vendredi 4 décembre 2020

ATHÈNES 1943

 

ATHÈNES 1943

 

Version française – ATHÈNES 1943 – Marco Valdo M.I. – 2020

d’après la version italienne de Riccardo Venturi

d’une chanson grecque – Αθήνα 1943Nikos Kavvadias / Νίκος Καββαδίας – 1943

 

 


 

ANDARTES

Válias Semertzídis – 1944




Le texte a été publié dans la revue clandestine Πρωτοποροι [Protoporoi] / Pionniers en décembre 1943 sous le pseudonyme de A. Tapinos.

Lorsque Kavvadias l’a écrit, il était trop tôt pour prédire la libération ; il restait encore dix mois dramatiques. Pourtant, dans ces vers, il respirait plus que l’espoir malgré les pendaisons, l’air lourd, l’écoute clandestine de Radio Londres et de Radio Moscou, les Allemands à chaque carrefour sous un drapeau noir. Néanmoins, la victoire est pressentie par Kavvadias dans le cadre d’un ποίησις, de ce processus créatif qui rend les artistes clairvoyants et actifs. Et, dans ce cas, elle se poursuivra jusqu’à la μουσική που κάθε στόμα θα λαλήσει / musique que chaque bouche chantera.

On ne peut pas en dire plus, il n’y a pas de traductions sur le net.

[Riccardo Gullotta]



Dialogue Maïeutique


Athènes 1943, dit Marco Valdo M.I., est-ce que ce titre ne te rappelle pas quelque chose, Lucien l’âne mon ami ?

Oh, oui !, dit Lucien l’âne, c’est la révolte d’Athènes en pleine occupation nazie, c’est cette grande journée de grève générale de juillet et la tragique manifestation où défilèrent contre l’occupant des centaines de milliers d’Athéniens. L’armée allemande (nazie), les cavaliers italiens (fascistes) et la police grecque (fasciste) ont tiré dans le tas et tué des dizaines et blessés des centaines de personnes.


Eh bien, Lucien l’âne mon ami, c’est justement ce que raconte cette chanson : la résistance d’Athènes à l’occupation. Enfin, pas de tout Athènes puisqu’il y avait là comme ailleurs des gens qui sympathisaient avec l’occupant.


Je sais ça, dit Lucien l’âne. Il y en a toujours eu ; je veux dire que cette scission des populations entre ceux qui s’accommodent de n’importe quel régime afin de pouvoir mener leurs affaires, ceux qui se rallient au pouvoir et les opportunistes prêts à changer de camp à tout moment, d’une part et d’autre part, ceux qui n’acceptent pas volontiers les envahisseurs et ne s’en accommodent pas vraiment, même s’ils prennent le temps de rassembler assez de forces, assez de courage, assez de moyens, à un moment, passent à l’action – une action souvent forcément clandestine aussi longtemps que le rapport de forces est favorable à l’ennemi. A priori, des civils désarmés ou peu armés sont très vulnérables face à un pouvoir organisé, à tous ses services et à son armée.


Ainsi, reprend Marco Valdo M.I., la grande manifestation d’Athènes est une journée d’exception, mais ni elle, ni les actions semblables menées en d’autres lieux, n’ont jamais pu mener à la liquidation de l’occupant et la plupart ont été violemment réprimées. En fait, ce sont des méthodes trop pacifiques pour les temps sombres. Cependant, j’aimerais rappeler la grande grève contre la guerre, victorieuse celle-là, menée à partir d’Athènes et dans les autres cités grecques : la grève du sexe que les femmes firent triompher. C’était il y a 2 400 ans. Depuis, tout est rentré dans l’ordre ; les guerres ont repris leur train-train.


En effet, dit Lucien l’âne, tu fais bien de rappeler Lysistrata, mais comme tu dis, c’était il y a bien longtemps. Et puis, c’était une résistance « entre soi » – en quelque sort d’homme à homme, si je peux dire, pas vis-à-vis d’un occupant étranger. Il y avait quand même entre les belligérants beaucoup d’intérêt commun et en la matière, c’étaient les femmes qui tenaient le bon bout.


Cependant, enchaîne Marco Valdo M.I., pour en revenir à la chanson, même si elle était pleine d’un espoir de libération, même si elle annonçait cette dernière, même si cette dernière est intervenue quelque dix mois plus tard, elle se trompait grandement sur le futur. À peine les envahisseurs chassés, en Grèce commença (ou continua) la guerre civile, où la résistance qui avait tenu face aux Allemands fut balayée par les troupes (anglaises) des libérateurs.


Ainsi s’en va l’Histoire – on ne peut pas lui faire confiance, dit Lucien l’âne, et c’est la raison pour laquelle nous, nous tissons le linceul de ce vieux monde traître, borné, brutal, bancroche et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Les rues rouges pleines d’appels et de requêtes

Proclament clairement le temps venu.

La tramontane souffle des crêtes

Et dans les parcs balancent lents les pendus.


Tout le monde est muet dans Athènes

Chacun, danger, va doucement par les rues sombres :

À sept heures, on écoute Radio Moscou

Et à huit heures (plus bas, plus bas), « Ici Londres ».


Souffle rapide, rafale l’étésien siffleur,

Le meltem froid déboule de Crimée.

Les Allemands passent sur la chaussée

Sous une noire bannière de malheur.


Croissent ceux qui y croient, de mois en mois,

D’heure en heure, grandira la cohue

Jusqu’à quand on entendra dans la rue

La musique que chaque bouche chantera.