dimanche 16 octobre 2016

PEUPLE QUI DE TOUJOURS

PEUPLE QUI DE TOUJOURS

Version française – PEUPLE QUI DE TOUJOURS – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne — Popolo che da sempreDario Fo – 1971





Du balcon de la Maison du Peuple 






Ah, Lucien l’âne mon ami, un comédien qu’on aime bien vient de mourir. Bien évidemment, comme il est aussi l’auteur de cette chanson, dont je présente une version française, tu sais déjà qu’il s’agit de Dario Fo. Boris Vian disait lui-même : « un mort, c’est complet. On n’est pas complet tant qu’on est pas mort. » Il est mort, le voilà donc complet ; elle termine la vie ; la chose est banale et n’a rien de tragique.

En effet, dit Lucien l’âne d’un air narquois et aux pieds noirs, ce sont des choses qui arrivent dans la vie. Cependant, je le dis tout net à ceux que ça inquiète, qu’ils se rassurent, ça n’arrive qu’une seule fois. Une seule fois, sauf dans de rarissimes cas et encore. On laissera de côté les erreurs de diagnostic où des gens apparemment morts ont soudain réémergé de cette sorte de coma. On laissera pareillement de côté les ressuscités administratifs ou judiciaires, comme Joseph Porcu . Cependant, on raconte dans un livre ou dans un autre que certains seraient morts plusieurs fois ou étant déclarés morts seraient revenus à la vie, comment dire : miraculeusement – mais nul n’en a gardé trace certaine. Ce sont des fariboles. En vérité, Marco Valdo M.I. mon ami, je te le dis, à part nous, petits personnages imaginaires, qui donc peut être éternel et ressusciter ?

Et ressusciter à la demande, de surcroît, précise enthousiaste et joyeux Lucien l’âne ; car moi, par exemple, parfois pendant des siècles on me laisse végéter sur le bord des chemins peu fréquentés et puis soudain, à ta demande, je reprends vie et littéralement, je ressuscite. La seule chose triste dans cette affaire, c’est que Dario Fo, dont je doute fort qu’il ressuscite, n’écrira plus de chansons, ni de pièces et qu’il ne les jouera plus. Encore que, en vérité, dans l’état où il était, il vaut sans doute mieux qu’il ait quitté le monde définitivement. Du point de vue professionnel, en quelque sorte, peut-être aurait-il pu comme Molière et bien des travailleurs, rattrapés par la mort blanche et des militaires par une balle perdue ou un coup de mortier, mourir en pleine action et dans son cas, en scène, dans une dernière parade : théâtralement. Mais, parle-moi maintenant de la canzone.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, cette chanson est – avant la lettre – une chanson qui raconte à sa manière la Guerre de Cent Mille Ans , cette furieuse guérilla que les maîtres mènent contre les gens du peuple aux seules fins de maintenir leur pouvoir, d’accroître leurs richesses, de renforcer leur domination et de tirer plus de profits encore. Et ils y parviennent : l’écart entre les riches et les pauvres s’accroît encore et encore et partout dans le monde. La canzone s’adresse au peuple et lui propose de réfléchir à cet état de choses. Elle dit exactement :

« Cherchons à comprendre,
Ensemble au moins une fois à comprendre
À découvrir le pourquoi
De ce truc-là. »

C’est une excellente idée, Marco Valdo M.I. mon ami, et si je m’en souviens bien, c’était aussi le but de la chanson sur la Guerre de Cent Mille Ans.


Avant de te laisser conclure, je voudrais éclaircir une singularité de ma version française. Comme on peut le voir, le texte de la version française est plus long que l’original. Ce n’est pas que la langue française soit si peu concise, mais c’est que j’ai rajouté – un peu à la manière de Dario Fo – en manière de refrain un petit quatrain, tiré du folklore populaire contemporain de Wallonie.

« Et ric et rac,
On va squetter l’baraque !
Et rac et ric,
On va squetter l’boutique ! »

C’est en fait en soi une chanson complète, disons une antienne, une rengaine que chantent les manifestants en colère, annonçant leur intention de faire de gros dégâts s’ils n’obtiennent pas satisfaction. C’est l’expression pure de la colère populaire ; elle veut dire grosso modo : « On va tout foutre en l’air » ; c’est le feulement du tigre, le grondement du séisme qui monte du centre de la Terre, c’est le chant des Canuts : « on entend déjà la révolte qui gronde ». Ce chant accompagnait les grandes manifestations très dures (il y eut des morts) de l’hiver 1960-1961, quand la Wallonie a failli obtenir son indépendance. Finalement, la manœuvre politique n’a fait que renverser le gouvernement belge… et un autre s’est empressé de prendre sa place ; c’est ce que raconte si bien la chanson. Voilà, nous sommes plus de cinquante ans plus tard et l’affaire n’est toujours pas réglée. Et la Wallonie, très largement minoritaire au nombre d’habitants et donc aux élections, au nombre d’élus – dans toutes les structures nationales, elle souffre d’un sous-investissement systématique, d’une sorte de mépris national et paye toujours plus cher son enfermement dans la Belgique sous domination flamande. Tout cela se traduit par une misère grandissante (qu’on essaye de camoufler), par la disparition massive d’emplois, la dégradation se marque dans les paysages urbain et périurbain, on annonce une pénurie de médecins…Voilà pourquoi dans les manifestations, on entend de plus en plus « Et ric et rac… ». À propos de la chanson de Dario Fo elle-même, on comprendra à ce qui précède qu’elle est tout à fait en syntonisation avec la situation contemporaine de nos régions.

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, ce « Et ric et rac » pourrait bien devenir un cri de ralliement à l’échelle de l’Europe entière. Quand on voit ce qu’ils font aux Grecs et qu’ils essayent d’imposer partout ailleurs sur le continent, sans compter le reste du monde. Européens, regardez ce qu’ils font aux Grecs, ils vous le feront bientôt ! Tu as donc bien fait de rajouter ce petit refrain, il pourra servir. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons, autant que nous pourrons, le linceul de ce vieux monde arnaqueur, exploiteur, rusé, flagorneur, écraseur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Peuple de toujours au boulot assidu,
Couillonné depuis dix mille ans et plus,
Piétiné, divisé,
Raillé et roulé,
Combien de fois as-tu explosé
Et t’es-tu jeté tête baissée dans la bagarre
Et as-tu foutu en l’air toute la baraque ?

Et ric et rac,
On va squetter l’baraque !
Et rac et ric,
On va squetter l’boutique !

Et combien de fois as-tu coupé
Les têtes bâtardes des maîtres.
Mais le m
aître sans attendre pâques et trinité
Est toujours ressuscité.
Alléluia !
Toujours il est reparu.
Alléluia
 !
Comme avant, encore une fois, oh ! Miracle, il est revenu !
Alléluia
 !
Avec des flagorneries, avec des cabrioles,
Avec des bons mots, avec des crocs en jambe,
Avec des préfets, avec des prêtres !
Alléluia
 !
Avec des réformes, avec des chiquenaudes,
Avec des policiers, avec des juges ,
Comme avant, toujours, est revenu le maître !
Alléluia
 !
Comment y est-il parvenu?
Le truc est archiconnu.
Dans cette histoire,
Cherchons à comprendre,
Ensemble au moins une fois à comprendre
À découvrir le pourquoi
De ce truc-là.

Et ric et rac,
On va squetter l’baraque !
Et rac et ric,
On va squetter l’boutique !