jeudi 29 mars 2018

GAUCHE-DROITE


GAUCHE-DROITE

Version française – GAUCHE-DROITE – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Destra-Sinistra – Giorgio Gaber – 2001
Paroles et musique : Gaber-Luporini








Dialogue maïeutique

Gauche-droite, gauche-droite, qu’est-ce encore pour un titre, qu’est-ce encore pour une chanson, Marco Valdo M.I. mon ami ? On dirait une injonction pour marcher au pas.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, tu ne te trompes pas beaucoup. Gauche-droite, droite-gauche, gauche-droite, gauche-droite ; chez les bipèdes, on alterne les pieds pour marcher. C’est une logique physique inévitable ; sans elle, il n’y a rien qui marcherait. Mais ce n’est pas de cette logique-là qu’il s’agit ici ; il s’agit plutôt d’une manière de logique sociologique, avec des relents d’acide ironique ou même, d’acide sarcastique. Pour fixer le cadre, Gauche et Droite sont des concepts liés à la démocratie représentative. À l’origine, la Gauche et la Droite désignent la place qu’occupent les élus dans une assemblée, disposée en hémicycle ; ceux qui se trouvent à la gauche ou à la droite du président de séance. Ce qui veut dire que dans l’assemblée, le sens des choses s’inverse : ceux qu’on dit à gauche se trouvent à droite et ceux qu’on dit de droite sont à gauche. Ce qui conduit à cet aphorisme :

« La Gauche, c’est l’autre Droite. Et inversement. »

Puis, on a étendu cette curieuse spatialisation du monde aux partis politiques et à ceux qui les soutiennent, puis, au fil du temps, à ceux qui soutiennent les idées elles-mêmes qualifiées de gauche ou de droite. Le biais, car il y en a un, c’est que tout le substrat de ce gauche-droite est généralement occulté, oublié et comme perdu de vue. Et pourtant, c’est un élément essentiel.

J’aimerais bien savoir, Marco Valdo M.I. mon ami, à quoi tu penses en disant ça.

En somme, Lucien l’âne mon ami, tu souhaites savoir ce qu’est cet essentiel. Il s’agit de la façon dont cette dichotomie gauche-droite gomme la réalité du monde, laquelle est la domination d’un petit nombre d’humains sur l’ensemble des humains, mais également la prédation et le mépris pour les autres espèces vivantes et les ressources communes. Cette droite et cette gauche sont des jeux d’ombres, auxquels les populations sont conviées à assister ; dans le meilleur des cas, gauche et droite sont un reflet du réel. Mais, Droite et Gauche considérées comme des entités politiques servent à amuser la galerie et à détourner, à canaliser les forces sociales dans un jeu fermé et à exclure et disqualifier, par principe, toutes les autres formes d’organisation de la vie humaine.

Oh, dit Lucien l’âne sentencieux, cette histoire de gauche-droite m’apparaît comme une immense tromperie. Dis-moi, quelques mots à propos de la canzone de Giorgio Gaber.

À propos de la chanson de Giorgio Gaber, j’ai plus que quelques mots à dire. En premier lieu, de manière générale, cette chanson est une dénonciation du caractère fallacieux de ce système et l’impératif final est on ne peut plus clair :

Gauche-droite
Gauche-droite
Gauche-droite
Gauche-droite
Gauche-droite

Halte !

Ensuite, il me faut t’avouer que j’ai opéré en toute innocence une sorte d’inversion en traduisant le titre « Gauche-Droite », alors qu’en italien, c’est « Droite-Gauche ». Va-t’en savoir pourquoi !

Un souvenir de la gymnastique à l’école ? Une évocation des marches militaires ?, suggère Lucien l’âne en riant. En somme, il s’agit de faire marcher les gens.

Peut-être bien, répond Marco Valdo M.I., en attendant, j’ai conservé cet ordre. Pour le reste, la chanson relève une série de marqueurs sociaux qui me paraissent d’une grande pertinence et elle m’a tout l’air d’être une remarquable analyse de l’état de la société ; ce n’est qu’un instantané, mais d’une virulente vérité et pas seulement pour la société italienne. Tout comme cette question insistante :

« Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ? »

On se le demande aussi, dit Lucien l’âne.

Là aussi, Lucien l’âne mon ami, il y a de quoi réfléchir. On peut en effet l’interpréter différemment si on se réfère à la gauche et la droite comme acteurs de la pièce politique ou si on se reporte à une gauche et une droite comme marqueurs sociologiques. D’où l’ambiguïté océanique dans laquelle bien des consciences, des espoirs et des illusions se sont noyées.

Arrête-toi là, Marco Valdo M.I. mon ami, je me charge d’une conclusion en disant que ce tableau peint (en paroles et en musique) par Gaber me paraît détailler très concrètement le fait que la Guerre de Cent Mille Ans (que les riches mènent contre les pauvres) se joue aussi au quotidien et jusque dans les plus infimes moments. Chaque geste, chacun des actes qu’on pose sont porteurs de cette signification et font pencher notre balance à gauche ou à droite. Cette balance de précision est peut-être la meilleure illustration du propos de Gaber. Quant à nous, reprenons notre tâche et recommençons à tisser le linceul de ce vieux monde désorienté, grugé, trompeur, rusé et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.


On s’en prend tous à l’histoire,
Moi, je dis que c’est notre faute.
Il est évident que les gens galéjent,
Quand ils parlent de gauche ou de droite.

Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

Prendre un bain est de droite,
Se doucher par contre est de gauche.
Un paquet de cigarettes est de droite,
Le tabac de contrebande est de gauche.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

Une belle petite soupe est de droite,
La grosse soupe est toujours de gauche.
Tous les films d’aujourd’hui sont de droite,
Quand ils ennuient, ils sont de gauche.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

Les petites chaussures de gymnastique ou de tennis
Ont encore un peu un goût de droite,
Mais les porter toutes sales et un peu délacées
Est plus idiot que de gauche.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

Les jeans sont marqués à gauche ;
Avec la veste, ils tournent à droite.
Le concert dans un stade est de gauche,
Les prix sont franchement de droite.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

Les collants sont presque toujours de gauche,
Le porte-jarretelles est plus que jamais de droite.
Pisser en compagnie est de gauche,
Les chiottes sont toujours au fond de droite.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

La belle piscine bleue et transparente,
C’est évident qu’elle est de droite.
Les fleuves, tous les lacs et même la mer
Sont de merde plus que de gauche.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

L’idéologie, l’idéologie
Malgré tout, je crois qu’elle existe encore
C’est la passion, l’obsession
De la diversité.
Où elle est allée, on ne sait pas,
Où, on ne sait pas ; où, on ne sait pas.

Je dirais que le jambon est de droite,
La mortadelle est de gauche.
Le chocolat suisse est de droite,
Le choco est encore de gauche.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

La pensée libérale est de droite,
Maintenant, elle plaît aussi à la gauche.
On ne sait si la fortune est de droite,
Mais la poisse est toujours de gauche.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

Le salut vigoureux du poing fermé
Est un ancien geste de gauche.
Le salut des années’20, un peu romain
Est si con qu’il déborde à droite.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

L’idéologie, l’idéologie –
Pour ce qu’elle existe encore –
C’est de continuer à affirmer
Une pensée et son pourquoi,
Avec l’excuse d’un combat qu’il n’y a pas.
S’il existe, on ne sait où il est,
S’il existe, on ne sait où il va.

Le vieux moralisme est de gauche,
L’absence de morale est à droite.
Même le dernier Pape,
Se veut un peu à gauche.
C’est le diable qui maintenant est à droite.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

La réponse des masses est de gauche
Avec un léger penchant à droite.
Je suis sûr que le bâtard est de gauche,
Et le fils de pute est de droite.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

Une femme émancipée est de gauche,
Réservée, elle est déjà un peu plus de droite,
Mais une belle fille est toujours une attraction
Qui plaît à gauche et à droite.
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

On s’en prend tous à l’histoire,
Moi, je dis que c’est notre faute.
Il est évident que les gens galéjent,
Quand ils parlent de gauche ou de droite.

Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?
Mais qu’est-ce que la droite ? Qu’est-ce que la gauche ?

Gauche-droite
Gauche-droite
Gauche-droite
Gauche-droite
Gauche-droite

Halte !

dimanche 25 mars 2018

Le Testament


Le Testament

Chanson française – Le Testament – Georges Brassens – 1956











Dialogue maïeutique


Lucien l’âne mon ami, il arrive un moment dans la vie où certains ont l’idée de se faire un testament ou de se le faire faire par un notaire.

Certes, comme je nous connais, cela ne nous arrivera pas, Marco Valdo M.I. mon ami, ni à moi, ni à toi. Ce n’est pas qu’on ait peur de le faire, mais à la vérité, que pourrait-on bien y indiquer ? Rien, rien qui ne soit dit ici dans nos dialogues et dans nos chansons. Ce sont les seuls choses que nous léguerons à la postérité. Sans doute, du point de vue commun, cela ne vaudra pas assez pour y prélever une taxe, ni même pour en faire commerce. Et c’est bien ainsi. Mais dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, aurais-tu l’intention de mourir bientôt que tu évoques cette idée de testament ?

Pas vraiment, Lucien l’âne mon ami, pas vraiment, mourir bientôt, non, je n’en ai pas l’intention, mais va-t’en savoir ? Et de toute façon, ce serait sans importance. En fait, j’en suis venu à vouloir évoquer ce testament particulier parce que j’avais promis de le faire, j’avais promis d’insérer cette chanson au chapitre de la Mort dans le grand roman des Chansons contre la Guerre, qu’il me vient souvent à l’idée de considérer comme un seul grand texte, constitué comme tous les organismes vivants d’une multitude d’éléments et un organisme vivant en perpétuelle croissance.
Il y a plusieurs raisons à cela : d’abord, la Mort est à mon sens une des grandes figures de la Guerre/vs/Paix : sans elle, quelle figure ferait la Guerre ? En ensuite, car elle est pour tous et pour chacun, la fin d’un combat et l’entrée – subreptice ou triomphale – dans « la fosse commune du temps ». Comme dit la chanson :

« J’ai quitté la vie sans rancune,
J’aurai plus jamais mal aux dents :
Me voilà dans la fosse commune,
La fosse commune du temps. »

Mais dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, de quelle chanson s’agit-il et de qui elle est ; de cela, tu ne m’as encore rien dit.

Oh, Lucien l’âne mon ami, je pensais vraiment que tu le savais déjà. Il s’agit du Testament de Georges Brassens qui traite de la Mort à sa manière, c’est-à-dire en la considérant comme une étape de la vie. Toutefois, il m’importe de rappeler un autre Testament qui fut écrit un demi-millénaire avant celui-ci, dont on trouve écho dans La Ballade des Pendus, un Testament qui marque encore bien des esprits : « En ma trentième année, etc ». Ainsi, Brassens continue Villon, mais qui en aurait jamais douté ?

En effet, conclut Lucien l’âne, pour les êtres biologiques, la mort est une étape de la vie, la dernière, inéluctable, comme toutes les autres ; une bonne façon de quitter le monde pour laquelle il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Quant à nous, continuons à tisser le linceul de ce vieux monde moribond, asthmatique, cahotant et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Je serai triste comme un saule,
Quand le Dieu qui partout me suit
Me dira, la main sur l’épaule :
« Va-t’en voir là-haut si j’y suis ! »
Alors, du ciel et de la terre,
Il me faudra faire mon deuil.
Est-il encore debout le chêne
Ou le sapin de mon cercueil ?
Est-il encore debout le chêne
Ou le sapin de mon cercueil ?

S’il faut aller au cimetière,
Je prendrai le chemin le plus long,
Je ferai la tombe buissonnière,
Je quitterai la vie à reculons.
Tant pis si les croque-morts me grondent,
Tant pis s’ils me croient fou à lier,
Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers.
Je veux partir pour l’autre monde
Par le chemin des écoliers.

Avant d’aller conter fleurette
Aux belles âmes des damnés,
Je rêve d’encore une amourette,
Je rêve d’encore m’enjuponner.
Encore une fois dire « Je t’aime »,
Encore une fois perdre le nord
En effeuillant le chrysanthème
Qui est la marguerite des morts.
En effeuillant le chrysanthème
Qui est la marguerite des morts.

Dieu veuille que ma veuve s’alarme
En enterrant son compagnon,
Et que pour lui faire verser des larmes,
Il n’y ait pas besoin d’oignon.
Qu’elle prenne en secondes noces
Un époux de mon acabit :
Il pourra profiter de mes bottes,
Et de mes pantoufles et de mes habits.
Il pourra profiter de mes bottes,
Et de mes pantoufles et de mes habits.

Qu’il boive mon vin, qu’il aime ma femme,
Qu’il fume ma pipe et mon tabac,
Mais que jamais – mort de mon âme !,
Jamais il ne fouette mes chats.
Quoique je n’aie pas un atome,
Une ombre de méchanceté,
S’il fouette mes chats, il y a un fantôme
Qui viendra le persécuter.
S’il fouette mes chats, il y a un fantôme
Qui viendra le persécuter.

Ici-gît une feuille morte,
Ici finit mon testament.
On a marqué dessus ma porte :
« Fermé pour cause d’enterrement. »
J’ai quitté la vie sans rancune,
J’aurai plus jamais mal aux dents :
Me voilà dans la fosse commune,
La fosse commune du temps.
Me voilà dans la fosse commune,
La fosse commune du temps.

lundi 19 mars 2018

OÙ VOLE LE VAUTOUR


OÙ VOLE LE VAUTOUR

Version française – OÙ VOLE LE VAUTOUR – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Dove vola l’avvoltoio – Italo CalvinoCantacronache – 1961
Paroles d’Italo Calvino
Musique de Sergio Liberovici






Dialogue maïeutique


Voici, Lucien l’âne mon ami, une histoire d’oiseaux.

Ça nous changera, dit Lucien l’âne en se dandinant.

Sans doute aucun, répond Marco Valdo M.I., mais il ne s’agit pas d’une chanson douce. Bien au contraire, c’est encore une chanson de guerre, écrite par un qui avait vécu la guerre, connu la Résistance et qui avait continué sa vie dans le même sens par la suite. Son engagement le suivi tout au long de son existence, comme il a suivi Carlo Levi, dont ce personnage était l’éditeur, l’ami et le familier – Carlo a fait plusieurs années son portrait à l’occasion de son anniversaire. Tu auras certainement reconnu Italo Calvino, dont on avait ici même déjà proposé la version française de deux chansons : Outre Pont et Le Sentier, tirées de son roman Le sentier des nids d’araignée.

Évidemment que j’avais reconnu Italo Calvino, dit Lucien l’âne en riant de toutes ses dents. Comment faire autrement quand on a devant soi Marco Valdo lui-même. Ce serait ne pas reconnaître Voltaire en présence de Candide, ignorer Cervantès en présence de Rossinante et de son cavalier, Sancho en présence de son âne. Cela dit, que raconte cette terrible histoire d’oiseaux ?

C’est, en un très rapide résumé, Lucien l’âne mon ami, une histoire d’oiseaux au pays de l’amour. C’est un condensé un peu brut, un peu fruste, je le reconnais volontiers, mais c’est une bonne base de départ pour comprendre cette allégorie de la fin de la guerre. Non pas l’instauration de la paix, mais la fin de la guerre.
Ah bon, soupire Lucien l’âne, j’en accepte l’augure. Mais les oiseaux, qui sont-ils ? Des merles, des pies, des pinsons, des mésanges, des chouettes ou des corneilles ?

Rien de tout ça, Lucien l’âne mon ami. Ce sont des rapaces et plus exactement, des vautours et ces oiseaux-là, dans la symbolique de la chanson, qui reprend elle-même une croyance populaire, ce sont des oiseaux fauteurs ou porteurs, c’est comme on voudra, de guerre(s). Cependant, la chanson suppose la fin de la guerre (une belle théorie, soit dit en passant), ils ne trouvent plus à se poser nulle part. Personne ne veut d’eux et les voilà sans emploi et bien malheureux.

Il me souvient, Marco Valdo M.I. mon ami, que tu avais écrit une chanson où il était question d’un vautour et que cet oiseau gigantesque apparaissait dans le titre.

En effet, Lucien l’âne mon ami, je suis toujours stupéfait de ta mémoire. Tu as parfaitement raison, j’avais écrit – il y a déjà un certain temps – une chanson en partant de certains souvenirs de Carlo Levi, une chanson intitulée « Le Vautour de la Paix » ; c’est d’ailleurs une des chansons lévianes. Je l’ai d’ailleurs reprise dans le livre qui reprend certaines d’entre elles et qui porte comme titre « Le Guerrier afghan » (https://www.publier-un-livre.com/fr/le-livre-en-papier/600-le-guerrier-afghan).

Nos amis, conclut Lucien l’âne, du moins ceux qui ont le temps, pourront faire la comparaison. En attendant, reprenons notre tâche et tissons encore le linceul de ce vieux monde guerrier, belliqueux, polémicole, belliforme, paradis des vautours et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Un jour dans le monde
Finit la dernière guerre ;
L’inquiétant canon se tut
Et ne tira plus.
Alors, privée de sa nourriture,
De l’aride sol,
Une sombre bande
De vautours s’envole.

Où vole le vautour ?
Le vautour s’envole,
De ma terre, il s’envole,
Car, c’est la terre de l’amour.

Alors, le vautour alla trouver le fleuve
Et le fleuve
Dit : « Non, vautour,
Envole-toi, vautour !
Vautour, va-t’en !
Dans le limpide courant,
Carpes et truites descendent maintenant ;
Ce ne sont plus les corps des soldats
Qui glissent vers le bas ».

Où vole le vautour ?
Le vautour s’envole,
De ma terre, il s’envole,
Car, c’est la terre de l’amour.

Le vautour alla trouver le bois
Et le bois
Dit : « Non, vautour,
Envole-toi, vautour !
Vautour, va-t’en !
Entre les branches maintenant,
Entre les feuilles,
Seuls passent
Les rayons du soleil, les grenouilles et les écureuils,
Mais plus les chiens de chasse ».

Où vole le vautour ?
Le vautour s’envole,
De ma terre, il s’envole,
Car, c’est la terre de l’amour.

Le vautour alla trouver l’écho
Et même l’écho
Dit : « Non, vautour,
Envole-toi, vautour !
Vautour, va-t’en !
Je porte au loin les chants
Des gamins, des gamines,
Des rondes et des comptines,
Le ahanement du bûcheron,
Mais plus le son du canon ».

Où vole le vautour ?
Le vautour s’envole,
De ma terre, il s’envole,
Car, c’est la terre de l’amour.

Le vautour alla trouver les Allemands
Et les Allemands
Dirent : « Non, vautour,
Envole-toi, vautour !
Vautour, va-t’en !
Nous ne voulons maintenant
Plus manger la boue et la terre,
La haine et le plomb des guerres ;
Le pain et la maison de l’étranger,
Nous ne voulons plus voler ».

Où vole le vautour ?
Le vautour s’envole,
De ma terre, il s’envole,
Car, c’est la terre de l’amour.

Le vautour alla trouver la mère
Et la mère
Dit : « Non, vautour,
Envole-toi, vautour !
Vautour, va-t’en !
Je donnerai seulement
Mes fils à une belle
Et tendre demoiselle
Qui dans son lit saura les aimer
Et ne les enverra plus se faire tuer. »

Où vole le vautour ?
Le vautour s’envole,
De ma terre, il s’envole,
Car, c’est la terre de l’amour.

Le vautour alla trouver l’uranium
Et l’uranium
Dit : « Non, vautour,
Envole-toi, vautour !
Vautour, va-t’en !
Je donnerai seulement
Ma force nucléaire
Pour aller sur la Lune,
Je ne veux pas qu’elle explose
En flammes
Et détruise les villes ».

Où vole le vautour ?
Le vautour s’envole,
De ma terre, il s’envole,
Car, c’est la terre de l’amour.

Mais ceux qui en secret
Des guerres
Avaient le regret,
En un lieu désert
En complot se rassemblaient
Et virent dans le ciel arriver
Cette bande qui tournait
Et descendait, descendait
Toujours plus bas.
Alors, quelqu’un cria :

Où vole le vautour ?
Le vautour s’envole,
De ma terre, il s’envole,
Car, c’est la terre de l’amour.