jeudi 13 mars 2014

CARROUSEL (SUR LES CHEVAUX DE BOIS)

CARROUSEL (SUR LES CHEVAUX DE BOIS)

Version française - CARROUSEL (SUR LES CHEVAUX DE BOIS) – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson allemande – Karussell (Wir reiten auf hölzernen Pferden) – Manfred Greiffenhagen – 1944








Texte de Manfred Greiffenhagen (1896-1945), juif allemand, berlinois, auteur de cabaret.
Musique de Martin Roman (1913-1996), lui aussi juif allemand, pianiste de jazz.
Texte trouvé sur The Lied, Art Song and Choral Texts Archive
Interprétation de la Norvégienne Bente Kahan dans son disque « Stemmer fra Theresienstadt » de 1995, publié dans les années suivantes aussi allemand et en anglais.
Récemment reproposée au grand public de la basse baryton allemand Christian Gerhaher et de la mezzo-soprano suédoise Anne Sofie von Otter dans le recueil intitulé « Terezín/Theresienstadt », publiée en 2008 par Deutsche Grammophon.

Interné à Theresienstadt, Manfred Greiffenhagen écrivit beaucoup des textes des pièces théâtrales et musicales mises en scène dans le camp-ghetto. Comme beaucoup d'artistes juifs enfermés là – parmi lesquels l'acteur Kurt Gerron – il fut forcé par les gardiens à jouer dans le documentaire de propagande « Der Führer schenkt den Juden eine Stadt » (Le Führer offre une ville aux Juifs ), produit par les nazis pour faire croire à la Croix Rouge que Theresienstadt était une colonie modèle pour la population de confession juive, alors qu'il ne s'agissait de rien d'autre que d'un camp de transit vers Auschwitz. Il suffit de penser que « Le Führer offre une ville aux Juifs » (dont le titre officiel est « Theresienstadt. Un documentaire de la zone de résidence juive ») fut produit en septembre de 1944 et qu'à la fin d'octobre de la même année, le ghetto avait été déjà liquidé. Le réalisateur Kurt Gerron et presque tous ceux qui y apparaissaient, furent éliminés à Auschwitz et à Dachau quelques semaines plus tard.

Martin Roman faisait partie de l'orchestre du violoniste Marek Weber. Déjà en 1932, les nazis interdirent au groupe de jouer en public. Presque tous les membres fuirent à l'étranger, à commencer par le leader (qui mourut à Chicago en 1964). Roman s'enfuit en Hollande, mais là, il fut capturé après l'occupation du pays. Enfermé à Theresienstadt, lui aussi – comme Greiffenhagen, Gerron et tant d'autres – fut forcé à participer à la farce propagandiste « Le Führer offre une ville aux Juifs ».

Un souvenir commun d'enfance, celui du vertige procuré le classique manège des chevaux de bois, devient ici l'allégorie de la vie dans le ghetto, le fait de ne pas pouvoir faire autre chose que tourner en rond dans une cage, en perdant même son humanité, pendant que tout autour n'est que misère, injustice et horreur, les rêves s'en vont et il ne reste – peut-être - que les souvenirs…

« Karussell » de Manfred Greiffenhagen et de Martin Roman donna son titre à un des spectacles mis en scène par Kurt Gerron à Theresienstadt, avant d'accepter de tourner « Le Führer offre une ville aux Juifs » avec l'espoir d'avoir la vie sauve. Espoir vain… la dernière image de Kurt Gerron est celle rapportée par un déporté survivant, qui le vit devant la porte grand ouverte d'un wagon s'agenouiller face à un officier SS, en implorant d'être épargné ; après avoir reçu un coup de pied très violent du nazi, Kurt Gerron fut porté à bras par d'autres prisonniers… À l'arrivée à Auschwitz, Gerron fut immédiatement envoyé à la chambre à gaz, avec sa femme. C'était le 28 octobre de 1944, la fin du Reich approchait et ils furent parmi les derniers prisonniers à faire cette fin-là… De ceux qui parurent dans ce documentaire de propagande tournée à Theresienstadt, les seuls à survivre furent Martin Roman et un autre musicien de jazz, le guitariste Heinz Jakob « Coco » Schumann.
« Karussell » est également le titre d'un documentaire sur Kurt Gerron tourné en 1999 par le réalisateur polonais Ilona Ziok.


La traduction anglaise ci-après est attribuée à Siegfried Translateur, sur le blog de Katie Cruel.
Siegfried Translateur (1875-1944) a été un directeur d'orchestre et un compositeur polonais de confession juive. À Berlin il fonda « Lyra », une maison d'éditions musicales. En 1938, les nazis le forcèrent à fermer et Translateur vendit sa société à l'éditeur Bosworth de Londres. Ensuite on perd sa trace. elles se perdirent les traces. On le retrouve à Theresienstadt, où il mourut de privations le 1 Mars de 1944 à l'âge de 68 ans.



Du temps d'il y a longtemps
Quand nous étions petits enfants,
Nous avions comme espérance
De vivre tranquillement chez papa
Ou d'avoir comme récompense
Un tour sur les chevaux de bois
Tous les enfants lançaient le même appel :
Le carrousel, ah s'il vous plaît, s'il vous plaît, le carrousel…

Sur les chevaux de bois
On tournait mille fois
On soupirait à en perdre la tête,
Avant même que commence la fête.

C'était un voyage étrange,
Comme une promenade d'anges
De cette ronde, on ne se lassait pas du tout
Et pourtant, on s'amusait beaucoup.
Et le son de l'orgue de Barbarie
Ne s'oublie jamais dans la vie,
Quand les images ont depuis longtemps pâli,
Dans l'oreille, la mélodie encore retentit:

Sur les chevaux de bois
On tourne mille fois
Quand étourdis, on s'arrête,
On veut rester à la fête.

La vie est une grande illusion
Et donne seulement des passions
Sens et valeur et respiration
Bourse, loterie, ambition,
Cinéma, football, tabac --
À chacun son cheval de bois.
Laissez-nous nos sensations :
L'illusion, ah s'il vous plaît, s'il vous plaît, l'illusion

Sur les chevaux de bois
On tourne mille fois
On soupire à en perdre la tête,
Avant même que commence la fête.
Les hommes ont des ambitions --
Même s'ils vivent dans l'indigence,
Ils veulent être des champions
Même si on a peu d'espérances
C'est quand même une satisfaction
De crier avec d'autres pas de chance :
Écoutez des fantômes la revendication :
La différence, ah s'il vous plaît, s'il vous plaît la différence…

Sur les chevaux de bois
On tourne mille fois
On soupire à en perdre la tête,
Avant même que commence la fête.

C'était un voyage étrange,
Comme une promenade d'anges
De cette ronde, on ne se lassait pas beaucoup
Et pourtant, on s'amusait beaucoup.
Et le son de l'orgue de Barbarie
Ne s'oublie jamais de la vie,
Quand les images ont depuis longtemps pâli,
Dans l'oreille encore, la mélodie retentit.


Sur les chevaux de bois
On tourne mille fois
Quand étourdis, on s'arrête,
On veut rester à la fête.