Arlequin
et l’Histoire
Chanson
française – Arlequin et l’Histoire – Marco Valdo M.I. – 2019
ARLEQUIN
AMOUREUX – 5 bis
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l'édition française de « LES JAMBES C'EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Dialogue
Maïeutique
C’est
terrible Lucien l’âne mon ami, de vivre avec la poésie, car la
poésie est une personne exigeante et entêtée. Elle veut souvent
plus ; elle en veut toujours mieux. Mieux, s’entend : à
ses yeux ! Elle redemande à la fois rigueur et fantaisie ;
ordre et déroute des mots. Sans cesse, elle rebat les cartes ;
elle refait, elle redessine, elle redestine, elle reforme ; du
vieux, de l’épars, elle se vêt.
Que
barbotes-tu là, Marco Valdo M.I. mon ami ?
Oui,
Lucien l’âne mon ami, je te le dis, la poésie, c’est toute une
histoire, comme l’histoire d’Arlequin, de Matthias Pollo
Arlecchino. Vois, il y avait un temps – en fait, il y a quelques
jours à peine –, dix chansons laissées en chantier des mois
durant. Et à la reprise du cycle de l’Arlequin amoureux, il m’a
fallu tout revoir et inventer le bis et le ter pour combler les creux
de l’histoire. Tout ça pour te dire que celle-ci, Arlequin et
l’Histoire est faite de bric et de broc de pages anciennes qui
étaient excédentaires par rapport à la structure générale
commune : trois fois deux quatrains suivis d’un refrain du
même format. Et certains – les excédentaires – en comportaient
curieusement quatre. Il a donc fallu raboter.
Ah !,
dit Lucien l’âne en riant, raboter, raboter, c’est malin, ça !
Et qu’as-tu fait des morceaux ?
Eh
bien, vois-tu, Lucien l’âne mon ami, que je n’ai rien perdu au
change, car en fin de compte, je me suis aperçu – miracle de la
poésie – qu’il me restait en trop précisément : trois
fois deux quatrains et un refrain et en les regroupant, j’en ai
fait cette chanson.
Alors,
te voilà structuraliste, maintenant, Marco Valdo M.I. mon ami. Moi,
je veux bien, mais quel sens peut avoir pareille histoire ainsi
inventée ?
Justement,
Lucien l’âne mon ami, et c’est là le mystère poétique, cet
assemblage hétéroclite fonctionne fort bien et donne in fine le
sens de l’histoire et de la manière la plus orthodoxe et formelle
qui soit. Arlequin qui, lourd d’ennui, voulait repartir sur les
routes de traverse, sur les entiers détournés, s’était laissé
convaincre par la Comtesse Hohenfeld de rester auprès d’elle comme
bouffon. Ils formaient un étrange couple devisant souvent, assis sur
un banc dans la cour du château. C’est au cours de cette étrange
stase qu’Arlequin pense ; il se met à méditer.
Naturellement,
dit Lucien l’âne. Très bon, la méditation, c’est un remède
pour ceux qui s’ennuient d’eux-mêmes et même aussi, pour ceux
que la vie coince dans l’ennui.
Quoi ?,
Toi aussi, mon ami Lucien l’âne ! Toi, je ne peux l’imaginer,
tu t’ennuies ? Je n’aurais jamais pensé que cette
détestable habitude t’aurais même un instant poursuivi.
Que
nenni, Marco Valdo M.I. mon ami, je n’ai jamais connu l’ennui.
Quand donc eût-ce été possible ? Et puis, dis-moi l’ami, ce
que c’est que l’ennui.
Oh,
répond Marco Valdo M.I., l’ennui ? L’ennui, je ne sais pas,
je n’ai jamais eu que des ennuis ; mais, paradoxalement, avec
les ennuis, on n’a pas le loisir de connaître l’ennui. Ce qui
fait que comme toi, je ne sais ce qu’est l’ennui. Cependant, ma
curiosité m’empêche de découvrir ce qu’il est.
Évidemment,
rétorque Lucien l’âne en riant, c’est logique ; je veux
dire qu’il est logiquement impossible de découvrir l’ennui en le
cherchant puisque le simple fait de faire quelque chose l’empêche
d’exister. C’est une étrange chose que l’ennui. Donc,
Arlecchino médite et comme il en a la manie, il devise avec
Arlecchina, ou plutôt avec ce double d’Arlecchina, ce fantôme qui
depuis leur séparation pour cause de voyages contradictoires, lui
tient compagnie. Tel un mentiloque, qui serait un anti-ventriloque,
il cause silencieusement avec elle de tout ça et du sens de
l’histoire, de son histoire enclose dans l’Histoire.
On
dirait, conclut Lucien l’âne, qu’il philosophe, on dirait que
lui, l’Arlequin et son Arlequine, comme toi et moi, pratiquent le
dialogue maïeutique, question de s’entretenir et de meubler le
temps agréablement et somme toute, utilement. Mais, foin d’Histoire,
voyons ta chanson recomposée et tissons le linceul de ce vieux monde
morne, ennuyeux, désolant, aberrant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Arlecchina,
ma rose blanche
Refais-toi
une beauté, Arlecchina
Un
peu de poudre à tes yeux, c’est dimanche.
Galop,
galop, on va, on va, on va…
Demain
ma mie, il y aura du pain, de la viande
Des
saucisses, des anchois, des anguilles
Un
citron, deux oranges, des airelles
De
la crème, des raisins, des amandes.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui,
Monsieur Chi,
Oui,
Monsieur Nelle,
Oui,
Monsieur Polichinelle.
Faust,
mon cher Faust, regarde-moi !
Arlecchina,
je te reconnais, c’est bien toi :
Ces
épaules nues, ce corps dans la soie.
Suc
de pavot, mon rêve, Arlecchina.
Oh,
Pollo Sevastiano, je suis ta mie
Tu
parles tchèque, n’est-ce pas ?
Was
ist Leben ? Qu’est donc la vie ?
À
quoi peut bien rimer tout ça ?
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
À
l’Histoire, il n’y a pas d’échappatoire !
L’Histoire,
c’est toute une histoire ;
Mais
l’Histoire, Matthias, ne se soucie pas de toi,
L’Histoire
ne te connaît pas.
Le
sergent-recruteur, lui, se souvient de toi.
Longtemps
après, il te retrouvera.
Matĕj,
Matthias, Mathieu le déserteur,
Cache-toi
dans le trou du souffleur.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.