LE PAIN ET LES ÉPINES
Version française — LE PAIN ET LES ÉPINES — Marco Valdo M.I. — 2022
Chanson italienne - Il pane e le spine - Casa del Vento - 2022
Dialogue maïeutique
« Le Pain et les Épines » ?, sursaute Lucien l’âne, ça me rappelle furieusement l’adage de la Rome antique « Panem et circences », qu’on pourrait traduire par « Le Pain et les Jeux (du cirque) ».
L’allusion est évidente, dit Marco Valdo M.I., et tout aussi évidente est l’intention polémique ; il s’agit de montrer l’apparence et la réalité, non pas du monde antique, mais plutôt d’un monde contemporain intemporel, le monde de la misère ou à tout le plus, celui de la pauvreté. Regarde bien que dans le binôme romain, comme dans celui de la chanson, il est question de pain tandis que face aux jeux (du cirque — ce qui à présent se traduirait par la consommation, l’apparence, le superflu), on trouve les épines.
Je vois, dit Lucien l’âne, la situation est plus dure.
En fait, dit Marco Valdo M.I., elle est différente et part d’une intention différente et son énonciation ne provient pas du même interlocuteur. À Rome, il s’agissait d’une politique sciemment mise en place par le pouvoir (les riches et les puissants) pour satisfaire et apaiser la plèbe toujours revendicatrice et remuante, à savoir cette partie des citoyens qui votaient à Rome ou en tout cas, comptaient en ce qu’ils étaient paradoxalement ici les remparts du système. Comme bien tu penses, cela excluait les miséreux et les esclaves.
Je comprends, dit Lucien l’âne, ceux que représentaient les tribuns et qui avaient l’émeute facile.
De l’autre côté, répond Marco Valdo M.I., celui de la chanson, l’interlocuteur est la société elle-même et les gens qui ne trouvent presque toujours que des épines n’ont que peu à voir avec cette « plèbe » ; ils sont en dehors ou en deçà du jeu social rythmé par la consommation, le pouvoir d’achat, l’aspiration à plus, l’envie de la richesse, de son apparence ou de son semblant. La chanson ne réclame pas du superflu ; d’ailleurs, elle ne réclame rien. Elle se plaint du manque de l’essentiel et d’une vie réduite à l’attente de la réalisation d’une promesse. Je me demande tout de même si ce Saint Antoine de la chanson ne serait pas le cousin germain de Saint Glinglin. D’où sans doute, ce proverbe de ma grand-mère : « Saint Antoine de Padoue, grand voleur, grand filou, rendez ce qui n’est pas à vous ! » qui pourrait bien s’appliquer ici.
Finalement, demande Lucien l’âne, que raconte-t-elle cette chanson ?
Oh, c’est assez simple, répond Marco Valdo M.I. c’est un gars qui raconte sa misère et les rebuffades qu’il subit (lui et tous ses semblables) tout au long de sa vie. Il manque de pain (l’essentiel) et quand il pense en saisir, il ne trouve que des épines et se pose la question de son avenir.
« Pour le pain qu’on n’a pas,
Combien d’épines, on aura ? »
Oh, dit Lucien l’âne, des filles, des gars et des situations pareils, j’en ai croisés des tas au cours de mes pérégrinations et une longue cantilène résonne dans les vents du monde, comme en chantait déjà le Chant des Fileuses ou La Complainte des Tisserandes et malgré les indéniables progrès, elle a encore de beaux (ou de laids) jours devant elle.
Certains disent qu’il suffit de changer le monde, reprend Marco Valdo M.I. ; c’est bien beau, mais comment ? Je ne suis malheureusement pas un chat et je n’ai qu’une seule vie et j’y tiens. La Vie c’est comme une dent, disait Vian. Je n’ai aucune vocation au martyre, fût-ce en vue d’un avenir radieux. Et puis, il change tout seul le monde et la vraie question pour chacun, c’est comment vivre dans le monde tel qu’il est et tel qu’il change.
Alors, dit Lucien l’âne, quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde riche, misérable, inerte, insensible, changeant, mutant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Le soleil est encore haut
Et vous, vous allez dormir tôt
Et vous nourrir de rêves sans fin
Pour apaiser la faim.
Le toit est une voile
Où mille étoiles
Gouttent dans les seaux
Où mon cœur prend l’eau.
L’amour d’une grand-mère
À la fois père et mère
Et un seul vêtement
Usé à laver souvent.
Avec la lampe, le soir
Devant le foyer,
Le bain dans une baignoire
Et la tête à gratter.
Pour le pain qu’on n’a pas,
Combien d’épines, on aura ?
Pour le pain qu’on n’a pas,
Combien d’épines, on aura ?
À la Saint-Antoine, à notre misère,
Ils donneront tous du pain
Et de l’autre côté de la rivière,
On ramènera un sac plein.
Et je resterai jusqu’au soir
Seul à attendre dans l’espoir
Qu’au pied du mont,
On appelle mon nom.
Pour le pain qu’on n’a pas,
Combien d’épines, on aura ?
Pour le pain qu’on n’a pas,
Combien d’épines, on aura ?
Écoutez les sirènes !
Ils viennent bombarder.
Et vous, fuyez dans la plaine !
Il n’y a qu’à espérer.
Vous verrez, ils vont repartir
Et vous vous rendormirez.
Un jour, la guerre va finir
Et à rêver, vous recommencerez.
Quand
la gamine d’à côté
A jeté un quignon
Au milieu d’un buisson,
J’aurais voulu le manger.
J’avais tellement faim,
Mais j’avais tant de guigne
Qu’au milieu des épines,
Je n’ai pu le prendre en main.
Pour le pain qu’on n’a pas,
Combien d’épines, on aura ?
Pour le pain qu’on n’a pas,
Combien d’épines, on aura ?