dimanche 6 mai 2018

La Marotte de Fol


La Marotte de Fol

Chanson française – La Marotte de Fol– Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 34

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – II, VII)






Lucien l’âne mon ami, il te souviendra de ce qui était déjà amorcé dans les précédentes chansons : Les Gueux, La Besace et Le Joueur de Rommelpot, à savoir la répression de la liberté de conscience des gens des Pays-Bas et des Ardennes, des vallées de Sambre et Meuse et d’Escaut. De la Gueldre à Saint-Quentin, les inquisiteurs et le bras armé de Philippe s’échinaient à vaincre les hérésies, du moins de qui était considéré ainsi par l’Église catholique et son très fidèle fils, Philippe II d’Espagne.

Certes que je me souviens de tout cela, Marco Valdo M.I. mon ami, et même d’autres choses : de Lamme cherchant sa femme, de Till portant la flamme de la révolte et de ce qui s’est dit avec l’hercule buveur, Brederode. Mais que raconte de plus cette chanson ?

Elle conte, Lucien l’âne mon ami, une triste histoire ; enfin pas si triste que ça finalement, comme on le verra. Mais quand même une horrible affaire de trahison, une péripétie où paraît une délatrice professionnelle, un agent de l’occupant, une collaboratrice vénale qui rend compte de tout au Cardinal Antoine Perrenot de Granvelle, qui est l’homme de Philippe d’Espagne. Ce Cardinal a dans la population une réputation exécrable, au point qu’on le surnomme le Chien rouge – le rouge étant la couleur de sa robe cardinalice. Je vois l’interrogation dans ton œil. Donc, si on veut comparer ce puissant ecclésiastique dans son action comme gouvernant des Pays-bas à celle d’un personnage du genre plus contemporain, j’imagine qu’on pourrait l’assimiler à un gauleiter : par exemple, à Heinrich Himmler quand il gouverna la Tchécoslovaquie.

Cette affaire de délation est pénible, dit Lucien l’âne. Mais qu’en pense Till, que fait Till ?

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, je peux aisément satisfaire ta curiosité. Till conte fleurette à une couturière de la rue de Flandre, laquelle se situe à Bruxelles, où on peut aujourd’hui encore la parcourir et même, y trouver des couturières, car c’est à présent un quartier où prospère le vêtement et autres atours. J’y ai moi-même conté fleurette. Dans mes jeunes années, il y avait encore là certain cabaret où des artistes en chair et en os faisaient leur récital au milieu du public. C’était plaisant, car on pouvait lier connaissance avec eux sans difficulté. Donc, Till fait des approches à une jeune fille qui chante qu’elle cherche un époux. Rien là d’inhabituel. Et Till lui répond et propose sa candidature.

Et qu’en penserait Nelle ?, dit Lucien l’âne en riant d’un regard malicieux.

Bof, Lucien l’âne mon ami, Till est, comme tu le sais, un personnage folâtre et un peu coquin. Il aime les hôtesses, il aime la vie, il aime le vin. Et son joli genre, cette fois encore, va le sauver. La jeune fille – un peu séduite – le met en garde contre sa propre mère, qui n’est autre que la délatrice, l’espionne de Granvelle. L’Histoire ne retiendra pas le nom de cette odieuse personne, mais lorsqu’on coupera sur la Grand-Place de Bruxelles la tête d’Egmont (pour qui, selon la chanson, la vieille mégère a brodé la marotte), elle se souviendra très bien des méfaits de cette sordide taupe. Comme tu le vois, on est déjà vraiment dans la guerre contre l’occupant espagnol.

Mais, dis-moi Marco Valdo M.I. mon ami, comme tu le sais, j’ai la manie de vouloir décrypter tes titres de chanson et donc, j’aimerais que tu me dises quelques mots de cette « marotte de fol ».

Évidemment, Lucien l’âne mon ami, et avec grand plaisir encore. Alors, cette marotte de fol està l’origineun bâton taillé surmonté d’une tête, souvent celle de la Vierge Marie et cette marotte est portée par les fous ; du moins, par les fous et les fols de château ou de carnaval. Quant à son nom, il dérive de celui de Marie, mariole, marotte. Pour ce qui est de savoir pourquoi les conjurés ont choisi cet insigne, ce signe de reconnaissance, je n’en sais rien et je serais bien curieux de le savoir.

Passons sur ce détail, dit Lucien l’âne, il est temps de conclure et reprendre notre tâche ; tissons donc le linceul de ce vieux monde traître, délateur, vénal, collabo et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Les cendres de Claes battaient
Sur la poitrine de Till en colère ;
Les flammes rouges éclairaient
Tous les horizons de la terre des pères.

Irrémédiables, les jours noirs viendront
Comme l’hiver en l’année,
Heureux ceux qui tiendront haut l’épée.
Till dit à Lamme : Marchons !

Août, août
Dis-moi, doux mois,
Qui sera mon époux ?
Qui comblera mon émoi ?

Ainsi chantait en la rue de Flandre la couturière.
Till dit : regarde-moi !
Je ne suis pas de pierre,
Je ne suis pas de bois.

Qui donc es-tu, bel amoureux ?
Vas-tu à messe ? En confession ?
Es-tu riche ? Es-tu un de ces gueux
Qui résiste aux placards de l’Inquisition ?

Ah, dit Till, les cendres battent mon cœur,
Le feu de vengeance en fureur
Me parle à toute heure
Et rougeoie encore l’affreuse lueur.

Que les rats rongent l’oppresseur,
Que le glaive, la corde, la dévastation
Ruinent les bourreaux jusqu’en leur demeure,
Que périsse l’envahisseur et meure sa religion !

Quand tu verras ma mère,
Tiens ta langue, petit frère.
Elle cause, elle cancane à tout-va,
Et murmure aux oreilles du roi.

Marie, marotte de fol, signal
Contre le Chien rouge, contre Granvelle,
Cardinal au roi féal
Qui veut museler Mons, Anvers et Bruxelles.

Ah, dit la vieille, cet insigne, j’ai brodé
Sur le manteau d’Egmont et des autres conjurés
Qui vont en ville encapuchonnés.
Le Chien rouge en est très fâché.