lundi 22 janvier 2018

LA BALLADE DES CAMÉLÉONS

LA BALLADE DES CAMÉLÉONS

Version française – LA BALLADE DES CAMÉLÉONS – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson allemande – Die Ballade vom NachahmungstriebErich Kästner – 1931

Chanson écrite par Erich Kästner et publiée le 24 mars 1931 dans l’hebdomadaire Die Weltbühne, dirigé par Kurt Tucholsky en 1926 et 1927, et puis, par son ami Carl von Ossietzky jusqu’à son arrestation en 1933.






Les nazis arrêtèrent Carl von Ossietzky, avec des milliers d’opposants au lendemain du pseudo- « incendie du Reichstag ». Ce fut alors qu’ils commencèrent à jouer, à s’amuser sadiquement avec toutes ces vies réduites en captivité, vraiment comme le font les protagonistes de cette « Ballade de l’imitation » ; un groupe d’enfants, curieux de savoir ce qu’éprouvent les grands lorsqu’ils exécutent un criminel, décident de pendre par jeu l’un d’eux, Fritz Naumann, après l’avoir sommairement poursuivi en justice comme voleur… Lorsque un adulte s’aperçoit que le jeu s’est changé en tragédie, il est alors trop tard… La police, survenue sur le lieu de cette barbarie enfantine, questionne un gamin et celui-ci, un peu effrayé et un peu incrédule, dit : « Mais nous avons seulement fait comme font les grands ! »

Inévitablement, je me suis rappelé le chef-d’œuvre cinématographique « Das weiße Band – Eine deutsche Kindergeschichte » (« Le ruban blanc ») de Michael Haneke (2009).

1914, à la veille de la première guerre mondiale. Dans une petite communauté rurale allemande, l’âpreté de la vie quotidienne, du travail dans les champs s’accompagne de la mesquinerie des hommes, à peine cachée par la dureté implacable d’un système éducatif caractérisé par un protestantisme très rigide, bigot et féroce. Pendant que sur le fond de paysages très beaux, s’écoule la vie quotidienne, se succèdent des incidents et des délits obscurs et atroces qui semblent mus certains par un désir de vengeance, d’autres par pur sadisme à l’égard des plus faibles, des différents…
Seul l’instituteur du village, un étranger à la communauté, se rend doucement compte que toute cette violence quotidienne, toutes ces règles et punitions qu’il est impossible d’esquiver, tout le mensonge, la mesquinerie, la putrescence dont est imprégnée la vie de la communauté, ont fait des enfants non pas de sages et dociles créatures, pas des rebelles, mais plutôt de violents sadiques frustrés fort solidaires entre euxLe noyau de ces jeunes qui commencèrent à construire le cauchemar nazi dans l’entre-deux-guerres… Échos de « Scènes de chasse en Bavière » de Peter Fleischmann (1968), de « Le village des damnés » de Wolf Rilla (1960) et de « Le Seigneur des mouches » de Peter Brook (1963)…


Dialogue maïeutique

Dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, que peut raconter une ballade des Caméléons, car je suppose que les caméléons – les vrais, ceux qui courent à quatre pattes et qui ressemblent à des lézards ou à de petits iguanes, ne chantent pas de ballades. Du mois, je n’en ai jamais entendu parler. Alors ?

Très juste, Lucien l’âne mon ami, les caméléons ne chantent pas de ballades, ni de chansons, ni rien du genre et c’est même le cas pour ceux qui sont évoqués dans la chanson. En fait, la confusion provient de l’ambivalence des mots. La Ballade des caméléons peut-être comprise de deux façons : celle dont tu l’as comprise où il s’agit de la ballade que chantent les caméléons ou diversement, celle où c’est une ballade qui chante les caméléons, où les caméléons sont acteurs de la chanson, mais n’en sont pas les interprètes. Reste évidemment à dire ce que viennent y faire les caméléons et à préciser de quels caméléons il s’agit et ce qu’ils font.

C’est précisément, Marco Valdo M.I. mon ami, ce que j’allais te demander, mais tu m’as ôté les mots de la bouche.

Dès lors, reprend Marco Valdo M.I., il faut préciser d’abord que ce titre de la version française est une pure invention de ma part, car en allemand, le titre est « Die Ballade vom Nachahmungstrieb » et peut se traduire, grosso mode, par « La Ballade de l’Imitation » ; et comme l’imitation est une des caractéristiques habituellement attribuée aux caméléons, j’ai trouvé plus agréable et pour tout dire, plus exotique d’attribuer ce titre à la chanson. En quelque sorte, c’est un titre plus coloré que j’ai utilisé pour faire ressortir cette idée que les enfants – souvent – ont tendance à imiter leurs aînés, qui est le leitmotiv de la chanson d’Erich Kästner.

Oh, dit Lucien l’âne, kil n’y a là rien de bien gênant à ce que les enfants apprennent par imitation ; c’est même un des mécanismes efficaces et fondamentaux de l’éducation de base.

Certes, Lucien l’âne mon ami, pour autant il devient désastreux si les enfants imitent les penchants les plus détestables des grands, des adultes, des anciens et c’est précisément le cas ici où ce sont des enfants qui vient en Allemagne des années 20-30, où depuis la fin de la guerre, se multiplient les morts violentes, les bastonnades, les guets-apens, les assassinats politiques. On peut rappeler par exemple le cas de Rathenau  ou l’histoire des Trois Frères de Barmberg, mais ce sont des crimes qui se comptent par milliers et qui sont l’œuvre de bandes armées qui sévissent dans tout le pays et qui sont plus ou moins directement liées aux partis politiques. Pêle-mêle : les Casques d’Acier, les SA, les groupes armés du SPD ou du KPD ; certains peuvent être considérés comme des groupes d’auto-défense dans une guerre civile larvée et se comportent généralement comme tels ; d’autres (Casques d’Acier et SA, qui conflueront dans la future SS) ont des penchants plus criminels et ont une pratique développée des tribunaux secrets. C’est contre cette forme d’organisations et d’actions « politiques » que met en garde Erich Kästner, qui comme journaliste à Leipzig, puis à Berlin, avait un témoignage direct sur ces événements. Cependant, il est clair que ces mises en garde et ses inquiétudes n’ont rien pu empêcher. Quelques années plus tard, l’Europe entière était envahie par les caméléons, tous atteints d’hitlérite aiguë.

Belle image, dit Lucien l’âne, mais ce n’est pas aimable, ni juste pour les caméléons…

Certes, mais ceux dont parle la chanson sont un groupe d’enfants qui va jouer au tribunal secret et appliquer sur un de leurs copains une sentence de pendaison. Voilà toute l’histoire qu’il convient aussi de rapprocher des faits de harcèlements scolaires, de quartier ou via internet dont on parle si souvent dans la presse. Il y a là un délitement social assez ignoble.

Ce sont des dérives nées de la bêtise et de sa reproduction sociale ; il faut – comme le faisait Kästner – en parler afin que nul n’en ignore ; car ce sont des gestes qui s’accomplissent dans l’ombre et prolifèrent dans la clandestinité. Comme quoi aussi, on le voit la Guerre de Cent Mille Ans se répercute partout, à tous les niveaux de la vie dans nos sociétés. Maintenant, restons-en là avant de pontifier exagérément, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde transformiste, caméléon, menteur, suiveur, harceleur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




Véritablement, le poison agit rapidement !
L’homme,
même encore enfant,
Pour les vices de ce monde,
Se débrouille tôt et très vite apprend.
En février,
je ne sais quel jour,
Lors du harcèlement d’un garçon,
Des enfants qui jouaient dans l’arrière-cour,
Ont décidé de pendre Fritzchen Naumann.
Par les journaux, ils ont appris des histoires
De meurtres et de police
Et ils ont décidé d’exécuter Naumann,
Car, ont-ils dit, c’est un voleur.
Ils ont
passé sa tête dans un nœud.
Il se lamentait beaucoup, Karl qui faisait le curé
Lui dit, quand il commençait à trop crier,
Qu’il gâchait le jeu.
Fritz Naumann
protesta, il dit qu’il avait peur.
Les autres sérieux l’ont emmené.
Par-dessus la barre, la corde, ils ont jeté
Et alors,
ils ont commencé à le hisser.
Fritzchen
regimbait. Il était trop tard. Il planait.
Alors, ils
fixèrent la corde à un crochet.
Fritz a
tressailli, car il vivait encore.
Pour voir, une petite fille lui pinça la jambe.
Il gigotait tout à fait muet,
et à cet instant,
Le jeu d’enfant en meurtre s’est mué.
Comme
les sept petits chenapans
L’ont reconnu, ils ont fui effrayés.
Encore personne ne savait pour le pauvre enfant.
La cour
était silencieuse. Le ciel était rouge sang.
Le petit Naumann
balançait au vent.
Il n’a
vait rien remarqué. Car il était inconscient.
La veuve Zwickler, qui s’inquiétait,
Courut dans la rue et se mit à crier,
Même si elle ne pouvait pas pleurer.
Et la police
a interpellé les six suspects.
La mère est tombée évanouie devant le garçon
Et
tous deux ont été ramenés à la maison.
Karl, qu’on a arrêté, dit froidement : « Nous avons
Seulement fait comme les adultes font. »