Telle
est la Question
Chanson
française – Telle est la
Question –
Marco Valdo M.I. – 2016
Ulenspiegel
le Gueux – 22
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs
(1867).
(Ulenspiegel
– I, LXXVIII)
Cette
numérotation particulière : (Ulenspiegel
– I, I), signifie très
exactement ceci :
Ulenspiegel :
La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs,
dans le texte de l’édition de 1867.
Le
premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman
comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre
d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur
vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui
ne figurent pas ici.
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La
Question est, je le rappelle, cette méthode d’interrogatoire
musclé, brutal et souvent, assassin qui avait été formalisée par
l’Inquisition.
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Nous
voici, Lucien l’âne mon ami, à la vingt et unième canzone de
l’histoire de Till le Gueux. Les vingt et une premières étaient,
je te le rappelle :
Mon
cher ami Lucien Lane, je m’en vas faire une chose que je ne fais
jamais habituellement…
Ah !
Et laquelle ? Je suis bien curieux de l’apprendre…
Oh,
ne t’attends pas à quelque chose de très extraordinaire. Je vais
tout simplement résumer les épisodes précédents pour – en
quelque sorte faire le point dans cette longue histoire de Till le
Gueux. On a commencé fort logiquement, comme dans Tristram Shandy,
du moins comme ç’aurait dû être dans Tristram Shandy, par la
naissance de Till et celle concomitante de Philippe, le fils de
Charles-Quint. Ce qui avait son importance vu que le récit est
justement bâti sur l’opposition de ces deux personnages :
Till, l’enfant de gens pauvres et le fils d’un Empereur,
Philippe, qui lui-même régnera sur un véritable empire
intercontinental. Ce sont là, les deux premières chansons.
De
cela, je me souviens fort bien, dit Lucien Lane. Mais ensuite ?
Ensuite,
il y a trois chansons qui sont consacrées à Philippe et à ses
cruautés et ses exactions.
De
cela aussi, je me souviens. Et puis ?
Et
puis, viens la condamnation de Till à un exil de trois ans et à
l’obligation qui lui est faire d’aller quérir la bénédiction
papale. Ce qui le conduit à Rome et l’entraîne à mille
aventures, dont celles qu’il partage avec Jef, l’âne du Diable.
Du côté de Philippe, on assiste à l’abdication de Charles-Quint
et à l’accession de Philippe au trône d’Espagne, notamment.
Enfin, il y a ce moment grandiose où Till fait un miracle en faisant
renaître le chien mort.
Nul
besoin d’être grand clerc pour comprendre l’ironie de cette
résurrection. Et vu le climat de l’époque, j’ai même
l’impression que Till jouait là avec le feu.
Certes
et la dame l’eût-elle dénoncé à l’Inquisiteur qu’il eût
illico fini sur un bûcher. Les chansons suivantes, les quatre
dernières sont plus noires et entrent comme qui dirait dans le vif
du sujet, touchant directement au thème fondamental de l’histoire
de Till le Gueux en racontant l’oppression religieuse à l’encontre
de ces hérétiques que l’Église poursuit, fait torturer,
condamner et exécuter de diverses manières. Mais, voici le point
important : ce qu’on découvre tout doucement dans cette
histoire, c’est la lutte pour la liberté de conscience et son
prolongement logique, la liberté de pensée. Tel est le sens de
toute cette saga, comme on pourra le découvrir au fur et à mesure
de son déroulement. En somme, c’est l’affrontement entre d’un
côté, les femmes et les hommes libres ou entrain de se libérer et
la religion, quelle qu’elle soit, car toute religion finit par
condamner et vouloir éliminer – au besoin physiquement – ceux
qui mettent à mal son fondement, sauf pour elle de renoncer à tout
dogme et à toute prééminence de la croyance et de la foi sur la
raison et sur les faits.
Serait-ce
donc, Marco Valdo M.I. mon ami, que cette histoire du XVIᵉ siècle
qui s’en prend à la religion catholique, vaudrait aussi pour les
autres religions, y compris celles d’aujourd’hui ?
Bien
entendu. C’était le projet de Charles De Coster il y a 150 ans,
c’est le nôtre aujourd’hui de mettre en accusation toutes les
religions : les religions du Livre (juive, chrétienne,
musulmane) comme toutes les autres, y compris les religions athées
ou laïques. En fait, les religions (avec ou sans Dieux, avec ou sans
Églises) sont des acteurs majeurs dans la Guerre de Cent Mille Ans
que les riches et les puissants font aux pauvres et aux faibles. Dans
cette guerre, elles sont soit directement le pouvoir, soit les
instruments du pouvoir, soit les alliés du pouvoir et quoi qu’elles
disent ou racontent, elles sont toujours dans le camp des riches et
des puissants, à de très rares exceptions près, lesquelles ont
toujours été très minoritaires et déconsidérées ou persécutées
par l'establishment.
Il
te reste à me dire quelques mots de la chanson qui porte un titre si
shakespearien.
Le
titre « Telle est la question » est en effet tiré d’une
réplique du monologue d’Hamlet, mais c’est aussi une
interpellation ironique, car en fait de question, il s’agit de la
torture que l’on va infliger à Till et à sa mère Soetkin, pour
les obliger à révéler où sont cachés les 700 carolus que le
Messager avait apportés à Claes, le charbonnier, de la part de son
frère Josse, déjà brûlé sur le bûcher. Un terrible héritage.
La Question est, je te le rappelle, cette méthode d’interrogatoire
musclé, brutal et souvent, assassin qui avait été formalisée par
l’Inquisition. Comme on les supplicie l’un en face de l’autre
(supposant que de voir souffrir l’un sa mère, l’autre son fils,
les amèneraient à céder) avec des tas de raffinements atroces
(dont je t’épargne le détail), ils vont – tout au contraire –
s’encourager et s’affermir mutuellement par la formule :
« Le poissonnier, haine et force ! » et malgré la
dureté des souffrances, ni l’une ni l’autre, ni la mère, ni le
fils ne vont craquer. Et comme le conclut la chanson, ils sont
finalement libérés ; quant au poissonnier, il n’aura rien et
en sera fort dépité.
Voilà
une fin bien morale. Dis-moi donc la chanson et ensuite, reprenons
notre tâche et tissons, comme Till et les hérétiques tenants de la
liberté de pensée, le linceul de ce vieux monde religieux, trop
religieux, croyant, crédule et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Le
matin à dix heures
On
emmène Till et sa mère
À
la grange de torture
Pour
leur faire grande douleur.
Il
y a le bailli, les échevins, le greffier,
Le
bourreau, son valet et un chirurgien-barbier.
De
moi, vous ne pourrez rien obtenir.
Je
n’ai rien, dit-elle, je ne peux rien détenir.
Till
parle sans ambages
Des
sept cents carolus de l’héritage.
Mais,
dit Till, le voyageur est reparti
Et
les carolus sont partis avec lui.
Avouez,
avouez le recel et vous serez pardonnés.
Qui
n’avoue pas doit subir la Question.
Prenez-moi
à sa place, messires ! Pas question !
C’est
mensonge et médisance de poissonnier.
Le
bourreau prépare les outils de vérité.
Il
faut commencer par la femme,
Le
fils ne pourra le supporter.
Le
poissonnier, haine et force !
On
met les baguettes aux mains ;
On
met les baguettes aux pieds.
On
serre pour faire parler.
On
brise les mains, les pieds, en vain.
Les
os craquent, le sang coule.
La
femme résiste. Haine et force !
Torturez
donc son fils maintenant !
Réveillez-la,
qu’elle voie son enfant souffrant !
Malgré
les baguettes et le feu sous les pieds,
Mère
et fils n’ont rien avoué.
Les
juges les déclarent libres et libérés.
Le
poissonnier est fort dépité.