vendredi 30 octobre 2015

PSAUME DE CHEZ NOUS ET DES ÉMIGRANTS

PSAUME 


DE CHEZ NOUS ET DES ÉMIGRANTS


Version française – PSAUME DE CHEZ NOUS ET DES ÉMIGRANTS – Marco Valdo M.I. – 2015

Chanson italienne – Salmo alla casa e agli emigrantiRocco Scotellaro1952

In “L'universo contadino e l'immaginario poetico di Rocco Scotellaro”, de Giovanni Battista Bronzini, Edizioni Dedalo, 1987.
Dans la section intitulée « Quaderno a cancelli » d
u recueil « È fatto giorno. 1940-1953 », Milan, Mondadori, 1954.




Le Jules César sur la route de l'émigration de l'après-guerre
Direction : de Naples, Gênes vers Rio de Janeiro, Buenos Aires




Après avoir vu ses compatriotes s'embarquer à Naples, Rocco Scotellaro, s'est posé le problème de la forme poétique la plus apte à exprimer l'angoisse de qui voit se répéter l'exode biblique. Il le résolut par le psaume : « Épique : sonne faux, maintenant. Élégie : c'est trop facile. Ode : pour qui et quoi ? Sonnet : il faut de la paix et beaucoup de jours d'incubation, pas des rimes, du fait. Chanson : je suis seul. Discours : idem. Epicedio (chant funèbre en présence du mort ; en français, parfois, thrène, mais en fait, le thrène (treno en italien) se chante en l'absence du mort) : les morts sont froids. Psaume : je suis en train d'y arriver, mais l'inconnu est lointain. Allons pour une sorte de Psaume… »



Face à la misère croissante, les campagnes d'Italie se dépeuplent et des millions de « paysans » (dans la chanson compatriotes) émigrent. Nous sommes vers 1950 et cette hémorragie dure depuis des dizaines d'années. C'est là un des effets amplifié de la période fasciste et de la politique nataliste couplée à l'effondrement économique résultant de l'autarcie et de la guerre.
Pour Rocco Scotellaro, ce dépeuplement pose un double problème.



Mais pour commencer, je pense qu'il est bon de rappeler qui est Rocco Scotellaro…



C'est ce que j'allais faire. Donc, Rocco Scotellaro est une personne hors du commun et en même temps, c'est un de ces pauvres gens du Sud ; en l'occurrence, la Lucanie. Personne hors norme, il va se faire la voix des sans-voix, la voix des siens, la voix de ces éternels taiseux, ces taciturnes que sont les « terroni », les « braccianti », les « somari », peu importe le nom qu'on leur donne. Cela va l'amener à parcourir un itinéraire de vie à double voie : celle du combat politique contre les partisans de l'immobilisme, essentiellement les « grands propriétaires » et leurs obligés et celle, plus forte, plus intime, de la poésie. La première de ces voies le conduira à assumer le rôle de maire socialiste de sa ville : Tricarico ; la seconde fera de lui un des poètes les plus poignants de la condition paysanne, un homme qui souffrira de la mort lente de ce monde où il est né et a toujours vécu. Il y a chez Rocco Scotellaro un attachement à son monde tout entier tenu dans les « argiles » lucaniens.



Dis-moi maintenant, parle-moi maintenant, Marco Valdo M.I. mon ami, de ce poème, de cette chanson…



J'y viens. J'y viens. En premier, comme tu as pu le comprendre de la petite citation de Rocco Scotellaro rapportée ci-dessus, il s'agit là d'un psaume : chose héritée de la poésie grecque de l'antiquité. Un chant psalmodié, c'est-à-dire (ici) une lamentation à caractère collectif, qui en principe, est accompagnée ou soutenue par une musique instrumentale. L'instrument, du moins à l'origine, est le psaltérion – un instrument à cordes, muni d'une caisse de résonance ; on le dit ancêtre du clavecin.






Oui, oui, dit Lucien l'âne en souriant. J'en ai déjà entendu jouer ; c'était aux temps où Athènes rêvait, bien avant le cinéma muet.






J'en reviens à Rocco Scotellaro et à ce Psaume. Tout d'abord, le titre. En italien, c'est : « Salmo alla casa e agli emigranti » et j'ai donné un titre français : « PSAUME DE CHEZ NOUS ET DES ÉMIGRANTS ». En deux mots, « alla casa » signifie littéralement « à la maison », ce qu'on traduit aussi par « chez soi ». Mais, vois-tu Lucien l'âne mon ami, c'est un psaume à vocation collective et ni la maison, ni le chez soi ne rendaient cela. Alors, j'ai trouvé ce « chez nous » qui inclut aussi le psalmiste – i.e. Rocco Scotellaro lui-même, bien qu'il n'ait pas l'intention d'émigrer. Ce psaume est aussi « aux émigrants ». Car cette émigration est en fait un malheur. Non seulement, elle est un malheur en elle-même, mais en plus, elle crée du malheur. D'une part, l'émigration – pour la plupart des gens – n'est pas un voyage d'agrément, un départ souhaité ou désiré, sauf par désespérance ; elle résulte d'une situation malheureuse, tellement malheureuse qu'il faut fuir. Ainsi, pour résumer : on n'émigre pas par plaisir ; généralement, il faut des circonstances extrêmes pour abandonner son pays et les siens. Si l’émigration est un malheur, résulte d'un malheur, elle en crée aussi d'autres. Je cite pêle-mêle : la désertification du pays, la pénibilité du « voyage » (il suffit de regarder ce qui se passe actuellement aux entrées de l’Europe…) et le destin souvent très difficile à l'arrivée. En plus, et c'est un des thèmes évoqués par le Psaume, les émigrants laissent derrière eux un monde en ruines. Voilà ce que raconte cette chanson.



Bien. Découvrons ce psaume et ensuite, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde enclin aux migrations, incohérent, absurde et cacochyme.






Heureusement !






Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.















Courbés vers la terre, à la petite porte rongée de la maison,
Nous sommes ses enfants et la porte est chargée d'autres sudations,
Et la terre, notre portion, pue et flaire.
Ils me tuent, m'arrêtent, je mourrai de faim, étouffé
Car vent et poussière, sous la porte, brûlent la gorge ;
Aucune autre femme ne m'aimera, éclatera la guerre,
Croulera la maison, mourra maman et mes amis, je perdrai .
Mon pays va se dépeuplant, sans chansons embarquent
Avec leurs trousseaux de chemises et de culottes, mes compatriotes.
Vont-ils attraper l'anneau ? Comme dans le jeu,
Sur des mulets bardés de couvertures, et avec leurs pertuisanes,
En file tendue sur le chemin, le jour de Saint Pancrace ?
Même vous, pères de la terre, vous partez laissant Le jour sous la porte plus noir que la fumée noire.
Que
lle lumière avez-vous léguée à vos enfants
Quand ils se retireront le soir ?



NOTE
(*) le jeu de l'anneau pendant la fête de San Pancrazio (« qui arrache, debout sur le mulet, l'anneau avec une longue perche, reçoit en prix un anneau d'or ») sert à « indiquer la disproportion entre le danger de tomber et le prix », la même disproportion inhérente dans l'acte d'émigrer, en laissant tout pour un destin obscur et inconnu…




mercredi 28 octobre 2015

Till, le roi Philippe et l'âne

Till, le roi Philippe et l'âne

Chanson française – Till, le roi Philippe et l'âne – Marco Valdo M.I. – 2015

Ulenspiegel le Gueux – 9


Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).




Till sur son âne, toute la ville, traversa 

Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la neuvième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les huit premières étaient, je te le rappelle :


01 Katheline la bonne sorcière [[50627]] (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe [[50640]](Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique [[50656]](Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame [[50666]](Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! [[50687]](Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till [[50704]](Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée [[50801]](Ulenspiegel – I, XXXVIII)
Je profite de l'occasion pour faire remarquer cette numérotation particulière que je viens d'introduire : (Ulenspiegel – I, I), laquelle signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l'édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d'où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.


C'est une fort bonne idée, dit Lucien l'âne. Je me demandais d'ailleurs comment savoir où trouver tous ces renseignements… Pour le reste que dit la chanson…


Comme tu t'en souviens certainement, Till et Philippe – il s'agit du roi Philippe – ont un rôle capital et antagoniste dans le récit imaginé par Charles De Coster, il y a près de 150 ans, déjà. Ils sont les deux pôles qui vont orienter toute cette histoire, elle-même assez complexe, tant elle entremêle de récits, de personnages et d'événements divers. On peut la lire de mille façons, sans doute. Mais ici, dans Ulenspiegel le Gueux, il s'agit essentiellement de l'affrontement entre le pouvoir et la liberté ; il est question aussi du véritable combat que mène l'Église contre la libre-pensée. Quant à Till et Philippe, ils seront cette fois encore les acteurs principaux. J'ai dit « cette fois encore », car il t'en souviendra, la première fois qu'on les mit en présence ici, c'était pour leurs naissances respectives et la chanson s'intitulait : « Till et Philippe ». Revoici donc une nouvelle rencontre, mais elle est bien différente, car Till et Philippe vont se voir et même, se parler.


Si c'est bien la rencontre à laquelle je pense, je crois bien que c'était à Anvers et figure-toi, que j'étais moi-même présent et bien placé pour en connaître.


Je me disais justement que ce devait être toi, cet âne qui accompagnait Till dans ses déambulations anversoises. Je pensais en écrivant cette chanson que cette entrée de Till à Anvers sur le dos d'un âne semblait avoir inspiré le peintre ostendais James Ensor pour son Entrée du Christ à Bruxelles, scène elle-même manifestement aussi liée à l'Entrée du Christ à Jérusalem, toujours sur le dos d'un âne.


J'y étais, j'y étais… Dans tous les cas, on ne saurait nier l'importance de l'âne en cette folle journée. Personnellement, j'en ai gardé un merveilleux souvenir. On a traversé la ville de part en part et je me vois encore allant rigolard avec Till sur mon dos et le valet qui court à mes côtés, tenant la bride. Et puis, ce qui s'est finalement passé sur la place avec tous ces gens.


Écoute, Lucien l'âne mon ami, laisse-moi quelques instants pour recadrer cette scène d'anthologie et en exposer les tenants et les aboutissants. Au début, on a donc, d'un côté, Till qui joue au fou à Bois-le-Duc, d'où sa réputation l'avait précédé jusqu'à Anvers, d'où on envoya le chercher. D'autre part, on a Philippe – entretemps, marié à la Reine d'Angleterre est devenu roi consort, sans aucun pouvoir personnel, ne « régnant » que par l'entremise de sa femme. Un fait difficile à accepter pour un Très Grand d'Espagne… Il s'en est d'ailleurs plaint à son père Charles Quint et ce dernier lui a promis qu'il se retirera bientôt et lui cédera sa place. En attendant, Philippe fait le tour de ses futures possessions. Il est reçu en grande pompe partout et partout, il promet ce qu'on voudra et qu'il en tiendra pas. Son entrée à Anvers condense donc toute cette équipée. Mais à Anvers, c'est le sens de la chanson, Till va lui montrer en même temps qu'au peuple assemblé combien leur jeu de dupes est ridicule et fonctionnez sur une immense crédulité (du peuple) et sur une immense hypocrisie (du futur roi). Et la chanson raconte fort bien tout ça…


Alors, passons à la chanson et puis, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde prometteur de beaux jours, d'avenirs radieux, de paradis futurs, crédule, croyant et cacochyme.



Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



« Pèlerin pèlerinant ne peut follier de séjour
Seulement par auberges et chemins »
Être fou, je veux bien, mais sans aucun détour,
Car pluie ou soleil, chez moi, me ramène mon destin.

Philippe, triste roi consort d'Angleterre,
S'en vînt visiter son prochain héritage :
Hainaut, Brabant, Hollande, Zélande et Flandres.
Il vivait à ce moment en son plus bel âge.

Froid était son royal visage,
Roide était sa tête louche,
Étroit son torse et torses ses jambes,
Roide son parler pâteux de laine en bouche.

Partout, ce ne fut que festoiement,
Partout, il jura de maintenir les libertés civiles,
Mais on vit bien à Bruxelles son faux serment:
Sa main se croqua soudain sur l'évangile.

À Anvers, pour un triomphe et force fêtes,
On dépensa tant et plus et plus encore.
Pour le roi, on fit carnavals et cortèges.
Rien n'y fit, Philippe tirait une tête de mort.

La ville fit quérir un fol à Bois-le-Duc.
Connais-tu un tour pour faire rire Philippe le roi ?
Heer Markgrave, j'en tiens plus d'un trempé dans le suc.
Que comptes-tu faire ? Voler en l'air, une fois.

Par les rues, les places, les carrefours, on clama
Sonnant clairons, battant tambours, à haute voix
Aux signorkinnes, aux signorkes, on annonça :
Le fol Ulenspiegel sur la place volera.

Till sur son âne, toute la ville, traversa
En robe cramoisie donnée par la commune.
Till et son âne, ornés de grelots et de soie,
Saluèrent bien bas le roi sur son estrade.

Till sur le toit, corneille sur la corniche,
Battait l'air de ses bras, mais il ne volait pas.
Là, il déclara à la foule et au roi :
Je me croyais seul fou, la ville en est pleine.

mardi 27 octobre 2015

LIBRE

LIBRE

Version française – LIBRE – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson italienne – Il LiberoNomadi – 1993



Tous se cherchent et ne se trouvent pas ; 

Mais

Ne se trouvent jamais. 


Normalité, folie, déviance sont seulement des mots vides, insensés. L'hypocrisie de celui qui n'accepte pas une manière différente d'être existe …

Ils lui ont enlevé son permis au motif, bien sûr,
Qu'il est entré dans le buffet avec sa voiture.
Lui ne se rend pas, il ne s'avoue pas vaincu du tout,
Il est fou.

Il n'a pas envie de résister à sa folie
Dans son refuge commode, il se justifie.
Ne me forcez pas à travailler,
Je ne supporte pas d’être critiqué.

Il est resté ici, il n'a pas été militaire ;
Il ne supportait pas de dire : « À vos ordres !  ».
Il voyage par l'esprit, il se sent
Voler dans son voyage en dedans.

Appelez-la folie, si ça vous plaît.
Ce monde lui fait horreur et il le fuit.
Il se cache sous le lit
Et il ne se repent jamais.

Ils font des détours pour le confondre ;
Il n'est pas facile de les avoir, ils sont madrés ;
Mais avec quelque extravagance,
Il les forcera à renoncer.

Il ne va pas travailler car un fou ne peut pas ;
Si on lui offre un emploi,
Il répond : « Non ! Je n'en veux pas !»,
Il voyage par l'esprit, il se sent
Voler dans son voyage en dedans.
Fou sera celui qui
Ne comprend pas la folie
De ne pas avoir su regarder autour de soi ;
Mais quelle différence ?
Si dans le noir, tous se cherchent
Mais
Ne se trouvent pas ;
Mais
Ne se trouvent jamais.
Il n'est pas hors de la norme.
Sur son bulletin de vote ,
Il dessine des femmes nues
À la poitrine ferme.
Ça ne lui va pas de juger.
Il est libre. Il est léger.

Il ne doit pas, il ne s'essouffle pas,
Il ne grossit pas, c'est un fou.
À ce jeu, il ne se prête pas ;
Ça ne lui va pas de faire le fou ;
Il est peut-être fou, mais idiot, il ne l'est pas.

Ils lui ont enlevé ses papiers
Car il n'est pas d'usage de laisser
Circuler quelqu'un comme lui,
Il voyage avec l'esprit,
Il lui semble qu'il se sent
Voler dans son voyage en dedans.
Fou sera celui qui
Ne comprend pas la folie
De ne pas avoir su regarder autour de soi,
Mais quelle différence
Si dans le noir, tous se cherchent
Mais
Ne se trouvent pas ;
Ne se trouvent jamais.
Mais quelle différence si dans le noir
Tous se cherchent et ne se trouvent pas ;
Mais
Ne se trouvent jamais.
Non jamais.

Mais quelle différence si dans le noir
Tous se cherchent et ne se trouvent pas ;
Mais
Ils ne se trouvent jamais.
Non jamais.

lundi 26 octobre 2015

DANSE DU FOU (POUR FRANCO MASTROGIOVANNI)

DANSE DU FOU
(POUR FRANCO MASTROGIOVANNI)

Version française – DANSE DU FOU (POUR FRANCO MASTROGIOVANNI) – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson italienne – Ballo del matto (per Franco Mastrogiovanni)Luca Ricatti – 2015



Francesco Mastrogiovanni, diFranco
Le maître (d'école) le plus haut du monde
Assassiné à l'hôpital





Toutes les fois que je chante en public «  Il ballo del matto » (le Bal du Fou), je prends quelques minutes pour raconter l'aventure de Franco Mastrogiovanni. Avant tout parce qu'en effet, si on ne connaît pas l'histoire, la chanson paraît un brin obscure. Et ensuite car c'est un événement qui doit être raconté.Dès lors, il est juste que j'écrive quelques lignes ici.Pour commencer, Francesco Mastrogiovanni, dit Franco, n'était pas du tout un fou. Il était instituteur. De lui, ses élèves disaient qu'il était l’instituteur le plus haut du monde. Ce devait être une personne à l’intelligence vive, curieuse, très sensible. Sa nièce, la journaliste Grazia Serra, m'a écrit qu'elle était heureuse qu'on écrive des chansons pour se remémorer son oncle, parce qu'il « vivait de musique ». Et il aimait les livres. Et ensuite il avait de toujours des sympathies anarchistes. Pour les forces de l'ordre c'était un « anarchiste reconnu », définition qui pour eux équivaut à dire qu'il était une sorte de pestiféré. La peste de la libre pensée. C'est peut-être vraiment sa liberté de pensée qui est à l'origine des mésaventures qui ont marqué sa vie.

À l'été de 1972, à Salerne, il se retrouva involontairement avec deux copains anarchistes  dans une bagarre avec quelques militants de FUAN, association de jeunesse du Mouvement Social Italien (pour les plus jeunes : le MSI était un parti d'extrême droite, guidé par Giorgio Almirante ). Par malheur, la bagarre finit très mal : son ami Giovanni Marini poignarde à mort Carlo Falvella, pour défendre Mastrogiovanni, qui s'était pris un coup de couteau. En n'ayant aucune responsabilité dans la mort du néofasciste, Franco fit plusieurs mois de prison, avant être absous. Pour les forces de l'ordre, il restera toujours un dangereux subversif.
En 1999, il finit de nouveau en prison pour l'indicible faute d'avoir contesté une amende. Il fa
llut le procès en appel pour qu'il soit absous et dédommagé pour injuste détention. Et pour ne rien manquer, il subit deux Traitements Sanitaires Obligatoires (TSO), en 2002 et en 2005.Suite à tout ce qui a subi, il semble que Franco ait développé une vraie phobie pour les uniformes. Malgré quelques périodes de dépression, de toute façon, il vit une vie normale, travaille pendant l'année, va en vacances, l'été.

En 2009, il va passer les vacances dans le Cilento. La nuit du 30 juillet, il traverse en voiture la zone piétonnière de la commune de Pollica. Les agents de police signalent qu'il a provoqué un incident, ce qui n'est pas vrai. Mais cela suffit pour que le maire, Angelo Vassallo, signe l'autorisation d'une énième TSO (internement psychiatrique). Il pense que si quelqu'un est qualifié de « subversif bien connu » et a déjà subi deux TSO (internements), il est finalement très facile de penser qu'il a fait un acte fou, même s'il s'est seulement trompé route.

Le matin suivant Franco Mastrogiovanni est à la mer, à l'établissement de bains qui fréquente. Les agents de police arrivent subitement sur lui, ils l'ont aperçu en route et ils se sont lancés à sa poursuite. Il refuse de se livrer et dit au gérant de l'établissement : « S'ils me conduisent à l'hôpital de Vallo della Lucania, ils me tuent. » Ensuite il s'enfuit et il se jette à la mer. À terre, il y a les forces de l'ordre, les Gardes Côte et je ne sais pas combien d'infirmiers.
Lorsque à la fin, épuisé, il sort de l'eau et se rend aux hommes en uniforme, son unique forme de protestation consiste à chanter des chansons anarchistes.

Ils l'emmènent à l'hôpital San Luca de Vallo della Lucania, le sédatisent, ils le lient à un lit et le laissent là. Pour environ quatre-vingt-dix heures. Franco se regimbe, demande de l'aide, saigne des poignets. Mais rien à faire, pendant presque quatre jours, on le laisse dans cet état. Sa nièce Grazia – raconte-t-elle – va demander pouvoir le voir, ils refusent, on ne peut pas.
Dans la chambre où il a été mis Franco, il y a une caméra de sécurité. La caméra filme tout. Elle filme son agonie, elle filme le personnel soignant qui passe à côté de lui, elle filme la mare de sang sous le lit. Et elle filme sa mort.

Il y a eu un procès de premier degré avec des condamnations. Maintenant, c'est le procès d'appel. L'avocat de la défense a soutenu que Mastrogiovanni devait être contenu pour défendre sa santé. Jugez vous-mêmes.

De cette histoire, les mass media ont très peu parlé. Car Franco était anarchiste et les anarchistes, on le sait, sont imprésentables. Car des TSO (internements psychiatriques) et des maladies mentales, il n'est pas bien de parler à la TV. Car l'autorisation à TSO (d'internement), c'est Angelo Vassallo , qui l'a signée, lequel est considéré comme un héros (lorsqu'il fut assassiné à son tour par des tueurs inconnus), et qu'il n'est pas bien de raconter des histoires qui font tache sur la mémoire des héros. Pour tout ceci ou peut-être d'autres raisons, du cas Mastrogiovanni, on a parlé très peu. Et alors de temps en temps, quelque chanteur lui dédie une chanson. Je l'ai fait aussi.



Chansons dédiées à Franco Mastrogiovanni:

Mastrogiovanni d
'Alessio Lega
Ottantadue ore d
e Pierpaolo Capovilla
Canzone per Francesco d
e Davide Gastaldo
Ballo del matto (per Franco Mastrogiovanni) d
e Luca Ricatti

La mort s'est vêtue de blanc
Sans vergogne, elle ment.
Elle porte une blouse étroite
Et un stéthoscope pend sur sa poitrine.

La mort s'est vêtue de blanc
Qui lie et serre fortement
En poche un papier timbré
Qui enferme là celui qui est oublié.

La mort s'est vêtue de blanc.
Elle prescrit le tourment,
Elle impose la contention,
Elle signe la persécution.

C'est un abus de puissance,
C'est l'arrogance, c'est la suffisance
De celui qui sait en user
Sous couvert d'autorité.

Où est-il le fou,
Mais qu'a-t-il fait ?
Dans les vagues de la mer, il s'est réfugié.
Voilà le fou
Mais qu'a-t-il fait ?
On ne sait pas, mais il faut l'arrêter.

Vienne une vague faire le bourreau ;
Que libre encore, il puisse se noyer.
J'aime mieux penser qu'il meurt dans l'eau
Que dans un hôpital enfermé.
Vienne une vague faire le bourreau
Que libre encore, il puisse se noyer.
J'aime mieux le penser mort dans l'eau
Que dans un hôpital assassiné.
De blanc se vêt la mort
Qui écrase même le plus fort.
Elle a un badge sur la poitrine
Et dispense la morphine.

Il est maintenant obligatoire
D'oublier cette histoire
Et beaucoup s'y sont pliés
Par respect de l'autorité.
Où est-il le fou,
Mais qu'a-t-il fait ?
Dans les vagues de la mer, il s'est réfugié.
Voilà le fou
Mais qu'a-t-il fait ?
On ne sait pas, mais il faut l'arrêter.

Vienne une vague faire le bourreau
Que libre encore, il puisse se noyer.
J'aime mieux le penser mort dans l'eau
Que dans un hôpital prisonnier.

Vienne une vague faire le bourreau
Que libre encore, il puisse se noyer.
J'aime mieux le penser mort dans l'eau
Que dans un hôpital assassiné.

La mort s'est vêtue de blanc
Sans vergogne, elle ment.
Elle porte une blouse étroite
Et un stéthoscope pend sur sa poitrine.