LA
SORCIÈRE
Version
française – LA SORCIÈRE – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson
italienne – La strega – Collettivo
Víctor Jara – 1979
LA
SORCIÈRE
Angelo
Caroselli vers 1630
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Dialogue
Maïeutique
Une
fois encore, Lucien l’âne mon ami, on revient à la question de la
sorcière ; de la vraie sorcière, de ce personnage essentiel de
la vie paysanne, de celle qui incarnait la fibre maternelle, qui
était à elle seule le service de santé de la société – de
santé physique, de la naissance (accoucheuse) à la mort
(accompagnatrice du mourant), aidant l’humaine personne à entrer
dans le monde et l’aidant à en sortir ; elle était aussi
celle à qui on pouvait confesser ses malheurs, ses tristesses, ses
faiblesses, celle qui savait vraiment ce qu’il en était de la vie
réelle, la consolatrice et la salvatrice ; une femme savante
qui savait les méandres des plantes et de l’humaine condition.
Auprès de qui on allait chercher aussi des conseils de vie. On y
revient cette fois-ci avec une chanson italienne intitulée :
« La Strega » – « LA SORCIÈRE ».
Ce
n’est, en effet, pas la première sorcière que l’on croise, dit
Lucien l’âne. Je me souviens de « Katheline,
la bonne sorcière », pour laquelle je demandais
– dans
le dialogue qui précédait la chanson dans l’édition papier de
« La geste de Liberté » (La Légende libertaire) –
pourquoi « la bonne sorcière », car
généralement, les sorcières ont la
mauvaise réputation et on entend plus souvent « la
mauvaise
sorcière ».
Oui,
Lucien l’âne mon ami, j’ajouterais pour être complet à propos
de Katheline, les deux autres chansons qui racontent son supplice et
sa mort : « Katheline
suppliciée » et « La
douce Mort de Katheline ».
En
somme, dit Lucien l’âne, il y a là comme une hagiographie et dans
le fond, les sorcières le méritent bien. Et puis, toujours dans ce
dialogue de la Légende, j’ajoutais parlant de Katheline :
« C’est
donc une vraie sorcière, une de celles qui dans les villages et les
campagnes soignent les gens et les animaux, une de celles ui
connaissent les remèdes et les plantes, une de celles qui sont
depuis toujours les conseillères intimes des femmes et exercent les
talents si essentiels de sages-femmes – un nom très
significatif. »
Cela
étant, reprend Marco
Valdo M.I., je n’ai pu résister au vrai désir et au vrai plaisir
de (non pas faire une traduction) me confectionner en bon tailleur
des mots une version sur mesure de cette « Strega » du
Collettivo
Víctor Jara. C’est
franchement tout autre chose qu’une traduction et cette manière de
procéder produit une chanson dans une autre langue, qui a le souci
d’être elle-même, tout en gardant bien sûr – autant que faire
se peut – la filiation avec le texte d’origine. À l’usage,
j’ai pu constater que cette façon ouvre parfois de nouveaux
horizons. Mais quoi qu’il en soit, libre à quiconque de composer
une autre version ou même d’en proposer une véritable traduction.
Et sans doute, tout le monde y gagnerait.
Oh
oui !, dit Lucien l’âne, je le pense aussi. Maintenant,
serait-il possible de dire quelques mots de cette version-ci et de
son texte d’origine.
De
fait, Lucien l’âne mon ami, tu fais bien de me rappeler à ma
version et à son origine. C’est donc une sorte de
prière-accusation qui met en cause une sorcière et la réponse de
celle-ci ; une sorte d’étrange dialogue. Je n’en dirai pas
plus : la vérité est poésie et je ne peux faire mieux que de
m’en remettre à la chanson.
Fort
bien, dit Lucien l’âne, c’est une sage précaution et
l’expression d’une vérité ; car pas plus qu’on ne peut
mettre en mots la musique ou la peinture ou mettre en musique ou en
peinture, les mots, on ne peut mettre en prose la poésie, on ne peut
la détailler, la décomposer sous peine de la perdre et d’en
perdre le sens. On n’obtient pas de bons résultats par l’autopsie
d’une chanson ; on se retrouve avec les morceaux de son
cadavre. Pour le reste, tissons le linceul de ce vieux monde guindé,
sourd, malentendant, malentendu, croyant, vulgaire, brutal et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Brûlez la sorcière, elle lit l’avenir,
Parle au vent, parle à la lune.
Brûlez la sorcière, elle lit l’avenir,
Parle au vent, parle à la lune.
Vous qui connaissez les ombres fugaces,
Vous qui même la mort, ne craignez pas,
Au travers des miroirs, vous tendez les bras
Quand nous avons peur de nos propres faces.
Marbre, mes mains et pierre, ma peau ;
Et un jour, j’ai entendu le fleuve m’appeler ;
Et mes cheveux ont fondu, j’étais l’eau du ruisseau ;
Et feuilles, mes mains dans la rivière qui a chanté ;
Et maintenant, je n’ai plus peur, je n’ai plus peur,
Maintenant, je n’ai plus peur.
Vous qui venez nue, sans éclat,
Baiser notre corps dans nos songes ;
Lèvres humides, peau de neige,
Vous faites désirer ce qu’il ne faut pas.
La règle et le silence, la loi, la peur, le noir,
Un Dieu dirige le monde, la mort est son paladin,
Mais le fou cornu m’a donné de son vin,
Il m’a en chantant menée sur le pont de moire,
Il chantait la forêt, un Dieu pour chaque fleur,
Il m’a appelée la « vierge des couleurs » ;
Et juste à ce moment, le vent m’a parlé,
La lune m’a étreinte et je me suis envolée.
Chevalier et roi sans épée à la main,
Vous qui croyez au destin,
Brûlez la sorcière, elle lit l’avenir,
Parle au vent, parle à la lune.
Brûlez la sorcière, elle lit l’avenir,
Parle au vent, parle à la lune.
Et maintenant je n’ai plus peur, je n’ai plus peur.
Je suis chaux dans le roc ; et cendres dans les airs ;
Et feuilles, mes cheveux ; et blé, mon sourire ;
Et vent, ma voix ; et nuit, ma chimère ;
Et je viendrai encore, dans la nuit dansant,
Siffler avec le corbeau, rire avec le vent ;
Et quand soufflera le feu et son grand air,
Vous me sourirez et je regarderai le firmament ;
Vous me tendrez les bras, en pleurant,
Vous baiserez mon visage d’eau claire.
Et je serai libre.