Au-delà
d’Eboli
Chanson
française – Au-delà d’Eboli – Marco Valdo M.I. – 2015
« Tout
simplement ceci, Lucien l’âne mon ami, que dès que les paysans,
les contadini, les braccianti et les somari surent que Carlo Levi
était médecin, ils vinrent requérir son aide pour sauver un des
leurs qui était mourant, pour soigner leurs femmes et leurs
enfants... Dottore, dottore... Et Levi, bien malgré lui, se mit à
soigner, se mit à faire le docteur. Mais les autres docteurs de la
commune privés de leurs malades, de leurs patients, accumulèrent la
rancune rapidement, puis un jour, ivres de colère, ils s’armèrent
de leurs relations et par le préfet fasciste firent interdire à
Carlo Levi d’encore soigner la population. Faut dire, faut dire
qu’il soignait gratuitement... Et voilà, le voilà le lien avec la
chanson de De André. Soigner gratuitement ses « frères humains...
». La médecine tarifée n’aime pas ça et la société établie
non plus, d’ailleurs. »
Autoportrait 1935
Carlo
Levi au temps de la chanson
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Au-delà
d’Eboli, que peut-on bien trouver au-delà d’Eboli? Et puis
pourquoi irait-on au-delà d’Eboli ? D’aucuns affirment
qu’il n’y a rien que des hommes et des collines argileuses. Mais
quand même, qui peut bien avoir ’idée d’une chanson sur
l’Au-delà d’Eboli ? Pour quelle raison ?, dit Lucien
l’âne d’un ton un peu inquiet et comme troublé.
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, quoique je sache fort bien que tu
connais la réponse à tes questions, car sur ce sujet et bien
d’autres, tu en sais autant que moi, je vais te répondre. En
premier lieu, il s’avère nécessaire de rappeler le titre du roman
qu’écrivit Carlo Levi à propos de son séjour en confinement vers
1935 en Lucanie où il avait été envoyé par le régime fasciste
qui sanctionnait ainsi ses opposants politiques. C’était une
mesure d’éloignement et comme l’Italie est longue, on les
envoyait à l’autre bout – et donc au Sud dans le cas de Carlo
Levi.
En
effet, Aliano, c’est le lieu où il fut confiné, vu de Turin,
c’est fort loin. Surtout à l’époque où les trains étaient des
tortillards, connaissaient des retards considérables et n’allaient
pas au-delà d’Eboli non plus.
En
1943-44, Carlo Levi écrivit « Cristo
si è fermato a Eboli » (Le
Christ s’est arrêté à Eboli)
https://it.wikipedia.org/wiki/Cristo_si_%C3%A8_fermato_a_Eboli_%28romanzo%29
et
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/18235
où
il relatait son séjour à Aliano parmi les paysans pauvres de
Lucanie. Ces paysans qui lui ont transmis cette réflexion sur
eux-mêmes, qui depuis est devenue notre sentence : « Noï,
non siamo cristiani, siamo somari » - Nous, nous ne sommes pas
des chrétiens, nous sommes des bêtes de somme, c’est-à-dire des
ânes.
Oui,
je me souviens très bien de ce roman, fondateur d’une
anthropologie du Sud, de notre sentence (qui me réjouit tant), mais
aussi du séjour de Carlo Levi à Aliano, car en ce temps-là, j’y
étais aussi comme un âne de passage. J’y suis resté un petit
temps et j’ai même porté des paysans malades chez le Docteur
Levi.
Tu
n’ignores sans doute pas que le titre du roman signifie non pas que
le « Christ » s’est rendu à Eboli et y a logé…
Ça
se saurait, dit Lucien l’âne en riant ; ils en feraient toute
une histoire, des pèlerinages, des commémorations, des cartes
postales.
Mais
cela signifie ceci que la pénétration culturelle et sociétale de
l’Église catholique et de l’État, qui la suit comme son ombre,
s’est arrêtée à Eboli. Dans les zones de collines argileuses,
blanches, quasiment arides, impraticables, presque désertiques,
extrêmement pauvres, la civilisation chrétienne et étatique n’a
pas cru bon de pénétrer, en raison des résistances paysannes, et
en conséquence, les « terroni » (en français :
culs terreux) n’ont pas été évangélisés autrement que
superficiellement, n’ont pas été vraiment christianisés et ont
gardé entière leur civilisation antérieure à l’arrivée des
colonisateurs chrétiens. C’est la civilisation incarnée par la
sorcière (la femme forte, consolatrice, conseillère, détentrice
des secrets de la guérison, des connaissances relatives à la
médecine, aux plantes…) à laquelle on a tenté de substituer
(depuis des siècles) la Vierge Marie.
Sans
d’ailleurs vraiment y parvenir ; je dirais même que c’est
l’inverse qui se produit quand dans le culte marial, c’est la
sorcière et ses précieuses qualités que l’on chérit. Voilà
pour le titre, mais la chanson, Marco Valdo M.I. mon ami, que
raconte-t-elle ?
En
fait, elle reprend la trame fondamentale du roman qui est la présence
de Carlo Levi, ce citadin du Nord, médecin de formation et peintre
de dilection, au cœur de la société des somari. À Aliano, il va
être logé chez celle qui est connue comme la « sorcière »
de cette communauté paysanne pauvre et Levi va ainsi être amené à
user de son art de médecin.
On
dirait une histoire tout droit venue du Chiapas de Traven, dit Lucien
l’âne avec un rayon malicieux dans le regard.
Ce
n’est pas faux, le monde des paysans pauvres est le même dans le
monde entier. Donc, Carlo Levi qui en confinement n’a pas
grand-chose à faire, hors sa peinture , va aider ces gens, il va les
conseiller sur le plan sanitaire, il va les soigner gracieusement et
même en guérir certains. Mais il ne peut rien contre la malaria, la
tuberculose, la faim et la pauvreté qui les engendre. Cependant, le
peu qu’il pourra faire dépassera de loin (trop loin?) ce que les
médecins faisaient traditionnellement pour les braccianti (en
français : on pourrait dire « bras nus », comme
disait Jules Michelet et à sa suite, Daniel Guérin, parlant des
pauvres de la Révolution Française, morte en 1795). Bref, ce
« soigneur des pauvres » est un gêneur et les médecins
installés vont agir pour récupérer leur clientèle… Mais la
chanson explique bien tout ça. Puis, un jour, à la proclamation de
l’Impero fasciste, les prisonniers politiques du régime sont
libérés et Carlo Levi s’en retourne dans le Nord. Cependant…
Cependant
quoi ? Il y a autre chose à ajouter à propos de cette
canzone ?
Oui,
car elle a été construite à partir du petit texte cité en
introduction et de la chanson de Georges Brassens qui s’intitule
Brave Margot et que tous les enfants connaissent si bien. Chansons
qu’il faudra mettre dans les Chansons contre la Guerre. Comme tu
l’imagines, il s’agit d’une parodie ; on aurait d’ailleurs
pu lui donner pour titre : « Brave Carlo ».
J’aime
quand tu fais des parodies, tu ne les réussis pas si mal et puis,
c’est souvent l’occasion de retrouver la chanson parodiée. Mais
si tu veux bien, on parlera de Margot une autre fois ; en
attendant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux
monde si hostiles aux sorcières, si méprisant des somari, si dénué
de générosité et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Le
docteur Levi, avant la guerre,
Confiné
là-bas en Lucanie,
Tout
au fin fond de l’Italie,
Vivait
dans la maison de la sorcière,
Une
simple maisonnette
Située
au bord du ravin.
Il
pensait sa profession secrète
Lui
qui arrivait de Turin.
Mais
les ânes, les somari, les paysans
On
ne sait vraiment trop comment
Avaient
immédiatement su
Qu’il
était docteur et sont venus
Requérir
son aide pour soigner
Un
des leurs agonisant.
Le
docteur Levi désespéré
Put
à peine soulager le mourant.
Quand Carlo vivait près des nuages
Au-delà d’Eboli tout là-bas
Tous les gens, tous les gens du village
Venaient là, la la la la la la
Venaient là, la la la la la la la
Et Carlo, qui avait compris le message,
Savait qu’ils attendaient tous qu’il soigna
Gracieusement tous les gens du village
Qui venaient là, la la la la la la
Qui venaient là, la la la la la la la
Le maître d’école et ses élèves,
Les mères, les veuves, le podestat,
À la moindre montée de fièvre,
Sans
attendre, couraient jusque là.
Le
facteur en portant ses lettres
Chez
le docteur, restait un peu plus
Que
pour le service de la poste
Il
aurait dû.
Et
même, Dieu leur pardonne
Le
curé et les enfants de chœur
Vont
sans qu’on les sonne
Chez
la sorcière, voir le docteur.
Les
carabiniers, même les carabiniers
Viennent
sans se cacher
Se
faire ausculter
Et
prendre les conseils de l’exilé.
Quand
Carlo vivait près des nuages
Au-delà d’Eboli tout là-bas
Tous les gens, tous les gens du village
Venaient là, la la la la la la
Venaient là, la la la la la la la
Et Carlo, qui était intelligent et sage,
Savait qu’ils attendaient tous qu’il soigna
Gracieusement tous les gens du village
Qui venaient là, la la la la la la
Qui venaient là, la la la la la la la
Au-delà d’Eboli tout là-bas
Tous les gens, tous les gens du village
Venaient là, la la la la la la
Venaient là, la la la la la la la
Et Carlo, qui était intelligent et sage,
Savait qu’ils attendaient tous qu’il soigna
Gracieusement tous les gens du village
Qui venaient là, la la la la la la
Qui venaient là, la la la la la la la
Les
autres médecins, les chers confrères,
Privés
de leurs malades, de leurs patients
Accumulèrent
La
rancune patiemment
Puis
un jour, furieux, en colère,
Ils
firent jouer leurs relations
Et
par le préfet lui interdire
D’exercer
sa profession.
Relégué
là, sans armes.
Gardant
son calme, Levi
Distribuait
remèdes et charmes
Par
la sorcière et ses amis.
La
création de l’Empire arriva
On
le libéra du confinement.
Et
longtemps après, Levi raconta
Cette
histoire dans un roman.
Quand
Carlo vivait près des nuages
Au-delà d’Eboli tout là-bas
Tous les gens, tous les gens du village
Venaient là, la la la la la la
Venaient là, la la la la la la la
Et Carlo, qui était intelligent et sage,
Savait qu’ils attendaient tous qu’il soigna
Gracieusement tous les gens du village
Qui venaient là, la la la la la la
Qui venaient là, la la la la la la la
Au-delà d’Eboli tout là-bas
Tous les gens, tous les gens du village
Venaient là, la la la la la la
Venaient là, la la la la la la la
Et Carlo, qui était intelligent et sage,
Savait qu’ils attendaient tous qu’il soigna
Gracieusement tous les gens du village
Qui venaient là, la la la la la la
Qui venaient là, la la la la la la la