lundi 27 novembre 2017

RENONCEMENT (À LA PLAGE)

RENONCEMENT (À LA PLAGE)
Version française - RENONCEMENT (À LA PLAGE) – Marco Valdo M.I. – 2017
à partir de la version italienne de Gian Piero Testa – RINUNCIA – SULLA SPIAGGIA – 2009






Dialogue maïeutique

Lucien l’âne mon ami, il me semble utile et nécessaire de profiter de notre dialogue maïeutique – dont je te rappelle qu’il signifie simplement conversation à deux pour faire naître le sens – pour éclairer notre lanterne magique à propos de cette chanson de Mikis Théodorakis, dont certaine interprétation – que je vais de présenter – est fondamentale. Elle repose sur le fait que l’auteur – Georges Séféris a précisé – dans le titre – (À la plage). Dès lors, pourquoi une telle précision et entre parenthèses, ce qui a aussi du sens.

Ah, Marco Valdo M.I., mon ami, je ne sais ce que tu vas me dire, mais je t’assure de toute mon attention, car j’ai ressenti dans ton exorde que cette réflexion te tient à cœur. D’autant, si je ne me trompe – à voir toutes ces versions – que c’est une chanson importante de Mikis Théodorakis, que j’ai connu lors de mes pérégrinations et des siennes et dont je connais dès lors la signification politique et l’engagement dans la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres, afin d’imposer leur domination, de renforcer leur pouvoir, de faire croître leurs richesses et leurs profits. D’ailleurs, actuellement encore, les gens de Grèce en savent quelque chose. Mais également, on ne m’ôtera pas de l’idée que ce qui leur est fait attend les gens des autres pays.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, tu as compris où je veux en venir et pour ce qui est de Mikis Théodorakis, tu ne te trompes pas. On verra ensuite de quel point de vue il faut comprendre son interprétation. Mais il est essentiel et urgent de d’abord comprendre le texte de Georges Séféris, car il a un sens tout à fait spécifique qui tient à l’histoire vécue par l’auteur. On doit pouvoir répondre à cette question en apparence futile : de quelle plage s’agit-il ? Il s’agit de la plage où Séféris enfant passait le temps des vacances, lui et sa famille ; c’étaient des moments paisibles pour ces Grecs d’Asie qui résidaient habituellement à Smyrne. Et ainsi, on comprend de que raconte le poète en exil forcé des ruines de la Smyrne grecque et de la plage (Skala) de Vourla – anciennement, Clazomènes, actuellement Urla, qui sera toute sa vie son « paradis perdu ». Smyrne était grecque depuis l’Antiquité ; on l’appelle aujourd’hui Izmir, c’est tout dire. Smyrne fut conquise, massacrée et incendiée par les Turcs en septembre 1922. Il y eut des milliers de morts. L’exil d’un million et demi de Grecs d’Asie mineure s’ensuivit. C’est certes un raccourci historique, mais c’est le nœud du poème.

Je me souviens, dit Lucien l’âne, assez bien de ce retrait forcé des Grecs d’Asie mineure ; ce fut un drame terrible et je ne pense pas que cette blessure soit cicatrisée à présent.

Je le pense aussi, dit Marco Valdo M.I. et quand on relit la chanson à la lumière de tout cela, on commence à en comprendre le sens réel originel. On peut situer la plage, les espérances et la vie qui fut (brutalement) changée. C’est ce que dit la poésie de Séféris, une poésie pleine de l’émotion et de l’émotivité de cet écorché vif, à la sensibilité extrême. Et dans le fond, on peut l’interpréter comme une chanson d’amour, porteuse d’une émotion primordiale. Cependant, il me paraît très difficile de la ramener à une chanson d’amoureux séparés. Le nom que le poète (et ses amis) écrivait sur le sable était celui de la « Grèce ».

Soit, Marco Valdo M.I. mon ami, mais quand Mikis Théodorakis reprend ce texte quelques 30 à 40 ans plus tard, voulait-il s’en tenir à cette nostalgie ou ne pensait-il pas à autre chose, à un autre nom.

Je suis ravi de ta question, Lucien l’âne mon ami, et certainement, le point de vue de Mikis Théodorakis est différent, il a d’autres urgences (même si sans doute le drame vécu par la génération précédente ne le laisse pas indifférent), lui qui Grec mena le combat en Grèce et en exil et qui séjourna dans les prisons de la dictature. Ma réponse ne peut éluder le fait que cette chanson quand elle dit :

« Sur le sable blond
Nous avions écrit son nom. »

m’en rappelle une autre, française celle-là, écrite aussi dans de terribles circonstances de lutte contre une dictature. Il s’agit bien évidemment « Liberté » de Paul Éluard, qui dit notamment :

« Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom …
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie. »

Voilà pour le sens de la chanson. Mais avant de te laisser conclure, je souhaite rappeler ici l’appel de Mikis Théodorakis (2010) aux Européens :

« Nous ne vous demandons pas de soutenir notre combat par solidarité, ni parce que notre territoire a été le berceau de Platon et Aristote, Périclès et Protagoras, des concepts de démocratie, de liberté et d’Europe. Nous ne vous demandons pas un traitement de faveur parce que nous avons subi, en tant que pays, l’une des pires catastrophes européennes aux années 1940 et nous avons lutté de façon exemplaire pour que le fascisme ne s’installe pas sur le continent. »
« Nous vous demandons de le faire dans votre propre intérêt. Si vous autorisez aujourd’hui le sacrifice des sociétés grecque, irlandaise, portugaise et espagnole sur l’autel de la dette et des banques, ce sera bientôt votre tour. Vous ne prospérerez pas au milieu des ruines des sociétés européennes. Nous avons tardé de notre côté, mais nous nous sommes réveillés. Bâtissons ensemble une Europe nouvelle ; une Europe démocratique, prospère, pacifique, digne de son histoire, de ses luttes et de son esprit. Résistez au totalitarisme des marchés qui menace de démanteler l’Europe en la transformant en tiers-monde, qui monte les peuples européens les uns contre les autres, qui détruit notre continent en suscitant le retour du fascisme. »

On le répétait ici aussi :

« REGARDEZ CE QU’ILS FONT AUX GRECS,
ILS VOUS LE FERONT AUSSI »

Que dire de plus, dit Lucien l’âne, si ce n’est que comme Séféris, comme Théodorakis et tous les autres, il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde autoritaire, brutal, avide, arrogant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Sur la plage paisible
Et blanche comme une colombe
Nous avions soif à midi
Mais l’eau était saumâtre.
Nous avions
soif à midi
Mais l’eau était saumâtre.

Sur le sable blond
Nous avions écrit son nom.
Splendide
 ! Mais la brise souffla
Et le nom s’effaça.
Splendide
 ! Mais la brise souffla
Et le nom s’effaça.

Avec quel souffle, avec quel cœur,
– quelles espérances et quelles ardeurs –
Nous tenions notre vie : erreur !
Nous avons changé de vie.
Nous tenions notre vie : erreur !
Nous avons changé de vie.