samedi 4 février 2017

PATRIE

PATRIE

Version française – PATRIE – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson allemande – VaterlandVorkriegsjugend – 1984

Couverture









Lucien l’âne mon ami, il te souviendra de ce groupe punk-hard-rock du Kreuzberg qui s’appelle Vorkriegsjugend – Jeunesse d’avant la [prochaine] guerre et qui chantait Wir sind die Ratten – Nous sommes les rats.

Oui, oui, certainement, Marco Valdo M.I. mon ami, et toute cette histoire du Kreuzberg que tu nous avais fait connaître en plus. À cet égard, je pense que ce genre de combat contre les spéculateurs et les promoteurs immobiliers et les prometteurs de jours meilleurs mener au Kreuzberg – en pleine grande ville – par les squatteurs et plus au-delà par la suite, par l’ensemble des habitants du quartier dans les années 80 du siècle dernier, peut être rapproché des combats des paysans sans terre d’Amérique latine ou par exemple d’Italie.
En effet, c’est tout à fait parallèle et relève de la même logique de confrontation. Et ce n’est pas seulement une histoire du siècle dernier, c’est une histoire d’aujourd’hui. J’en prends exemple de ce que raconte notre ami Venturi dans son introduction à Dachau Express en italien où il dit ceci :

« la traduction a été faite intégralement à la main, en un laps de temps de deux mois, durant les moments libres du temps passé à m’occuper d’une chose assez singulière : une commune agricole occupée.
La raison de cette traduction à la main n’est pas une quelconque forme de snobisme, ou de primitivisme. Simplement, une commune ou un collectif agricole, jusqu’à peu est restée totalement dépourvu de courant électrique, ce pourquoi il aurait été impossible de se servir de n’importe quel appareil, tel un ordinateur, qui ait le défaut de fonctionner au courant. Étant donné que cette commune ou collectivité, formée de trois hectares de fonds agricole et d’un bâtiment d’exploitation, tous deux occupés (à compter du 7 février 2015), la
loi qu’a fait voter en grande pompe le gouvernement Renzi prévoit qu’il n’est pas possible de demander le branchement au réseau électrique, afin de (faire) respecter la légalité.
La légalité consiste, pour ces messieurs, à laisser un terrain de propriété communale (situé via del Guarlone, dans la zone de Florence Sud) totalement à l’abandon pour trente ans, en attendant l’instant propice pour vendre à quelque spéculateur, ou promoteur, ou constructeur d’immeubles de prestige. Et, par contre, un beau jour nous autres (je dis « nous autres » parce que ce 7 février 2015, j’y étais moi aussi, rigoureusement vêtu en paysan et avec les outils agricoles en main), nous l’avons occupé. Une série de gars et de filles d’un quartier populaire, deux ou trois vieilles épaves du passé (parmi lesquels le soussigné, justement), des réfugiés palestiniens de Gaza, autres immigrés. Et on a commencé à nettoyer, à sarcler, à refaire les serres, à nettoyer le puits, à retaper les oliviers qui y étaient, à planter des choux, pommes de terre, carottes, tomates, fèves, bettes, aubergines, fines herbes, piments rouges et tant d’autres choses. En vendant ensuite directement les produits à qui les voulait dans le quartier, sans passer par des marchés, de grandes surfaces et autres. Cet endroit nous l’avons appelé I’Rovo, « La Ronce » en Florentin, parce que lorsque nous sommes entrés, justement, il n’y avait que des ronces. Des tonnes de ronces. Ils parlent tant de « dégradation », alors qu’ils sont les premiers à la produire, ces messieurs, et en pleine ville. Un lieu totalement laissé à l’abandon et à la vente de drogue, par ailleurs bien tolérée par les autorités qui, ne désirant pas dans le centre historique-commerce-vitrine, le déplacent complaisamment dans les faubourgs. »

J’ai comme l’impression, dit Lucien l’âne, que les ronces ont refait de cette terre paysanne un terrain vague. En somme, c’est le Kreuzberg à la campagne ; c’est le même combat contre la gentrification des lieux de vie…
Mais au fait, que raconte la canzone, dont je vois bien qu’elle s’intitule La Patrie, ce qui me paraît un thème intéressant spécialement quand il s’agit de l’Allemagne divisée de ces années-là, de la partie fédérale, vue par les mêmes yeux.

Eh bien, dit Marco Valdo M.I., c’est certainement une chanson fort intéressante, notamment pour les raisons que tu évoques. Dans cette Allemagne replète, gonflée comme une baudruche par le Miracle économique, qui a fait appel – comme d’autres pays d’Europe – à des populations pauvres venues d’abord de ses propres campagnes et de ses zones économiquement en difficulté, puis à des populations immigrées de pays plus ou moins lointains, mais venus d’ailleurs que de l’Est de l’Europe dont encore pour quelques années, elle est coupée pour des raisons politiques, qui ont établi un solide mur et un efficace rideau de fer, afin de freiner les exodes, dans cette Allemagne boursouflée, le concept de patrie est très fortement marqué politiquement, plus encore qu’à l’ordinaire.
Pour percevoir le sens de la canzone, il faut se rappeler ce qu’est réellement la patrie.

Oh, dit Lucien l’âne, c’est là un spectre dont, en effet, on ne perçoit pas bien la nature. Selon comment on la regarde, elle semble changer d’apparence, elle est une sorte de caméléon nationaliste.

Effectivement, Lucien l’âne mon ami. Au fin fond du fond, la patrie est le lieu des pères, auquel par conséquent, au sens logique du terme, tout étranger est exclu.
Ne peuvent en vérité faire partie d’une patrie et vu les antécédents, d’une patrie allemande plus que de toute autre – il y a là une lourde hérédité – que ceux dont le père et si possible, les aïeuls et mieux encore, les aïeux, sont des nés natifs du pays, même si ce pays a changé de nom et de dimensions dans les siècles qui précèdent. C’est évidemment tout à fait farfelu, mais il y en a qui y croient et c’est précisément ceux-là que dénonce la chanson en jouant sur une opposition entre le pays rationnel où l’on vit sans qu’il y ait une référence à la naissance ou aux aïeux, d’une part et d’autre part, le pays passionnel des nationalistes, qui est lui clairement « la patrie ». Ce genre de définition du pays comme patrie avait déjà servi quelques dizaines d’années auparavant à liquider par trains entiers ceux qui n’étaient de « vrais Allemands », de souche, de sperme et de sang.
La chanson s’en prend à ceux-là qui – crânes rasés, têtes vides – s’en vont en bandes dans les quartiers, dans les rues, vers les places comme autrefois chasser l’étranger, le non-Allemand et même au besoin, l’Allemand résistant.
La chanson est une chanson de résistance qui se termine par un appel terrible :

« Levez la main contre la patrie,
Contre l’Allemagne, votre patrie ! »

Car pour ceux qui se définissent eux-mêmes comme les « rats » – reprenant l’insulte comme un titre d’orgueil comme aux pays de Gueldre, de Zélande, de Flandre, de Brabant, de Liège et de Hainaut, dans le passé, les Gueux avaient endossé ce manteau de honte, ce surnom méprisant « Gueux » comme un nom de combat face aux armées du pouvoir – l’heure est à la résistance car repoussent les plantes vénéneuses du nationalisme. C’est une chanson de colère.

Si je comprends bien, Marco Valdo M.I. mon ami, cette chanson jette un cri d’alarme, sonne le tocsin face au retour de la peste brune. Elle n’a pas tort et cette engeance pestiférée et pestiférante est toujours là aujourd’hui (plus de trente ans après) et pas seulement en Allemagne.
Méfiez-vous, marins, les vents changent !, disait déjà Isaac Asimov (The Winds of Change).
Alors, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde pestiféré, vénéneux, brun, nationaliste, patriotique, patriote et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Les hordes brunes se remettent en marche ;
Des hordes de têtes rases marchent ;
De nouveau fleurissent les meurtres
Allemagne, mon pays allemand,
Un bord brun enserre tes drapeaux maintenant !
C’est pour ça que je lève la main
Contre ma patrie
Et que s’élève ma main
Contre ma patrie,
Contre l’Allemagne, ma patrie !

Trompé, renié et maudit,
Ma patrie, je te le redis :
Ici seul celui qui a de l'argent, peut demander ;
Seul celui qui a de l’argent, peut commander.
À se demander quand ce peuple stupide va se réveiller.
C’est pour ça que je lève la main
Contre ma patrie
Et que s’élève ma main
Contre ma patrie,
Contre l’Allemagne, ma patrie !

Quand on a l’air différent, on est bon à jeter
Loin de tous les autres, à évacuer,
À purifier au Zyklon B dans les chambres,
Quelques malencontreux cadavres.

C’est pour ça que je lève la main
Contre ma patrie
Et que s’élève ma main
Contre ma patrie,
Contre l’Allemagne, ma patrie !

Levez la main contre la patrie,
Contre l’Allemagne, votre patrie !