PENSER LOIN
Version française – PENSER LOIN – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson italienne – Pensa lontano – Massimo Chiacchio – 2007
Adaptée
librement de
« Lettere di una città bruciata » d’Erri
De Luca.
Paroles et musique : Massimo Chiacchio
Voix
II : Massimiliano
Larocca
Album : Sasso
FÊTE FORAINE
Wilson Leicester ca. 1925
À propos des « Lettere di una città bruciata »
La parola politica è oggi carica di connotati loschi, di interessi privati. In queste lettere, e per vent'anni del secolo scorso, questa parola è stata impugnata da una gioventù ostinata e ostile ai poteri. Politica fu allora una breccia per diritti nuovi, una forza di rovescio di ingiustizie. Partiva dal basso e spostava tutti i limiti imposti dall'alto. Per esempio nelle fabbriche si passava dalla dittatura della produzione alla democrazia dei produttori. Politica era allora una forza che metteva al centro quelli che erano dispersi nella periferia della circonferenza. Nelle scuole, nelle caserme, nelle prigioni, le rivolte davano peso ai subalterni, alle maggioranze. Queste lettere tengono conto di un altro tempo della parola politica. Coinvolse molto popolo, durò circa vent'anni. Comportò linee di rottura, pratiche di conflitto. Sradicò esistenze. Per chi è venuto dopo, per chi ha dimenticato trascrivo da Cesare Pavese : « Tu non sai le colline / dove si è sparso il sangue. / Tutti quanti fuggimmo / tutti quanti gettammo / l’arma e il nome ». Queste lettere, anche recenti, risentono di quella parola politica, una voce aspra, incompatibile con l’andante e con l’andazzo.
Erri De Luca
Le mot politique est aujourd’hui chargé de connotations louches, d’intérêts privés. Dans ces lettres, et pendant vingt ans du siècle dernier, ce mot a été brandi par une jeunesse obstinée et hostile aux pouvoirs. La politique était alors une ouverture pour de nouveaux droits, une force pour renverser les injustices. Elle partait du bas et repoussait toutes les limites imposées d’en haut. Par exemple, dans les usines, on passait de la dictature de la production à la démocratie des producteurs. La politique était alors une force qui mettait au centre ceux qui étaient dispersés à la périphérie de la circonférence. Dans les écoles, dans les casernes, dans les prisons, les révoltes donnaient du poids aux subalternes, aux majorités. Ces lettres tiennent compte d’un autre temps de la parole politique. Elle impliqua de nombreuses personnes et dura environ vingt ans. Il comporta des lignes de rupture, des pratiques conflictuelles. Elle déracina des existences. Pour qui est venu après, pour qui a oublié, je transcris de Cesare Pavese : « Tu ne connais pas les collines / où s’est répandu le sang / Nous avons tous fui / nous avons tous jeté / l’arme et le nom ». Ces lettres, même récentes, sont affectées par ce mot politique, une voix dure, incompatible avec l’andante et l’andazzo.
Erri De Luca
Dialogue maïeutique
Tu vois, Lucien l’âne mon ami, encore une fois, je m’en vas t’expliquer le titre de cette chanson, car ce « Pensa lontano » que je rends par « Penser loin » est un impératif rendu par un infinitif ; c’est inhabituel, mais correct ; c’est même plus fort, car il s’agit d’affirmer un principe, une règle de vie. Ce « Penser loin » est en quelque sorte une injonction, l’affirmation d’une nécessité de regarder au-delà des évidences du court terme sociétal, de voir plus loin que le bout de son nez afin précisément de ne pas se laisser mener par le bout du nez par leur monde de propagande publicitaire.
Oui, dit Lucien l’âne, on est dans le monde de la carotte.
Donc, reprend Marco Valdo M.I., je reviens à cette chanson qui est une chanson politique et une chanson qui – comme le laisse imaginer son titre – pense. On ne peut la comprendre véritablement sans la relier à l’écrivain italien Erri De Luca et à son parcours littérairo-politique et par conséquent aussi à cette période de l’histoire contemporaine (mais l’est-elle encore ?) où l’Italie était parcourue de soubresauts sociaux. En gros les années 1968-1980, quand le pays était secoué par une révolte ouvrière qui avait de l’ambition révolutionnaire et du sentiment communiste. On n’en dira pas plus ici, car c’est en soi toute une histoire et nous ne sommes pas historiens et mal placés pour raconter celle-là. De toute façon, ce sera suffisant pour mon propos.
Oh, tu as raison, dit Lucien l’âne, nous ne pouvons pas jouer les génies universels. Mais je t’en prie, dis ce que tu as à dire, car ça, ça m’intéresse toujours de le savoir.
Soit, dit Marco Valdo M.I., c’est de toute façon le principe-même du dialogue. Donc, je notais que je n’avais pas besoin d’une histoire plus développée de ces années-là, de ces « années pas vraiment formidables où le temps respirait à des cadences instables », qui sont les années de la première partie de la chanson. Ce furent des années de luttes intenses et closes d’amères conclusions. Vois donc :
« des années superflues, liquides, égarées,
Assoupis aux crépuscules raréfiés,
Nous sommes rentrés dans le rang à notre tour ».
C’est le sentiment (et même le ressentiment) d’un échec, crûment exprimé.
Et alors, dit Lucien l’âne, après cet échec, qu’y a-t-il eu ?
Eh bien, Lucien l’âne mon ami, c’est précisément ce dont parle la seconde partie de la chanson, qui raconte, décrit, décrypte le monde actuel et pour le coup, contemporain :
« Vous pouvez naviguer sans vent et dans l’obscurité
Dans cette nouvelle vie
Et télécharger les nouvelles prières,
Sur ce fragile autel de la technologie
Et de la misère. »
À moins, dit Lucien l’âne, comme nous le faisons depuis tant et tant e temps, de se mettre à l’écart, de se tenir en dehors et de prendre le temps comme il vient, car la vie, elle, continue comme elle va jusqu’à son ultime hoquet et elle vaut la peine d’être vécue justement, car elle est unique pour chacun. La vie, c’est l’unique propriété.
Effectivement, reprend Marco Valdo M.I., c’est d’ailleurs ce que signifie la chanson lorsqu’elle égrène son mantra :
« Penser loin, descendre du manège »
Oui, dit Lucien l’âne, je vois de quoi tu parles et il me paraît à moi qu’il en va ainsi pour chacun, âne ou humain, d’autant que pour ce qui est du manège, les ânes savent quel maudit tourniquet, c’est. Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde amer, délétère, toxique, vicié, pollué et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ce
n’était pas vraiment des années formidables,
Le temps respirait à des cadences instables.
Il y avait des tempêtes d’extravagances,
Et des amours, des gestes outranciers
Entre le premier rang et les boucliers
Et le vide mesurait la distance.
Sous un ciel noir étouffant
Et le feu de Milan,
Dans la rue, Carlo m’a parlé doucement
De sa femme et de ses enfants,
De ses attentes navrées,
Que le chemin est marqué,
Que le futur a ses coordonnées.
Et après des années superflues, liquides, égarées,
Assoupis aux crépuscules raréfiés,
Nous sommes rentrés dans le rang à notre tour
Pour sécuriser notre vol
Entre le départ et le retour,
Entre la paix et le tritole.
Penser loin, descendre du manège,
Il y a toujours un temps étrange
Qui frappe au hublot,
Qui toque au carreau.
Il n’y a rien de bon, faut y penser ;
Dans les règles du manuel,
Il n’y a pas de sel,
Il n’y a pas de blé.
Ce n’est pas que ce soient des années formidables,
On a de parfaites boussoles et des codes innombrables.
Dociles consommateurs,
Nous prouvons notre existence
Et aux nouveaux prêcheurs,
Nous n’opposons plus de Résistance.
Et notre vie est un copié-collé
De la publicité,
Retouché et glacé
D’un bonheur préemballé,
Et nous passons les portails
De nos prisons, avec nos yeux
Et un sourire en éventail
Pour avoir l’air beaucoup mieux.
La liberté ! Quelle grande invention, la liberté !
Vous pouvez naviguer sans vent et dans l’obscurité
Dans cette nouvelle vie
Et télécharger les nouvelles prières,
Sur ce fragile autel de la technologie
Et de la misère.
Penser loin, descendre du manège,
Il y a toujours un temps étrange
Qui frappe au hublot,
Qui toque au carreau.
Il n’y a rien de bon, faut y penser ;
Dans les règles du manuel,
Il n’y a pas de sel,
Il n’y a pas de blé.