons.
La prochaine fois, nous le referons
 ;
C’était une bonne affaire.

Moussons, frottons,
Savonnons,
Relavons
Nos mains à fond !

Nous l’avons approuvée,
Cette grande et sainte guerre.
Et nous avons tant cédé aux militaires,
Que notre conscience en est retournée.

Moussons, frottons,
Savonnons,
Relavons
Nos mains à fond !

Ensuite, nous sommes retombés sur nos pieds
Au noir-rouge-or, nous nous sommes ralliés.
Et puis, la révolution est venue,
On ne l’avait pas voulue.

Moussons, frottons,
Savonnons,
Relavons
Nos mains à fond !

Nous avons écrasé la révolte,
Le calme est revenu sur le terrain.
Le sang des rouges
Colle encore à nos mains.

Moussons, frottons,
Savonnons,
Relavons
Nos mains à fond !

Nous avons offert à nos frèresD’électoraux savons.
La prochaine fois, nous le referons
 ;
C’était une bonne affaire.


Moussons, frottons,
Savonnons,
Relavons
Nos mains à fond !