La
Vieille
Dialogue
maïeutique
Mon
ami Lucien l’âne, au chapitre des événements qui constituent
l’actualité de la Guerre
de Cent
Mille Ans
[[7951]] que les riches et les puissants font aux pauvres, on oublie
souvent que les plus nombreux de ces faits-divers sont considérés
comme des événements civils qui se déroulent en temps de paix. Du
moins, c’est ce que la doxa prétend.
Oh,
Marco Valdo M.I. mon ami, tu fais bien de rappeler que nous vivons à
l’ère de la Guerre de Cent Mille Ans et que ce sont les riches qui
font la guerre aux pauvres et non l’inverse. Les pauvres n’ont
jamais voulu que se défendre contre l’oppression et l’esclavage,
contre la domination et l’appropriation des biens communs par le
privé. À ce propos, la privatisation par les riches n’est rien
d’autre que la privation pour les pauvres.
Certes,
Lucien l’âne mon ami, et comme tu le sais, la Guerre et la Paix
sont une seule et même chose ; elles ne sont l’une et l’autre
que des formes et des intensités différentes du même état du
monde ; en quelque sorte, on pourrait établir une sorte de
continuum de cet état de toute société, une sorte
d’échantillonnage des situations en fonction de la catégorie
d’intensité, mesurée sur une échelle unique.
D’accord
pour une mesure d’intensité, Marco Valdo M.I. mon ami, je suis
parfaitement ton raisonnement. Cependant, la question est de savoir
d’une intensité de quoi ?
À
mon sens, répond Marco Valdo M.I., ce n’est pas un phénomène
simple et appréhendable à partir d’une seule variable. C’est
assez complexe. Ordinairement, quand on pense à une mesure sur une
échelle donnée, on songe à la distance, à la taille, à la durée,
à la température, à la vitesse, au volume, à la surface, au
nombre, etc. L’échelle oriente la mesure par rapport à un point
arbitraire, qui est l’endroit où on passe d’un état à
l’autre : du plus ceci au moins ceci, qu’on peut noter en
chiffres négatifs ou positifs, selon qu’on est du côté positif
ou négatif de l’échelle. Il en va de même pour l’échelle
Guerre-Paix ou l’échelle de la domination, par exemple.
Généralement, on ne mesure qu’une dimension, une seule variable.
Dans la réalité, il y a toujours de multiples variables qui
interagissent et pour mesurer un état donné, il est nécessaire
d’établir une formule qui intègre plusieurs (ce qui va de
quelques-uns à beaucoup) de ces éléments et convertir ce résultat
en une donnée unique qu’on place alors sur l’échelle. C’est
au travers des positions relatives des résultats obtenus par une
série de mesures qu’on peut étudier l’évolution d’intensité.
C’est ainsi qu’il faut envisager l’étude du continuum
multidirectionnel « guerre-paix », qui n’est pas un
phénomène linéaire comme on pourrait le penser. Et si on veut s’en
faire une représentation linéaire, il faut se le représenter
multidirectionnel, sinueux, globuleux et il faut in fine, lui
accorder des dimensions multiples et le concevoir comme un volume
temporel.
Parfait,
Marco Valdo M.I. mon ami, la Guerre-Paix, la guerre et la paix sont
une seule et même chose irisée et polymorphe. Soit, mais encore ?
Qu’est-ce que ça a à voir avec la chanson ? Quel rapport
avec cette chanson qui s’intitule, je le vois, « La
Vieille » ?
J’y
viens, Lucien l’âne mon ami. Dans notre société de Guerre-paix,
il est de multiples combats, de très différents épisodes à des
degrés d’intensité variables et hétérogènes. On pourrait
comparer la société à un pays occupé où les habitants subissent
diverses exactions, diverses discriminations et y réagissent plus ou
moins intensément. Certains individus, certains groupes sont
impliqués plus que d’autres dans ces phénomènes de pression
sociale et singulièrement, les plus faibles, en premier lieu. La
chanson parle d’un de ces groupes ; elle évoque, comme son
titre l’indique, la situation faite aux vieux. Aux vieux pauvres,
évidemment ; les vieux riches connaissent une autre histoire.
Donc,
une histoire de vieux pas riches – là aussi, il y a une échelle
qui va du plus au moins. Même si certains progrès ont été
imposés, même si certaines choses se sont améliorées, il y a un
véritablement un affrontement entre les vieux et la société ;
plus exactement, il y a une furieuse, sourde, aveugle lutte qui se
déroule autour du destin que l’on réserve aux vieux ; c’est
vrai aussi pour les malades, les handicapés, les migrants, les
chômeurs, etc. D’aucuns en parlent comme des exclus. Tous ces
gens-là coûtent et ne produisent pas de plus-value directe. Il
s’agit quand même de minimiser les coûts, comme dans la
production. Il s’agit aussi de ne pas montrer, de ne pas laisser
voir les désarrois ; il s’agit de les cacher.
Et
puis, héritage d’une longue imprégnation religieuse, il y a la
condescendance charitable, le regard de compassion, le sourire de
commisération qui enveloppent les vieux.
La
vieille de la chanson a bien enregistré tout ça et elle va
enclencher par sa réaction un mouvement de révolte et refuser,
comme le fit récemment une vache hollandaise, d’aller sans réagir
au mouroir. Le reste est dit par la chanson.
Évidemment,
dit Lucien l’âne, les vieux, on les comprend. On comprend ces
vieux de la chanson, ils marchent encore. Mais ceux qui n’en
peuvent plus de vivre…
Bien
sûr, Lucien l’âne mon ami, l’affaire est complexe. Autant il
est malsain d’éloigner les vieux et de les parquer à l’écart
quand ils sont encore ingambes, autant il est indispensable de les
accueillir dans des lieux corrects pour les accompagner et même, les
conduire jusqu’au terme du voyage. Ta remarque est dès lors
salutaire : la vieille réveille des vieux et des vieilles
pareils à elle ; des vieilles et des vieux qu’on a mis au
trou trop tôt. De plus, pour cette avant-dernière étape – cette
« phase terminale », comme dit Patrick Font, il n’y a
pas assez de places et elles font l’objet de lucratifs
investissements. Dès qu’ils ont un peu de moyens, les vieux sont
une énorme vache à lait d’une sordide spéculation. Et aux deux
extrémités de l’échelle, selon que vous serez un vieux riche ou
un misérable, l’accompagnement précautionneux se fera ou ne se
fera pas.
Si
je comprends bien, dit Lucien l’âne, en gros, c’est paye ou
crève ! Alors, dit Lucien l’âne, vive la vieille à la
souplesse d’abeille et ses amis et le moment venu, nous en serons
aussi. C’est une histoire réjouissante que celle de cette
vieille-là, hosanna, alléluia ! Quant à nous, reprenons notre
tâche et tissons le linceul de ce vieux monde exploiteur, méprisant,
méprisable et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
« Je
n’ai pas besoin de vous pour ranger mes vêtements,
Partez, vous m’encombrez », dit la vieille en sautant
À pieds joints sur sa valise. On aurait dit Popeye,
Elle avait encore la souplesse des abeilles
Et d’un pas décidé, vers la gare Saint-Lazare,
Tandis qu’on faisait semblant de pleurer son départ,
Elle s’en allait trottant, son bagage à la main,
Avec deux ou trois pauses pour se tenir les reins.
« Je n’ai pas besoin de vous », dit-elle au contrôleur,
« Laissez-moi ma valise, j’en ai pour un quart d’heure.
L’hospice est en banlieue, on dit que c’est un château
Où les vieux jouent au Scrabble et aux petits chevaux.
Moi, j’ai horreur de ça, comprenez-vous, Monsieur ?
Je n’aime que les westerns avec plein de coups de feu.
J’ai vu 14 fois « L’infernale Chevauchée »,
Je vous le raconterais bien, mais nous sommes arrivés. »
« Je n’ai pas besoin de vous », dit-elle à l’infirmière,
« Pour déplier mes draps, laissez-moi, j’ai à faire. »
Alors, de sa valise, à l’abri des regards,
Elle sortit 20 bouteilles d’un célèbre pinard,
Descendit au salon où les vieux et les vieilles
Jouaient aux petits chevaux, en se grattant l’oreille.
« Bonsoir, messieurs, mesdames, je m’appelle Fanchon ;
L’un d’entre vous n’aurait-il pas un tire-bouchon ? »
« Je n’ai pas besoin de vous », disait-elle au médecin,
En élevant vers lui son troisième verre de vin
Tandis que les vieillards, autour de la pendule,
Chantaient à quatre voix « la grosse bite à Dudule »
Et l’on vit ce spectacle – oh ! combien ravissant –
De quatre-vingts gâteux quittant l’établissement
Afin de ratisser les hospices du pays,
Arrachant à la mort, les moribonds surpris !
« Je n’ai pas besoin de vous », disait-elle au curé,
Qui, sur le lit d’un vieux, s’esquintait à prier.
« Vous voyez bien que ce cadavre n’est pas mort,
S’il ne respire plus, par contre, il bande encore,
Un petit coup de branlette le remettra sur ses pattes,
Comme un coup de manivelle sur une vieille Juva 4. »
Le prêtre révulsé tombait les bras en croix,
Il respirait encore, mais il ne bandait pas.
« Je n’ai pas besoin de vous », répétaient tous les vieux,
Chaque fois qu’un député voulait s’occuper d’eux,
Car vous n’avez pas su vous occupez de nous,
Du temps où nous avions encore confiance en vous.
« Tous vos moyens sont bons pour gagner la Coupole,
Si les morpions votaient, vous auriez la vérole.
En tant qu’improductifs, nous ne produirons pas,
Un imbécile de plus à la tête de l’État. »
« Je n’ai pas besoin de vous », dit-elle aux nécrophages,
Qui la poussait dans le ghetto du troisième âge.
« Saloperie de technocrate qui inventa cette formule,
Du haut de mon mépris, saloperie, je t’encule,
(C’est la première fois que je dis un gros mot »)
Et tout en se servant un petit verre de porto,
Elle fit un bras d’honneur, on aurait dit Popeye.
Elle avait encore la souplesse des abeilles.
Partez, vous m’encombrez », dit la vieille en sautant
À pieds joints sur sa valise. On aurait dit Popeye,
Elle avait encore la souplesse des abeilles
Et d’un pas décidé, vers la gare Saint-Lazare,
Tandis qu’on faisait semblant de pleurer son départ,
Elle s’en allait trottant, son bagage à la main,
Avec deux ou trois pauses pour se tenir les reins.
« Je n’ai pas besoin de vous », dit-elle au contrôleur,
« Laissez-moi ma valise, j’en ai pour un quart d’heure.
L’hospice est en banlieue, on dit que c’est un château
Où les vieux jouent au Scrabble et aux petits chevaux.
Moi, j’ai horreur de ça, comprenez-vous, Monsieur ?
Je n’aime que les westerns avec plein de coups de feu.
J’ai vu 14 fois « L’infernale Chevauchée »,
Je vous le raconterais bien, mais nous sommes arrivés. »
« Je n’ai pas besoin de vous », dit-elle à l’infirmière,
« Pour déplier mes draps, laissez-moi, j’ai à faire. »
Alors, de sa valise, à l’abri des regards,
Elle sortit 20 bouteilles d’un célèbre pinard,
Descendit au salon où les vieux et les vieilles
Jouaient aux petits chevaux, en se grattant l’oreille.
« Bonsoir, messieurs, mesdames, je m’appelle Fanchon ;
L’un d’entre vous n’aurait-il pas un tire-bouchon ? »
« Je n’ai pas besoin de vous », disait-elle au médecin,
En élevant vers lui son troisième verre de vin
Tandis que les vieillards, autour de la pendule,
Chantaient à quatre voix « la grosse bite à Dudule »
Et l’on vit ce spectacle – oh ! combien ravissant –
De quatre-vingts gâteux quittant l’établissement
Afin de ratisser les hospices du pays,
Arrachant à la mort, les moribonds surpris !
« Je n’ai pas besoin de vous », disait-elle au curé,
Qui, sur le lit d’un vieux, s’esquintait à prier.
« Vous voyez bien que ce cadavre n’est pas mort,
S’il ne respire plus, par contre, il bande encore,
Un petit coup de branlette le remettra sur ses pattes,
Comme un coup de manivelle sur une vieille Juva 4. »
Le prêtre révulsé tombait les bras en croix,
Il respirait encore, mais il ne bandait pas.
« Je n’ai pas besoin de vous », répétaient tous les vieux,
Chaque fois qu’un député voulait s’occuper d’eux,
Car vous n’avez pas su vous occupez de nous,
Du temps où nous avions encore confiance en vous.
« Tous vos moyens sont bons pour gagner la Coupole,
Si les morpions votaient, vous auriez la vérole.
En tant qu’improductifs, nous ne produirons pas,
Un imbécile de plus à la tête de l’État. »
« Je n’ai pas besoin de vous », dit-elle aux nécrophages,
Qui la poussait dans le ghetto du troisième âge.
« Saloperie de technocrate qui inventa cette formule,
Du haut de mon mépris, saloperie, je t’encule,
(C’est la première fois que je dis un gros mot »)
Et tout en se servant un petit verre de porto,
Elle fit un bras d’honneur, on aurait dit Popeye.
Elle avait encore la souplesse des abeilles.