Le Parti National Social
Chanson française – Le Parti National Social – Marco Valdo M.I. – 2021
Épopée en chansons, tirée de L’Histoire du Parti pour un Progrès modéré dans les Limites de la Loi (Dějiny Strany mírného pokroku v mezích zákona) de Jaroslav Hašek – traduction française de Michel Chasteau, publiée à Paris chez Fayard en 2008, 342 p.
Épisode 1 – Le Parti ; Épisode 2 – Le Programme du Parti ; Épisode 3 – Le Fils du Pasteur et le Voïvode ; Épisode 4 – La Guerre de Klim ; Épisode 5 – La Prise de Monastir ; Épisode 6 – La Vérité sur La Prise de Monastir ; Épisode 7 – Le Parti et les Paysans ; Épisode 8 – Le Premier Chrétien ; Épisode 9 – Le Provocateur ; Épisode 10 – La Victoire morale ; Épisode 11 – Le Parti et ses Partisans ; Épisode 12 – Le Monde des Animaux ;
Épisode 13
PROMÉTHÉE
Antonín Procházka - 1911
Dialogue maïeutique
La politique, Lucien l’âne mon ami, est une chose curieuse, une étrange pratique que l’on trouve dans certaines sociétés humaines ; celles qui se veulent civilisées.
Oui, dit Lucien l’âne, de ça, je suis au courant et j’en ai vu mille formules. À mon idée, c’est le mot qu’on utilise pur désigner la manière dont on organise la direction et le fonctionnement du pouvoir dans la société des hommes. Par exemple, chez nous les ânes, il n’y a pas de politique ainsi conçue.
D’un certain point de vue, reprend Marco Valdo M.I., c’est bien la distinction qu’établit la chanson dès le départ, quand elle déclare :
« Chez les sauvages, il n’y a pas de parti ;
Chez les sauvages, on ne fait pas de politique.
Les gens civilisés ont des partis ;
Les gens civilisés font de la politique. »
Du même point de vue, indique Lucien l’âne, il n’y a rien à y redire. Cependant, d’un autre point de vue, j’y sens une sorte d’ironie assez complexe et pur tout dire, à double sens. On devrait y voir plus clair avec le reste de la chanson.
Là, Lucien l’âne mon ami, tu n’as pas tort, car la chanson est une charge contre un parti politique concurrent et surtout, contre son penchant au nationalisme tchèque et à l’antisémitisme.
Oui, dit Lucien l’âne, toute cette explication est fort belle, mais elle manque quand même de précision. De quel parti s’agit-il ? A-t-il réellement existé dans l’histoire et quel était, à ce moment, son profil ?
Ah, dit Marco Valdo M.I., il me faudra bien donner des explications. Je vais le faire en style télégraphique ; de manière concise, car on ne peut ici faire une conférence encyclopédique sur la politique en pays tchèque. Il faudrait remonter à Jean Huss, au moins. Donc, pour ce qui nous intéresse ici, on est en 1911 dans l’Empire austro-hongrois, dans cet Empire, les Tchèques se trouvent sous la domination de l’Autriche dont Vienne est la capitale. Parmi les partis politiques tchèques, en dehors du parti des agrariens – parti paysan, il faut comprendre des propriétaires terriens et des fermiers aisés, qui est le premier parti, émergent deux courants numériquement plus importants et rivaux : les sociaux-démocrates et le Parti National Social. Tous se veulent tchèques et défenseurs de la nation tchèque, mais le Parti National Social se distingue par sa virulence, sa xénophobie et sa haine des juifs. C’est sur le plan de l’Empire, le plus vindicatif et celui affiche le plus des positions de matamore. Par la suite, après la guerre de 1914-18, et l’indépendance de la Tchécoslovaquie, il évoluera dans un sens plus démocratique et abandonnera l’antisémitisme. C’est lui que vise la chanson.
En voilà une histoire, dit Lucien l’âne, mais comme je dis toujours, on ne saurait faire une histoire dans la raconter.
Oui, dit Marco Valdo M.I., mais de là à utiliser les médias – ici le journal « Vienne tchèque », pour raconter des histoires fausses, pour inventer des faits divers afin de déclencher et entretenir la haine, pour capitaliser des électeurs et des supporters sur le mensonge et la méchanceté, sur l’appel aux bas instincts, il y a une marge qu’il ne faut jamais franchir.
Oui, je vois de quoi parle la chanson, dit Lucien l’âne, avec cette histoire de la couturière tchèque violentée par son patron juif et social-démocrate en plus et une intrigue de romans populaires de cette époque. Des rumeurs comme ça, qu’est-ce que j’en ai entendues, on en invente tout le temps. C’est vraiment puant. Ça finit par des pogroms ou des émeutes et quand ça déborde, ce sont les guerres civiles ou internationales.
Avant de conclure, dit Marco Valdo M.I., il me semble que ce parti et son comportement sont en quelque sorte des précurseurs de partis qui se diront nationaux et affirmeront une forte connotation sociale, comme le Parti National Socialiste en Allemagne ou le Parti National Fasciste en Italie. Si l’on s’en tient à la chanson, on dirait qu’il a fait école, alors qu’on sait qu’en réalité, il s’inscrivait tout à fait bien parmi d’autres dans le courant nationaliste qu’on trouve partout en Europe à ce moment et même au-delà des océans.
Oui, dit Lucien l’âne, c’est quand même exemplatif, ça donne à penser et pourquoi ne pas le dire, à craindre, quand on voit ce qui se passe actuellement dans certains pays d’Europe et d’ailleurs. L’avenir va-t-il nous repasser les vieux plats ? En attendant ce qui sera, redisons le mot de Piero Calamandrei, à la fin de son épigramme « Lo Avrai camerata Kesselring ! » : « Ora e sempre, Resistenza ! » – « Maintenant et toujours : Résistance ! » et tissons le linceul de ce vieux monde national, brutal, déséquilibré mental, insensé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient, Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Chez les sauvages, il n’y a pas de parti ;
Chez les sauvages, on ne fait pas de politique.
Les gens civilisés ont des partis ;
Les gens civilisés font de la politique.
Chez nous, on a les sociaux-démocrates
Et le Parti National Social – tchèque,
Qui est différemment démocrate,
Qui à Vienne, publie « Vienne tchèque »
Avec l’œillet rouge et blanc sur le plastron,
Sa devise est : « Ne courbons pas le front. »
À « Vienne tchèque », organe national-social,
Le rédac-chef écrit son édito dans les cabinets,
Là où, dans sa solitude, il a la paix.
Il mène le combat sans cérémonial
Contre ces traîtres à la nation, que sont
Les sociaux-démocrates, vendus aux juifs ;
Le rédac-chef écrit aussi un feuilleton :
Une couturière est membre du Parti National-Social ;
Abusée, elle tue son chef juif ;
Il était social-démocrate, c’était fatal.
Après le meurtre de son séducteur,
La couturière va en prison ;
Elle accouche d’un garçon,
Confié à un oncle tuteur,
Un social-démocrate, évidemment,
Qui torture le pauvre enfant.
Mais un de nos frères le récupère,
Le ramène à Prague et puis,
L’enfant grandit au pays.
Dans le souvenir de sa mère.
L’homme du Parti National Social
Dit : « Ici, on mène le vrai combat social,
Du courage, de la volonté, du moral.
Frères tchèques, le Parti, c’est pas du mou ;
L’aubergiste est inscrit chez nous.
Voilà un porc bien cuit au saindoux.
De la bière et de vrais porcs tchèques,
Notre Parti National Social est en plein essor,
Frères tchèques, encore un effort !
Et Vienne sera bientôt tchèque. »