vendredi 28 février 2014

ESTADIO CHILE

ESTADIO CHILE

Version française - ESTADIO CHILE – Marco Valdo M.I. – 2013
d'après la version italienne de Riccardo Venturi
d'une chanson chilienne – Estadio Chile – Víctor Jara – 1973
Texte de Víctor Jara – 23 septembre 1973





Le 11 septembre 1973, Víctor Jara fut arrêté par des militaires fascistes de Pinochet. La plupart des prisonniers politiques furent enfermés dans le grand Estadio Nacional ; d'autres dans un petit complexe sportif (pas de football : on y jouait des parties de basket-ball, de volley et de mini-foot et, à l'époque, servait même pour les réunions de boxe ; il s'agit donc d'un centre) dit « Estadio Chile ». Situé dans la partie occidentale de Santiago, il avait été inauguré en 1949.

Víctor Jara y séjourna et il y fut assassiné. La date de sa mort est incertaine : pour certains, elle remonte au 16 septembre, mais il ne s'agit probablement pas de la date exacte. Avec des moyens de fortune, il continua à composer des chansons et des poésies ; celle-ci est sa dernière. On lui cassa d'abord les mains au milieu des cris de sarcasme de ces militaires de merde (« Va-z-y, chante-nous une petite chanson maintenant !  »), puis, ils les lui ont coupées. Il fut tué ensuite . Sa femme Joan Turner, qui était venue pour reprendre le cadavre, retrouva dans sa poche un feuillet avec cette chanson, portant la date du 23 septembre 1973 ; c'est probablement la date de sa mort.

L' « Estadio Chile » s'appelle, depuis septembre 2003, trentième anniversaire du putsch fasciste et de l'assassinat de milliers de prisonniers politiques, Estadio Víctor Jara.

C'était une chanson sans musique, que Pete Seeger a ensuite composée et chantée en Anglais. Le défi ultime d'un homme courageux et intelligent à ses stupides tortionnaires. [RV]



Nous sommes cinq mille ici
Dans cette petite partie la ville.
Nous sommes cinq mille.
Combien sommes-nous au total
Dans les villes et dans tout le pays ?
Rien qu'ici,
Dix mille mains qui sèment
Et font marcher les usines.
Tant d'humanité
En proie à la faim, au froid, à la panique, à la douleur,
À la pression morale, à la terreur et à la folie.

Six des nôtres se sont perdus
Dans les étoiles.
Un mort, un battu comme jamais on n'aurait cru
Qu'on puisse frapper un être humain.
Les quatre autres ont voulu s'ôter
Toutes leurs peurs,
Un en sautant dans le vide,
Un autre en se frappant la tête contre une mur,
Mais tous affrontant la mort en face.
Quelle épouvante suscite la face du fascisme !
Ils mènent au bout leurs plans avec une précision méticuleuse
Sans se retourner.
Les gouttes de sang pour eux sont des médailles.
Le massacre est un acte d'héroïsme.
Est-ce là le monde que tu as créé, Dieu ?
Pour cela, tes sept jours de prodige et de travail ?
Entre ces quatre murs, il y a seulement un nombre
Qui n’augmente pas.
Qui lentement rejoindra encore la mort .

Mais soudain ma conscience me secoue
Et je vois cette marée sans ressac
Et je vois la pulsion des machines
Et les militaires qui montrent leur visage de matrone
Si plein de douceur.
Et le Mexique, Cuba et le monde ?
Qu'ils hurlent cette ignominie !
Nous sommes dix mille mains
De moins qui ne produisent plus.
Combien sommes-nous dans toute la patrie ?
Le sang du camarade Président
Frappe bien plus fort que leurs bombes et leurs mitrailles.
Ainsi, notre poing frappera à nouveau.

Chant, tu sais le mal que j'ai
Quand je dois chanter la peur.
Une peur comme celle que je vis
Comme celle dont je meurs, une peur
De me voir parmi tant et tant
De moments d'infini
Où le silence et le cri
Sont les moyens de ce chant.
Ce que je vois je ne l'ai jamais vu.
Ce que j'ai senti et ce que je sens

Feront éclore le moment…

QUAND DONC VIENDRA LA PAIX

QUAND DONC VIENDRA LA PAIX


Version française – QUAND DONC VIENDRA LA PAIX – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson allemande – Wann ist denn endlich Frieden – Wolf Biermann – 1968
Texte et musique de Wolf Biermann


Wolf Biermann, "Der unbequeme Dichter" (le poète dérangeant)
photographie des archives de la Stasi - 1962



Quand donc viendra la paix finalement
En ces temps déments ?
La grande industrie d'armement
Ne produit que de grands tourments
Elle ensanglante la terre
Les peuples pleurent
Les enfants ont faim
La mort étend ses grandes mains
Ce ne sont pas les chaînes
Ce ne sont pas les bombes
Qui menacent l'homme
La menace pour les hommes
C'est l'homme


Le monde est tellement déchiré
Et au fond, il est si limité
Devrons-nous mourir
Pour voir la paix fleurir?
Saigne la terre
Pleurent les peuples
Les enfants ont faim
La mort étend ses grandes mains
Ce ne sont pas les chaînes
Ce ne sont pas les bombes
Qui menacent l'homme

La menace pour les hommes

C'est l'homme.

TOMBES

TOMBES


Version française – TOMBES – Marco Valdo M.I. – 2014

Chanson allemande - Gräber – Wolf Biermann - 1990

Paroles et musique de Wolf Biermann


En Crète, j'ai trouvé un cimetière
Pour Patrie et Führer
Beaucoup de soldats allemands y dorment
Dans la colline au bord de la route




Le père de Wolf Biermann, Dagobert, non seulement était juif mais aussi ouvrier, non seulement était ouvrier, mais aussi communiste. Et non seulement il était communiste, mais aussi membre de la résistance antifasciste. Il fut arrêté et condamné à six ans de captivité pour avoir saboté les pièces destinées à un navire de guerre. En 1942, lorsque les nazis décidèrent d'appliquer la « solution finale au problème juif », le père de Wolf Biermann fut aussi déporté dans un camp d'extermination, à Auschwitz, où il fut assassiné le 22 février 1943.

En Allemagne démocratique de l'après-guerre, Wolf Biermann devînt ami et élève de Hanns Eisler, revenu au pays après avoir été chassé des USA car il était communiste ; avec le maestro , il partagea rapidement une attitude critique envers le « socialisme réel ». À partir de 1963, peu après la mort d'Eisler, les autorités communistes commencèrent à censurer les œuvres de Biermann et en 1965, ils le marquèrent officiellement comme « traître de la classe ouvrière ». Comme il le raconte lui-même dans cette chanson, il fut même empêché de voyager en Pologne voisine pour rendre hommage à son père tué à Auschwitz (« Je n'ai pas besoin de chercher la tombe de mon père : il est partout, où je vois une cheminée fumer »). Ensuite en 1976, pendant qu'il se trouvait en tournée en Allemagne de l'Ouest, le gouvernement de l'Est lui rétira la citoyenneté, l'empêchant de rentrer et le forçant à l'exil.


En Crète, j'ai trouvé un cimetière
Pour Patrie et Führer
Beaucoup de soldats allemands y dorment
Dans la colline au bord de la route
Et sur eux mûrit
Le vin jaune
Trop doux ! Le vin jaune
Que j'ai englouti.

Et à Formentera, les morts habitent
Dans le confort, juste à côté
Du grand cimetière de voitures.
Cela m'a un peu effrayé
Qu'avec leurs armes, comme des guerriers
Ils reposent, morts, disposés
Au voyage dans l'éternité
Dans des voitures démobilisées

À Moscou, au cimetière des nonnes
Se tiennent là sous les images et les pierres
Les meurtriers et leurs victimes
Os sur os, ils gisent
Et jurent et geignent et cognent
Et à vif se griffent l'un l'autre
Et crient avec la terre sanglante
Dans leur bouche béante

Ainsi, j'ai brouté quelque tombe
J'ai bouffé des fleurs mortes
Et sur mon âme pèse
Une pierre de juif de Prague
Les morts ont une vie particulière
Ils parlent calme et clair
Même les mensonges de leur vie
Deviennent vrais dans le silence

Moi je sais, les morts vivent
Et veulent, que leur rende visite
Celui qui passe froid près d'eux, froids
Damné et maudit, il sera – Moi pas !
La pierre tombale de mon père
Est partout. Moi je n'ai pas
À chercher longtemps sa tombe
Elle est très facile à trouver
Là, où fume une cheminée.