LA BALLADE DU PIÉTON
Version française — LA BALLADE DU PIÉTON — Marco Valdo M.I. — 2023
Chanson italienne — La ballata del pedone — Giorgio Gaber — 1963
Écrite par Giorgio Gaber et Vittorio Pierantoni
PASSAGE DE QUATRE PIÉTONS
RUE DE L’ABBAYE EN 1969
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Dialogue Maïeutique
Vois donc, Lucien l’âne mon ami, il y a soixante ans, Giorgio Gaber interprétait cette (sienne) chanson à la gloire d’un martyr inconnu de la civilisation.
Un martyr de la civilisation, demande Lucien l’âne, et un martyr inconnu, j’aimerais bien savoir de qui il s’agit ?
Oh, répond Marco Valdo M.I., de qui il s’agit, on ne le saura jamais, disons un célèbre inconnu, car comme le soldat du même nom, qui, à Paris, gît sous la flamme au cœur d’un giratoire, c’est une icône. À ce titre, il incarne dans son incorporéité une légende de la cité. Ce martyr, c’est le piéton inconnu qui est l’incarnation de tous les piétons en proie aux excès du trafic des engins de toutes sortes.
Ah, dit Lucien l’âne, c’est un piéton, en ville, le pauvre homme. Même les trottoirs sont parcourus de véhicules automoteurs. Et que va-t-il lui arriver ?
De ça, Lucien l’âne, je n’en dirai rien ; la chanson raconte cette fable très bien. Car, c’est une fable qu’aurait écrite un La Fontaine contemporain un beau soir doux d’août et sans entrer dans des considérations écologiques encore toujours à la mode, j’en resterai là. Sauf à souligner l’aspect moral du propos de Gaber qui dénonce, à juste titre, le manque de savoir-vivre endémique, la goujaterie systématique et l’embolie catastrophique de notre mode de vie.
Et, dit Lucien l’âne, c’était il y a plus d’un demi-siècle. Enfin, il faut bien dire que la Rome antique se plaignait déjà de la congestion de ses rues et au XVIIᵉ siècle, Nicolas Boileau se lamentait des embarras de Paris. Bref, la chose n’est pas nouvelle, même s’il me tarde de voir la façon dont Gaber tourne son affaire. Et puis, tissons le linceul de ce vieux monde encombré, embouteillé, engorgé, congestionné, serré, paralysé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Un piéton descend le Corso Tricolore
Et rêve déjà d’être rentré.
Un giratoire, alors,
Il lui faut traverser.
Les clous lui donnent raison,
Mais le trafic énervé
Des bus, taxis, camions et fourgons
Cache même le pavé.
Le piéton seul compte pour rien ;
Personne ne le laisse passer, ni ne l’en prie.
Il se plaint, il crie, mais toujours en vain
Pas un seul ne s’arrête pour lui.
La nuit tombe froide, triste et noire,
Il met sa veste sur le sol comme oreiller ;
Il dort et rêve le trafic arrêté.
Le soleil le réveille au giratoire.
Le piéton seul compte pour rien ;
Personne ne le laisse passer, ni ne l’en prie.
Il se plaint, il crie, mais toujours en vain
Pas un seul ne s’arrête pour lui.
Des nuits et des jours là,
Il mange l’herbe entre les pavés ;
La pluie dans son chapeau, il boit ;
Il survit amaigri et un peu décavé.
Enfin, il décède le treize août
Et laisse sa femme et ses enfants sans rien.
Deux jours plus tard, c’est la mi-août,
Le trafic se dissout, mais en vain.