samedi 13 juin 2020

LA PAPETERIE


LA PAPETERIE


Version française – LA PAPETERIE – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson italienne – CancelleriaPinguini Tattici Nucleari2014




Cancelleria – PAPETERIE (tiré du PE Le Roi est nu), une sorte de Βατραχομυομαχία – Batracomiomachia ou « La guerre des souris et des grenouilles », un poème ludique de 303 vers qui, dans l’Antiquité, était généralement attribué à Homère – entre les stylos et les crayons qui, suite à la grève générale des gommes, avaient commencé à appeler à la révolution et à l’égalité.
Mais dans l’État libre de Papeterie, la dynamique politique est la même que celle que nous observons tous les jours : les crayons voulaient seulement les mêmes droits que les autres, mais les stylographes socialement élevés et les trombones prolétariens les prennent comme boucs émissaires de leur malaise, car c’est ainsi que la presse du pouvoir les présente. La vaillante lutte des crayons se termine donc par des rivières de graphite.
La transposition de ces événements à un niveau réel se traduit par une critique évidente du populisme qui meut de nombreux dirigeants politiques et touche des couches importantes de population inconsciente.



Dialogue Maïeutique

Je sais, je sais, dit Marco Valdo M.I., le titre, le titre, toujours le titre et cette fois-ci pas seulement, le titre ; il y a aussi le nom de l’auteur. Que peuvent bien être des « pingouins tactiques nucléaires » et qu’est-ce que c’est que cette histoire de papeterie ? J’anticipe tes étonnements et tes questions.

Ben oui, évidemment, dit Lucien l’âne, que je me pose ce genre de questions. Et d’ailleurs, qui ne se les poserait pas ? Toi pour commencer, comme on vient de le voir.

Enfin, oui, certes, Lucien l’âne mon ami, mais réglons d’abord la question des pingouins. Il s’agit du nom d’un groupe et il vaut mieux ne jamais se poser de question quant au nom d’un groupe ; il résulte la plupart du temps d’une mystérieuse alchimie que personne ne maîtrise vraiment. Ce point étant résolu, voyons la question du titre. En gros, la Papeterie est le lieu géographique où se déroule la guerre des gommes – à ne pas confondre avec les mémoires de Jules César et sa Guerre des Gaules, qui n’est pas une bataille de verges, n’en déplaise à Apollinaire, mais un de ces multiples épisodes de la Guerre de Cent Mille Ans, où la guerre retrouve sa dimension fondamentale de guerre sociale. Donc, n a un pays, un État, une nation qui est la Papeterie, où éclate une grève des gommes qui entraîne une révolution, menée par les crayons. Pour les détails, il suffit de voir la chanson.

Soit, dit Lucien l’âne, mais ne pourrais-tu m’en dire un peu plus sur la chanson elle-même, la situer, pour que je sois un peu au fait des choses.

Dans l’introduction italienne que j’ai résumée ci-dessus, répond Marco Valdo M.I., le commentateur se réfère à la Batracomiomachia ou « La guerre des grenouilles contre les souris », une histoire grecque que tu connais sans doute déjà. De mon côté, je ne ferai pas trop allusion à Rabelais et je ferai carrément l’impasse sur « la guerre contre les andouilles » et autres récits pacifistes ; cependant, je me réserve d’y revenir un jour, si on m’en laisse le temps. Ici et maintenant, je veux t’entretenir de la parenté, à mon sens, plus immédiate de cette Papeterie avec la Ferme des Animaux (voir notamment La fattoria degli animali) de Georges Orwell. Je n’en dirai rien de plus, tu connais cette histoire de cochons.

Et comment donc, dit Lucien l’âne, c’est une lecture très recommandée aux petits ânes. Cela étant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde stochastique, plastique, élastique, catastrophique et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



À la télévision, un syndicaliste annonce
Que les gommes partent en grève nationale.
À la nouvelle de l’absence de leurs bourreaux,
Avec joie, les crayons trinquent aussitôt.


Mais, les bics cherchent à maintenir les crayons
À leur statut social antérieur, mais les crayons
Entendent bien abolir toute distinction
Et dans leurs manifestations, appellent à la révolution.
Les bics tremblent à l’idée que les crayons révoltés
Puissent ébranler leur pouvoir ou pire, les remplacer.
Alors, ils mobilisent la presse pour que leurs adversaires sociaux
Soient dépeints comme subversifs, contre-productifs et déloyaux.


Mais les crayons veulent seulement l’égalité et la liberté,
Juste les mêmes droits, écoles, bus, cinémas, cafés ;
Ils espèrent que sans les gommes, on entende leurs revendications
Car maintenant, leurs mots ne peuvent plus être effacés.
Les stylographes de la haute bourgeoisie dans leurs salons,
Les agrafes et les trombones des bas quartiers
Imputent aux crayons tous les problèmes.
Et face à la crise, le peuple recourt à l’anathème.


Les actes de violence ne tardent pas à exploser.
Il n’y a plus rien à manger, la haine seule s’est réveillée
Et une fois les tables renversées,
Des fleuves de graphite se mettent à couler.


Le Grand Conseil des bics décide l’extermination totale
Des crayons, car ils provoquent des troubles sociaux.
Les règles, les marqueurs, les aiguiseurs et les ciseaux,
De paisibles spectateurs se muent en tortionnaires.
Finalement, les gommes arrêtent leur protestation.
Tous se retrouvent alors devant une nation grise et amère.
Sans crayons, on décide que les gommes doivent émigrer,
Car à quoi sert une gomme, s’il n’y a plus rien à effacer ?


Seuls les bics restent dans l’État libre de la Papeterie,
Ils chantent et célèbrent leur victoire.
Elle est petite, elle est pourrie,
Visqueuse et dérisoire
Cette morale bourgeoise, en somme.
Pleins de fierté, ils chantent victoire,
Et dans leur lit douillet, paisiblement dorment
Jusqu’à temps que, jusqu’à temps
Que vienne le correcteur blanc.