mardi 23 février 2021

LE PAYS FANTÔME


LE PAYS FANTÔME


Version française – LE PAYS FANTÔME – Marco Valdo M.I. – 2021

Chanson italienne – Il paese che non c’eraAlessio Arena(2020)


Dans Mulberry, les enfants vont nu-pieds



Dialogue Maïeutique


Ah, Lucien l’âne mon ami, toujours cette question de titre, mais pas seulement ; déjà le titre lui-même me posait question. Il ne devait sans doute pas rendre même son dans ma tête que dans celle de l’auteur italien : Alessio Arena. Littéralement, il aurait fallu traduire : « Il paese che non c’era » par « Le pays qui n’était pas », ou quelque chose comme ça. Mais, comme j’ai dit, moi, ça ne m’allait pas. Bref, j’ai opté pour « Le pays fantôme » ; on peut toujours dire que ce n’est pas ça, que c’est même tout autre chose. Je le sais bien, c’est la raison pour laquelle je ne me targue jamais ou presque de traduire et que je précise chaque fois qu’il s’agit d’une version française et pour être plus précis encore, de ma version française. Il y en a tant d’autres possibles. Je considère de même qu’elle (comme toutes les versions) est une œuvre à part entière et non une copie dupliquée dans une autre langue. D’ailleurs, même les traducteurs automatiques produisent des versions très différentes (souvent étonnantes) d’un même texte – sauf peut-être dans des matières techniques ; mais c’est une autre histoire. Il est d’ailleurs très amusant de faire traduire par un de ces traducteurs (ou plusieurs) un texte, puis de faire retraduire leur traduction dans la langue d’origine. Pour en revenir à la chanson, les deux premiers vers de cette chanson, me rappellent par le ton précisément ces deux vers de Rocco Scotellaro :


« È fatto giorno, siamo entrati in giuoco anche noi
con i panni e le scarpe e le facce che avevamo. »

« Le jour s’est levé, nous sommes entrés dans le jeu nous aussi.
Avec les vêtements et les souliers et les faces que nous avions. »


Oh, dit Lucien l’âne, voilà qui m’intéresse. Cependant, comme le titre est un mystère, il serait bien que tu me parles du reste.


Eh bien, allons-y, dit Marco Valdo M.I. ; tout d’abord, l’explication que donne l’auteur Alessio Arena – un Napolitain, exilé à Barcelone, pèlerinant dans le désert de l’Atacama au nord du Chili – est que « pays fantôme », ainsi que je l’ai nommé, est le pays des utopies qui font bouger le monde. Il y a donc : New York (Mulberry street dans Little Italy), Buenos Aires (Argentine), le désert d’Atacama (Chili), Berlin (Allemagne), une côte en Méditerranée orientale (Liban ou Turquie), Calcutta (Inde), à Ramallah (Palestine), à Montevideo (Uruguay), à Addis-Abeba (Éthiopie), tels sont les lieux que cite la chanson, mais il en est bien d’autres, pareils, meilleurs ou pires, je ne sais. Ça dépend.


Oui, dit Lucien l’âne, ça dépend, de même que l’Argentine n’est pas le Pérou, il en est ainsi pour tous les lieux du monde et depuis des millénaires – je le sais d’expérience – les humains transhument des plaines aux montagnes, des forêts aux marais, et par les fleuves et par les mers, ils s’en vont d’un continent à l’autre. Il ne faudrait pas perdre de vue aussi que ces transhumances s’étalent sur des générations ou des dizaines de générations. Alors, vu ainsi, le mouvement des humains s’apparente à la dérive des continents et à la tectonique des plaques. Il y a des frottements.


Oui, Lucien l’âne mon ami, ça ressemble à ça. Et la plupart du temps, derrière ces glissements de populations, il y a la misère, le manque d’eau, la faim, la guerre, l’intolérance religieuse, la religion et ses « autels de la foi » ou je ne sais quelle idée de supériorité des uns sur les autres. Et la chanson le résume ainsi :


« C’est l’histoire du monde,

Nous sommes les enfants d’un exode constant,

Le rêve des migrations traverse les temps,

La chimère du pays fantôme danse une ronde. »


Mais comme je le dis souvent, la chanson dit mieux et plus de choses encore. Elle dit notamment :


« Nous sommes les voyageurs

En route vers la mer mineure. »


Je me suis demandé ce qu’était cette « mer mineure » (mare minore), car elle n’apparaît sur aucune carte, du moins sous ce nom. Alors, pour que tu ne doives pas chercher, je te dirai que c’est celle que tu connais, autour de laquelle tu tournes depuis tant de temps.


Alors, dit Lucien l’âne, ce serait la bonne vieille Méditerranée, la mer au milieu des terres. D’accord, mais alors que viennent faire l’Inde, l’Uruguay, l’Atacama ?


Oh, répond Marco Valdo M.I., l’explication qu’en donne l’auteur est simple :


« interview : Il mondo che si muove

Sono canzoni incise tra la Spagna, il Cile e Napoli, sempre inventando questo mare nostrum allargato e si chiamerà “Il mare minore” perché racconterà di una migrazione verso casa. »

Autrement dit :


« interview : Le monde qui bouge

Ce sont des chansons enregistrées entre l’Espagne, le Chili et Naples, en inventant toujours cette mare nostrum élargie et qu’on appellera « Il mare minore » parce qu’elle parlera d’une migration vers chez soi. »


Ce serait en somme, une émigration élastique ou boomerang qui revient à son centre – « il mare minore – le « mare nostrum » des Romains – la « mer mineure ».


Bien sûr, la chanson dit bien des choses, j’irai les voir de près, dit Lucien l’âne. Cependant, cette vision de la « mer mineure » et le retour au « centre » me paraissent quand même fort autocentrés et ne rendent compte que d’une petite partie du vaste et chaotique mouvement perpétuel de la migration. En quelque sorte, dans ce chaos migratoire, le « chez soi » est partout où on se trouve ; on se transporte toujours avec soi-même et dans la migration, la seule chose qui reste, c’est soi. Quant à nous, tisserands du temps, tissons le linceul de ce vieux monde bardé de misère, rongé de haine, inconscient, ignorant de son destin et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane







Le ciel s’était fait obscur

La ville semblait un noyau d’olive dur.

Croûtes de pain noir, les yeux fatigués,

Dans Mulberry, les enfants vont nu-pieds.

Mains vides et musique rythmée,

Nouveau drapeau, dans la fumée

De New York étouffée.



Des réfugiés albanais à Buenos Aires,

Des Turcs et des Croates à la messe

Dans le désert de l’Atacama.

Des étudiants anglais et des exilés de Cuba

Sautent par-dessus les derniers parpaings

Du mur de Berlin.

Des mères syriennes implorent une bouffée

D’air à la déesse Méditerranée.


Personne ne peut nous obliger

À contenir la vie dans les confins de la faim.

C’est un mouvement inné,

Inscrit dans les lignes de la main du destin.

C’est l’histoire du monde,

Nous sommes les enfants d’un exode constant,

Le rêve des migrations traverse les temps,

La chimère du pays fantôme danse une ronde.


Ce sont les mêmes autels de la foi

À Calcutta, à Ramallah, à Montevideo, à Addis-Abeba.

Partout sur Terre, dans les lieux les plus distants,

L’homme cherche sa voie pour prospérer,

Espérant et chantant,

Même dans une autre langue, sa liberté.


Je trouve vraiment insultants

Cet orgueil d’ostentatoire identité,

Cette prétention de pureté.

Toutes les nations mentent en mêlant

Au passé leurs propres vérités.

Nous sommes les voyageurs

En route vers la mer mineure.


Personne ne peut nous obliger

À contenir la vie dans les confins de la faim.

C’est un mouvement inné,

Inscrit dans les lignes de la main du destin.

C’est l’histoire du monde,

Nous sommes les enfants d’un exode constant,

Le rêve des migrations traverse les temps,

La chimère du pays fantôme danse une ronde.