mardi 28 février 2017

LA BÊTISE

LA BÊTISE


Version française – LA BÊTISE – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson allemande – Die Dummheit Erika Mann – 1934

Poème d’Erika et Klaus Mann
Musique de Magnus Henning (1904-1995), compositeur et pianiste bavarois
Dans le spectacle de cabaret intitulé « Die Pfeffermühle », « le Moulin à poivre », imaginé par Erika et Klaus Mann, avec la collaboration de Walter Mehring et de Wolfgang Koeppen, et interprété par la même Erika, son amie Therese Giehse et d’autres acteurs et de danseurs (Lotte Goslar, Sybille Schloß, Cilli Wang et Igor Pahlen.)



Therese & Erika

Zurich, 1er janvier 1934. C’est le premier anniversaire du « Moulin à Poivre ». La famille Mann a fui l'année précédente l’Allemagne et Erika rencontre un succès avec son Kabarett anti-nazi en tournée en Europe Le rideau s’ouvre et voici Erika qui introduit le spectacle en chantant la chanson Kälte – FROID. Puis apparaît sur scène Thérèse Giehse, debout sur un piédestal, un bras levé comme certaines statues romaines antiques, une perruque jaune sur la tête, une robe rose bonbon, l'expression fière. Elle chante Die Dummheit, « La Bêtise », celle qui a saisi le peuple allemand se confiant fatalement à son Führer stupide et mortifère.


Lucien l’âne mon ami,
une fois n’est pas coutume, je m’en vais me répéter, quasiment mot pour mot. Voici une intéressante chanson et intéressante à plus d’un titre. D’abord, car c’est une bonne chanson, ce qui ne court pas les rues. Ensuite, c’est une chanson courageuse, une chanson de résistance au nazisme, une chanson en allemand, présentée en 1934 à Zurich dans un de ces cabarets de l’exil. Zurich se situe en Suisse alémanique, comme sans doute tu le sais, mais il importe de le préciser en ce sens que c’est un des derniers territoires de langue allemande qui échappe à la domination des nazis et à leur éteignoir. Enfin, c’est une chanson d’Erika Mann, interprétée par elle au cabaret ; elle payait de sa personne.

Eh bien, Marco Valdo M.I. mon ami,
moi aussi, je vais faire pareil et répéter ce que j’avais répondu l’autre fois quand on parlait du Prince de Menterie . Voilà qui m’intéresse beaucoup, car Erika Mann est une artiste, une écrivaine aussi dont les tableaux qu’elle brosse dans ses textes littéraires sont des descriptions précises, chirurgicales, atmosphériques de ce qui se passait dans les villes allemandes en train de sombrer dans le flot de boue qui submergeait le pays. Et puis, elle avait de qui tenir : toute une famille d’écrivains en ne tenant compte que de ceux qui lui étaient vraiment proches – les chiffres entre. Donc, il y avait son père : Thomas (1875) ; son oncle, Heinrich (1871) ; son frère Klaus (1906), son frère Golo (1909), sa sœur Monika (1910) – tous écrivains. Je précise tout ça, car même si les familles d’écrivains n’ont rien d’exceptionnel – tout comme les familles de musiciens, elles sont cependant assez rares et rarement si nombreuses. Cela étant, raconte-moi un peu ce que dit la chanson.

Alors ainsi, c’est assez curieux, Lucien l’âne mon ami, mais j’aime parfois faire des choses inhabituelles, juste pour les faire. Ça change. Et puis, comme ça, ce qui devait être dit à celui qui découvre ici, avec cette chanson, Erika Mann et son Moulin à Poivre, est dit. Quant à la chanson, c’est un personnage féminin qui se raconte à nous. Ce personnage qui mène bien des gens du grand monde est la Bêtise. Et dans le fond, tout le reste est dit dans la chanson.

Tu as raison, Marco Valdo M.I. mon ami, point n’est besoin de s’appesantir, il suffit finalement de laisser parler le texte ; il dit mille choses que lui seul peut dire. Alors, nous autres, nous deux, reprenons notre tâche et comme Erika Mann et son amie Thérèse Giehse, tissons, tissons le linceul de ce vieux monde bête, brutal, débile, stupide et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Je suis la bêtise, écoutez ma chanson
Et ne la prenez pas à la légère.
Il n’y a rien qui, au fond,
Autant que moi ressemble à la bêtise.
La neige est blanche, la mer est profonde,
Moi, moi je suis stupide.
Le diable qui m’appelle parfois,
Sait très bien pourquoi.
L’humanité craint la raison,
Me souffla le démon.
Personne encore ne t’a rendu justice,
Ma très chère assassine.
Oui, par la volonté de Dieu, je suis stupide !

J’oblitère le cerveau des hommes,
Je m’incorpore à sa substance.
Je vis de
leur bêtise
En une sarabande endiablée.
Je suis particulièrement
présente,
Auprès des messieurs qui règnent
Et qui
partout dans le monde,
M’accueillent joyeux.
Ces messieurs font tout ce que je veux
En une folie mortifère
Et leurs peuples se laissent faire.
Car je
suis toujours présente.
Oui,
par volonté de Dieu, je suis stupide !

À la fin, il y a le crépuscule
Que je provoque.
Ça ne dure pas longtemps, voyez !
Et d’ailleurs, c’est passé.
Que dites-vous ? Non ? Vous me reconnaissez maintenant ?
C’est moi qui aurais tout fait ?
Vous m’évitez et me nommez maintenant ?
Qu’ai-je seulement fait… ? !
Serait-il possible que…
 ? Pfui, la raison !
Quelle douce lumière mortelle.
Je
n’ai plus de maison,
Aie, je n’y comprends que dalle
Oui,
par la volonté de dieu, j’étais stupide.