vendredi 15 juin 2018

LE COMBAT ENTRE CARNAVAL ET CARÊME


LE COMBAT ENTRE

CARNAVAL ET CARÊME
 
Version françaiseLE COMBAT ENTRE CARNAVAL ET CARÊME – 2018
d’après la version italienneLOTTA TRA CARNEVALE E QUARESIMA – Krzysztof Wrona – 2014
d’une chanson polonaise –Wojna postu z karnawałemJacek Kaczmarski – 1992
Texte et musique : Jacek Kaczmarski
De son
album homonyme inspiré du tableau de Pieter Brueghel (ou Bruegel) l'Ancien
Texte tiré de http://www.kaczmarski.art.pl/index.php




Dialogue maïeutique

L’autre jour, dit Marco Valdo M.I., on parlait de Jérôme Bosch qui était le protagoniste d’une chanson polonaise, écrite et interprétée par Jacek Kaczmarski. Comme elle m’avait beaucoup plu, je me suis intéressé à d’autres chansons du même avec cette condition complémentaire qu’elles soient traduites dans une langue que je maîtrise plus ou moins ; en l’occurrence, l’italien. La chance veut que dans les Chansons contre la Guerre, il y ait un contributeur polonais de grande qualité qui ouvre le spectre des CCG sur le monde inexploré de la chanson polonaise contemporaine (ou presque) et même au-delà, vers d’autres langues et cultures slaves.

En effet, dit Lucien l’âne, c’est une grande chance.

Mais en plus d’amener des chansons dans ces langues que je ne connais absolument pas, il en fait de très remarquables versions italiennes. Riccardo Venturi le fait aussi, mais il y a tellement de chansons dans tellement de langues qu’on n’est jamais trop à collaborer, ni trop à proposer de nouvelles chansons, ni trop à en proposer des versions dans l’une ou l’autre langue. Moi, comme tu le sais, je m’en tiens au français et à quelques langues proches – italien, espagnol, allemand, qui servent en quelque sorte de ponts qui permettent le passage depuis les autres langues. Dès lors, il est évident que les contributions de Krzysztof Wrona sont précieuses et en tout cas également, il me paraît juste et nécessaire (ou l’inverse) de connaître et de faire connaître Jacek Kaczmarski.

Mais, dit Lucien l’âne, il est mort il y a quinze ans.

Raison de plus, reprend Marco Valdo M.I., car il est d’une grande originalité. Je prends l’exemple de cette chanson et de celle que j’ai traduite précédemment : MAÎTRE HIERONYMUS VAN AKEN DE BOIS-LE-DUC, DIT JÉRÔME BOSCH, qui découlent du fait que Jacek Kaczmarski est fort intéressé par la peinture et qu’il a fait diverses chansons autour du travail des peintres. C’est pas banal et démontre une certaine ambition qui dépasse les frontières habituelles de la chanson. Cette fois, il s’agit de la description d’un tableau de Pieter Brueghel l’Ancien, intitulé « Het gevecht tussen carnaval en vasten », daté de 1559. Il n’est pas le seul à avoir abordé ce sujet, notamment des peintres issus de l’atelier de Jérôme Bosch. Tout cela m’intéresse encore plus du fait que Pieter Brueghel est un contemporain de Till, qui – comme tu le sais – est le héros de la Légende écrite par Charles de Coster, une légende que je mets en chansons.

Oh, dit Lucien l’âne, décrire des tableaux en chansons est certainement une riche idée, mais étrange. Enfin, pas si étrange que ça quand on y réfléchit puisque les tableaux racontent et scénarisent des histoires.

C’est, Lucien l’âne mon ami, précisément le cas de celui de Brueghel qui met en scène, à la façon des allégories, les deux moments antagonistes du monde que sont le Carême (ou le dénuement imposé) et le Carnaval (la profusion – un moment – reconquise) et par ce biais, il fait resurgir les contrastes qui meublent nos sociétés. Et par contraste justement, on voit apparaître la situation difficile du peintre dans un monde corseté par les églises et les croyances. Comme dans certaines peintures antérieures, le vrai sujet, le véritable endroit d’expression du peintre était dans tout ce qui était accessoire au sujet principal imposé, au sujet obligé – la Vierge, la Crucifixion, etc. : les personnages secondaires, le paysage, le décor ou alors, même quand il peint les personnages centraux, le peintre dévie quelque peu son art et les représente en introduisant de subtiles nuances dans leur allure, leur costume, leur posture, etc.

En somme, dit Lucien l’âne, l’art est codé et comme pour la musique et les chansons, il suffit de décoder. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde inculte, vénal, dogmatique, corseté et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Une cohue insolite se presse sur la place du marché du centre,
Aux fenêtres, aux portes et au puits, dans l’église et dans la taverne.
La fourmilière disparate des marchands, des moines,
Des bouffons et des nains essaime au milieu du tapage.

Le travail est un jeu, la distraction est un travail :
Les dés roulent par terre, les cartes remplacent la limaille,
Qui ne joue pas, ne compte pas, ceux qui jouent – pardonnent,
Dans cette foule, on ne peut distinguer personne.

Sous le porche du temple, on voit sur une nappe des croix d’argent à trois sous,
Des pénitents sortent par la porte latérale, absous,
Parmi les moines, des mendiants implorent agenouillés dans la poussière ;
On ne réussit pas à distinguer, qui est un saint et qui un tartuffe.

Toute la ville est bancale,
Vieillards et ou jeunots même
Ne savent si Carême est Carnaval
Ou Carnaval Carême !

Toute la ville est bancale,
Vieillards et ou jeunots même
Ne savent si Carême est Carnaval
Ou Carnaval Carême !

Maître Carnaval est monté sur son baril de cent litres
Sa boudine sert de bouclier, le rire gras sur son visage fait son heaume.
Il a fixé la tête grillée d’un porcelet sur sa lance,
Elle sera bouffée ; à l’orgie, ce sera un butin à prendre.

Face à lui – un trône de bois tiré par des prêtres,
Et sur le trône, est engoncé l’apôtre émacié de Carême.
Pour la victoire, il demande pardon à Dieu, par avance,
Il empoigne la Rame de Pierre à la place de sa lance.

Les factieux se bombardent de slogans et de prières,
Le ménestrel chante comme une vache qui vêlaille.
Dans la taverne pleine à craquer, le populaire attend l’heure,
Un enfant agite son petit drapeau – il y aura une grande bataille !

Toute la ville
est bancale,
Vieillards et ou jeunots même
Ne savent si Carême est Carnaval
Ou Carnaval Carême !

Toute la ville est bancale,
Vieillards et ou jeunots même
Ne savent si Carême est Carnaval
Ou Carnaval Carême !

Assis à la fenêtre, je regarde de haut, j’ai à l’œil le monde entier,
Je vois, qui vole quoi, qui trompe, ce qu’il cherche dans le tumulte.
À la brune, j’irai à l’église, je confesserai mes péchés,
De nuit, je ferai un tour sur la place pour ramasser les restes.

Avec ça, je réjouirai votre miséreux peuple bien-aimé
En lui offrant une grandiose noce carnavalesca-quadragésimale.
Pour révéler en votre compagnie toute la vérité :
Mon âme – désire le carême, mon corps – le carnaval ! ! !