dimanche 28 août 2016

À LA GUEULE DU FÜHREUR


À LA GUEULE DU FÜHREUR

Version française – À LA GUEULE DU FÜHREUR – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson étazunienne – Der Fuerher’s face – Spike Jones – 1942



Gueule du Führer
Erwin Blumenfeld - 1933


Mon ami Lucien l’âne, voici une chanson qui va te réjouir, toi et bien d’autres personnes ; que tu la connaisses déjà ou non. Car si tu ne la connais pas tu vas découvrir un grand moment de la chanson de dérision , de la parodie et si tu la connais déjà, tu t’en délecteras d’autant plus volontiers. Cependant, dans les deux cas, tu ne l’auras jamais rencontrée en langue française. Je viens de la faire cette version française et je t’assure que c’est une sorte de gageure que d’adapter du Spike Jones en délire dans une autre langue. D’ailleurs, lui-même, dans quelle langue l’a-t-il écrite cette chanson ? En nazigermanglisch ? Seul, Viktor Klemperer pourrait en déceler les mystères.

Quoi ? Qui ? Viktor Klemperer ? Le frère du chef d’orchestre, Otto.

Oui, c’est bien à lui que je fais allusion et à son ouvrage L.T.I. (Lingua Tertii Imperii), la langue du Troisième Reich celle dans laquelle on emberlificota et on englua les Allemands jusqu’à leur faire perdre le sens du réel pour se noyer dans le lisier nazi. La langue n’est pas seulement la langue, elle n’est pas seulement moyen de communication, outil de culture, elle est aussi arme de propagande, puissant instrument de publicité et de contrôle et de domination des esprits. Mais ici, en tant que parodie de la LTI, elle joue pleinement son rôle d’arme de dévoilement. Cette contre-langue créée tout exprès par Spike Jones est terriblement ressemblante et parfaitement efficace dans ses effets. Elle est du même tonneau parodique que le discours final d’Adenoid Hynkel[[7631]], même si elle se décline autrement. Et précisément, c’est là que j’ai rencontré une difficulté que je n’ai pas pu résoudre de façon satisfaisante, mais comme tu le verras, c’est le lot de tous ceux qui s’y essayeraient. D’ailleurs, ici personne ne l’a encore ( ? Peut-être R.V.?) tenté. Il s’agit de traduire une langue qui n’existe pas dans une langue qui existe ? Ou dans une autre langue qui n’existe pas ? Bref, j’ai fait une version pour que les gens de langue française la comprennent. Pour le ton, je renvoie à Spike Jones, dont je signale ici outre les influences qui lui ont été – à juste titre – attribuées par ailleurs (voir la notice Wiki), les Monty Python (voir l’usage des noix de coco dans l’histoire de la musique par Spike Jones et celui du bruitage de cheval dans Le Saint-Graal).

Oui, tout cela est fort bien, mais cette chanson ?, demande Lucien l’âne en laissant un sabot en l’air comme la fin de la question.

En effet, la chanson. Dès avant la sortie du film, la chanson Der Fuehrer’s Face composée par Oliver Wallace (musicien qui travaillait chez Disney dès 1936) pour ce court métrage avait été parodiée et enregistrée par Spike Jones and His City Slickers. La chanson rencontra un tel succès, que Disney fut conduit à changer le titre du film, qui était « Donald Duck in Nutziland » et de le remplacer par le titre de la chanson, en l’occurrence : « Der Fuerher’s face ». Dans cette version de Spike Jones, le son d’un petit instrument, le « sifflet péteur », une sorte de petite trompette de fantaisie, genre mirliton de farces et attrapes, imitant le bruit d’un « pet » moqueur, ponctue la chanson anti-nazie. Dans le film, la chanson est reprise par la fanfare. Le disque de la chanson s’est vendu à 200 000 exemplaires dès sa sortie en novembre 1942 et lorsque l’animateur newyorkais Martin Block a annoncé qu’il offrait ce disque pour toute souscription à des bons de guerre de 30 $, le soir même 10 000 souscriptions ont été enregistrées. Pour le reste, je reviens un instant à cette histoire de « pet » et de « doigt d’honneur ». Dans les versions américaines Heil est généralement suivi d’un pet – noté ici en français onomatopique : « Prout ! » ; en plus, dans l’interprétation de Spike Jones et des City Slickers, les chanteurs et l’orchestre lèvent le bras droit en tendant le majeur, un bras doigt d’honneur, si l’on peut résumer la chose ; d’où, l’expression « Doigt d’honneur à la gueule du Führeu », dont dans un souci d’équité vis-à-vis de l’effet linguistique dont j’ai parlé, j’ai francisé le nom en jouant sur la proximité phonique, l’homophonie entre fureur et Führe(u)r. Pour la bonne compréhension de l’ensemble, je proposerai ensuite la version « Dysney » de la chanson et sa traduction française (tirées de Wiki).


Formidable ! Je vais peut-être y comprendre quelque chose, dit Lucien l’âne en activant sa queue comme un métronome. Cependant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde plein de chansons et de Führeurs, idiot, insensé et cacochyme.

Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




Quand le Führer gueule, nous sommes la race des seigneurs !
Nous hurlons Heil (prout), Heil (prout) ! Doigt d’honneur à la gueule du Führeur.
Ne pas aimer le Führeur est une erreur.
Nous hurlons Heil (prout), Heil (prout) ! Doigt d’honneur à la gueule du Führeur.

Quand Herr Goebbels dit : nous prendrons la terre et l’univers !
Nous hurlons Heil (prout), Heil (prout) ! À la gueule de Goebbels, un doigt d’honneur.
Quand Herr Goering dit : il n’y aura jamais de bombes sur Nüremberg !
Nous hurlons Heil (prout), Heil (prout) ! À la gueule de Goering, un doigt d’honneur.

Qui sont les Supermans, les purs Aryens supermans ?
Ja ! Nous sommes les surhommes, Hyper-super-supermans !
Le Naziland, c’est super. Voulez-vous le quitter ?
Ja ! Le Naziland est super. Nous voulons le quitter.

Nous apportons au monde l’Ordre Nouveau.
Heil pour Hitler et son Ordre Nouveau.
Tous, de toutes les races aimeront la gueule du Führeur,
Quand nous donnerons au monde le désordre du Führeur.

Quand le Führer gueule, nous sommes la race des saigneurs !
Nous hurlons Heil (prout), Heil (prout) ! À la gueule du Führeur.
Ne pas aimer le Führeur est une erreur.
Nous hurlons Heil (prout), Heil (prout) ! À la gueule du Führeur.

Quand le Führer gueule, nous sommes la race des vainqueurs !
Nous hurlons Heil (prout), Heil (prout) ! À la gueule du Führeur.
Ne pas aimer le Führeur est une horreur.
Nous hurlons Heil (prout), Heil (prout) ! À la gueule du Führeur.


Der Fuehrer’s face

Version Spike Jones - 1942

Ven der Fuehrer says, Ve iss der Master Race! 
Ve Heil! (fart) heil! (fart) right in der Fuehrer's face.
Not to love der Fuehrer iss a great disgrace,
Ve Heil!
(fart) heil! (fart) right in der Fuehrer's face.

Ven Herr Goebbels says, Ve own der Vorldt und space!
Ve Heil!
(fart) heil! (fart) right in Herr Goebbel's face.
Ven Herr Goering says, De'll nefer bomb dis place!
Ve heil!
(fart) heil! (fart) right in Herr Goering's face.

Are ve not der Super Men, Aryan-pure Super Men?
Ja! Ve iss der Super Men, Super-dooper-super men.
Iss der Nazi land so goot? Vould you leave it iff you could?
Ja! Dis Nazi land iss goot. Ve vould leave it iff ve could.

Ve bring der vorldt New Order
Heil Hitler's vorldt New Order!
Ef'ry one off foreign race
Vill love der Fuehrer's face,
Ven ve bring to der vorldt dis(-)order.

Ven der Fuehrer says, Ve iss der Master Race!
Ve Heil!
(fart) heil! (fart) right in der Fuehrer's face.
Not to love der Fuehrer iss a great disgrace,
So ve heil!
(fart) heil! (fart) right in der Fuehrer's face.

Ven der Fuehrer says, Ve iss der Master Race!
Ve Heil!
(fart) heil! (fart) right in der Fuehrer's face.
Not to love der Fuehrer iss a great disgrace,
So ve heil!
(fart) heil! (fart) right in der Fuehrer's face.

Der Fuehrer’s face
Version Oliver Wallace pour le film de Walt Disney – 1943

When der Fuehrer says, "We ist der master race",
We HEIL! [fart] HEIL! [fart] right in der Fuehrer’s face !
Not to love der Fuehrer is a great disgrace,
So we HEIL! [fart] HEIL! [fart] right in der Fuehrer’s face !
 
When Herr Goebbels says we own the world and space
We heil heil right in Herr Goebbels’ face
When Herr Goring says they’ll never bomb dis place
We heil heil right in Herr Goring’s face

Are we not the supermen Aryan pure supermen
Ja we are the supermen (super duper supermen)
Is this Nutsy land so good
Would you leave it if you could

Ja this Nutsy land is good
We would leave it if we could
We bring the world to order
Heil Hitler’s world to order

Everyone of foreign race
Will love der fuehrer’s face
When we bring to the world dis order



LA FIGURE DU FÜHRER
Version française de Der Fuehrer’s face, version Dysney, 1943

Quand le Führer dit : « Nous sommes la race des seigneurs »,
Nous crions HEIL! [pet] HEIL ! [pet] droit vers la figure du Führer !
Ne pas aimer le Führer est une grande disgrâce,
Alors nous crions HEIL ! [pet] HEIL ! [pet] droit vers la figure du Führer !
 
Quand Herr Goebbels dit que le monde et l’univers nous appartiennent
Nous crions « heil ! » droit vers la figure d’Herr Goebbels
Quand Herr Göring dit qu’ils ne nous atteindront jamais
Nous crions « heil ! » droit vers la figure d’Herr Göring

Ne sommes-nous pas des surhommes, nous la pure race aryenne
Ja ! nous sommes des surhommes
Notre terre nazie est si belle
La quitterions-nous si nous le pouvions ?

Ja ! cette terre nazie est belle
Nous la quitterions si nous le pouvions
Nous remettrons de l’ordre sur la Terre
Faire crier Heil ! à la Terre entière

Toutes les races étrangères
Vénéreront le visage du Führer
Quand nous auront mis de l’ordre sur Terre

RISOTTO MILITAIRE

RISOTTO MILITAIRE

Version française – RISOTTO MILITAIRE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne - Risotto Militare - I Gufi – 1969


Un pot-pourri de chansons anti-militaristes tiré de "Non spingete scappiamo anche noi" (1969),(POUSSEZ PAS, ON FOUT LE CAMP COMME VOUS). Ce spectacle est un voyage ironique, sarcastique au cours des siècles à la recherche des mythes patriotiques et militaires



- Huile minérale
- Dans la nuit
- Fusil
- Et missiles sur les collines
- Chars de combat
- Ho, j'ai appris me débrouiller seul dans le noir
- Frères soldats
- Ma bataille (en version accélérée) , c’est le samedi soir

Huile, huile, huile minérale
Contre le cafard
Il faut la nationale.
Huile, huile, huile minérale
En temps d'élections
Arrive le cardinal
Huile, huile, huile minérale
Les sains d’esprit restent à la maison
Et les fous militaires se font.
Ainsi font, font, font
Les petites marionnettes militaires
Ainsi font, font, font
Trois petits saluts militaires
Et puis s’en vont.

Dans la nuit sombre et
profonde
Marchant voici la ronde
Muette et silencieuse, la caserne
Quelqu'un ne dort pas, il semble

Le sergent qui ne dort pas
Pense seulement à ses cornes, ah, ah !
Sa femme s’est éclipsée
Pour dormir dans la chambrée.
Il la retrouve dans le lit tout doux
D'un soldat plein d’entrain
Et dans les lits voisins,
Tous sont au garde-à-vous !

C’est un plaisir un peu nocturne
À son tour, aucun ne renonce
Et ravalant sa bile
Il se met au bout de la file.

Si
par la suite, il naît quelque chose,
Se fâcher, il n'ose.
Le nouveau-né ne se trompe pas,
La moitié de l’Italie est son papa.


Et après neuf mois, ce beau bambin,
Avec une plume noire d’alpin,
C’est le fils du sergent, ce gamin.

Moi, l’autre soir, j’ai déniché
Une fauvette brune
Je suis allé, à la fraîche,
La retrouver.

Je ne savais quoi lui porter :
Des fleurs, des castagnettes, des colombes,
À manger, des calmants, des bombes.
Finalement, un chant, je lui ai donné.

Fusil
Arme virile
Crache sur le lâche ennemi
Fusil
Arme de style
Vise juste même dans la nuit
Fusil
Arme civile
Au manche de bois verni
Fusil
Freine ton recul
Car tu rues et remues comme une mule !

Arme virile
Troue lâchement le corps et féconde
Fusil
Génie civil
Tu es la force qui peut dominer le monde
Fusil
Fierté de l’homme
Si la femme te retient dans son giron,
Fusil
Fais attention
Ou fais-en ton épouse !

Avec les missiles sur les sommets,
Installés par les Américains,
Nous tirons, bons Italiens
Avec le 91/38, papa pan, notre mousquet !
Par contre, nous avons les saints tutélaires
Qui sont nos protecteurs
Et un par secteur
Prend grand soin de nous, les militaires !


(Parlé :)

Revoyons les saints protecteurs comme à l’instruction :
Aviation ?
Notre-Dame de Lorette !
Cavalerie
 ? Saint Georges !
Saint Gabriel pour les Transmissions.
Pour les Carabiniers ? La Vierge fidèle.
Parachutistes
 ? Saint Michel archange !
La Capitale de la Suisse ? Quelle question !

Je ne savais où aller
L'autre soir avec ma dulcinée,
Une jeune servante,
Gracieuse et très franche.
Il
eut fallu une bonne carrée.
Je n’avais plus de liards
Alors, je l’ai aimée
Debout dans le char.

Char
d’assaut,
Pied-à-terre des soldats
Sur tes chenilles bien droit.
Char
d’assaut,
Lieu sombre et sûr,
Tu m'excites ; avec toi, je me sens plus dur.
« Si la ronde me surprend ici ainsi,
J’aurai des ennuis»

J'ai appris à me débrouiller
Quand j'étais militaire.
J’avais envie de baiser,
Je ne savais pas comment faire.
J'avais 100 lires par jour
Juste assez pour faire
Un tour dans les salles de jour
Avec ma solde militaire.

Prends ton fusil, ta baïonnette !
Prends ta bombarde, pointe ton canon !
Marches, manœuvres, manipulations,
C’est la vie des militaires !

L'amour, j'ai appris à le faire
Quand j'étais militaire
Dans les maisons toutes closes.
Je ne savais pas comment m’y prendre,
Je donnais aux
dames
Mes gibernes et mes galettes,
Je siphonnais l'essence
Pour pouvoir toucher leurs tettes.

Prends ton fusil, ta baïonnette !
Prends ta bombarde, pointe ton canon !
Marches, manœuvres, manipulations,
C’est la vie des militaires !

Prends ton fusil, ta baïonnette !
Prends ta bombarde, pointe ton canon !
Marches, manœuvres, manipulations,
C’est la vie des militaires !

Ôtez les frocs et les bérets !
Assez fait la cour !
Les sous sont prêts,
Faisons l'amour !

Frères soldats,
L’avenir le montrera :
Qui fait carrière
Pourrit militaire.

Laissons ces souvenirs
Des jours d’ennui à mourir.
Frères soldats,
Fuyons de là !
D’ici !
De là !
D'ici,
de là, d’ici !

Ma bataille
du samedi soir
Sans uniforme, sans chemise noire,
Un peu d'amour et la motocyclette,
Le cinéma et la gazette,
Un sandwich et une femme
Et le nid sous sa jupe.

Ma bataille
du samedi soir
Sans uniforme, sans chemise noire,
Un coin de prairie et un drap par terre
et
nous deux là, nous faisons la guerre.
Il n’y a ni morts, ni vaincus, ni coupables ;
Si elle perd l'honneur, elle est même contente !

Il n’y a ni morts ni vaincus ni coupables,
Si elle perd l'honneur, elle est même contente !


Il n’y a ni morts ni vaincus ni coupables,
Si elle perd l'honneur, elle est même contente !

(en s'évanouissant)



lundi 22 août 2016

TEMPO DE BERCEUSE (ICI NOUS SOMMES ENTERRÉS POUR TOUJOURS)

TEMPO DE BERCEUSE

(ICI NOUS SOMMES ENTERRÉS POUR TOUJOURS)


Version française – TEMPO DE BERCEUSE (ICI NOUS SOMMES ENTERRÉS POUR TOUJOURS) – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – Tempo di Berceuse (Qui siamo sepolti per sempre) – I Gufi – 1969



Lucien l’âne mon ami, voici une chanson des Gufi qui me paraît fort proche et même directement inspirée de l’anthologie de Spoon River d’Edgar Lee Masters, comme en fera plus tard – deux ans plus tard – Fabrizio De André et comme je pense également que furent inspirées les Voix du Charnier [[44836]] d’Erich Kästner, plus de quarante ans auparavant. Dans tous les cas, ces épitaphes sont très critiques à l’égard du monde des vivants.

Oui, Marco Valdo M.I. mon ami, je les entends encore ces Voix du Charnier et aussi, les chansons de Fabrizio De André, du moins celles dont tu avais fait une version française – comme La Collina [[405]], Un Blasfemo [[36994]], Un Giudice [[45029]], Un Matto [[8630]], Un Medico [[36983]], tout comme le renvoi historique aux épigrammes, épitaphes grecs. Mais j’imagine que cette chanson des Gufi même si elle ressortit du même genre, se différencie des autres ; les Gufi étant ce qu’ils sont ; n’était-elle pas d’eux la chanson qui me fit tant rire « Poussez pas, on fout le camp comme vous ![[671]] ».

Tu te souviens bien, Lucien l’âne mon ami, ta mémoire est d’une grande fidélité, je le sais pour l’avoir si souvent expérimentée. Pour cette berceuse, car c’en est une, une berceuse pour le long sommeil sous la terre, les Gufi (les Hiboux, si tu préfères) n’ont pas abandonné leur ton mi-comique, mi-ironique, mi-sarcastique, un ton d’entre-deux, comme tu le vois. C’est donc un mort qui parle (un des enterrés là), mais pas seulement ; ils sont plusieurs cette fois, comme sur la colline d’Edgar Lee Masters et tous vivent leur mort dans la contradiction.
Le premier est un Allemand qu’on a enterré en le prenant pour un Anglais ;
Le second est Polonais qui prenait l’Italie pour le « pays où fleurissent les citronniers » et a trouvé le « pays où fleurissent (aussi) les canons [[1844]]» ;
Le troisième, un Étazunien, un noir du Mississippi très honoré d’être mort et enterré là avec les blancs.
La fin tient quant à elle de la science-fiction ou plus exactement, du roman d’anticipation qui se situe sur une Terre où la Guerre de Cent Mille Ans serait finie depuis longtemps ; depuis si longtemps qu’il faut raconter aux enfants de ce temps qu’il y a eu des guerres et leur expliquer ce que peut être une guerre.

Voilà, Marco Valdo M.I. mon ami, un bien heureux temps que celui-là. Mais comme j’entends, même en allant fort vite, il n’est pas pour demain. En tous cas, ce ne sont pas aux enfants d’aujourd’hui qu’il faut dire qu’il y a des guerres et que les humains assassinent avec une certaine obstination et en bandes. Alors, il ne nous reste qu’à continuer notre tâche et à mener à bien notre engagement de tisser le linceul de ce vieux monde catastrophal, belliqueux, guerrier, meurtrier et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Nous sommes enterrés ici pour toujours ;
Pour nous, le temps
s’est arrêté ce jour.
On a pleuré pour nous,
On se souvient parfois encore de nous.

À peu à de pas d’ici, tout près,
À peu à de pas d’où,
Disent les autres, là où
« Nous reposons en paix »,
Les automobiles passent à toute vitesse
Sur la grand-route d’asphalte.

À la fenêtre arrière, on voit
Les enfants nerveux
qui rient
Et sur le toit,
Le canot rouge ou les skis.
On aperçoit, derrière les pins, derrières les haies, discrètes,
Mille croix blanches
« Un cimetière militaire.
On pense, tant de morts ! »
Ensuite,
d’un coup, on accélère
Vers le week-end et le port.

Sur ma croix, il n’y a pas de nom
À mon corps c
arbonisé sous un char, méconnaissable
Personne n’a pu donner de nom.
À l’examen des chaussures, l’unique élément reconnaissable,
On m’a déclaré « unidentfied British soldier »,
Soldat anglais non identifié.
Je faisais partie de la Wehrmacht ; en réalité,
Je suis de Berlin. Mon nom est Richard Gruber.
Mes godillots étaient cassés,
J’avais emprunté ceux d’un mort oublié.
Elles servaient à tenir au chaud mes pieds.
Finalement, grâce à eux, me voici :
Encore toujours parmi les vainqueurs, moi aussi.

Mon nom est Ian Piazinski.
Un
début, une fin et deux dates.
Vingt ans entre ces dates.
La guerre m’a
pris
Me chassant de la Pologne de mon cœur
En cette Italie, que j’avais toujours pressentie
Un pays de soleil, de chants et de fleurs
Et que j’ai vue par un terrible automne de feu et de pluie.
Je suis mort un jour, en novembre,
Touché par une bombe, par hasard.
J’ai vécu, sans avoir le temps de comprendre.
Je suis mort, sans avoir le temps de m’en apercevoir.

Charlie Wright est mon nom, toujours je riais,
Alors, on m’appela Smiley.
Pauvre nègre, je suis né sur les rives du Mississippi,
Traité à coups de pied, de crachats et de vexations
Par les blancs de mon pays.
Un jour, un homme blanc venu de Washington
M’a dit : « Ça suffit. Nous sommes tous égaux,
Nous sommes tous frères,
Quelle que soit la couleur de notre peau.
Viens avec nous, frère nègre ! »
Je suis allé et, les gars, c’était vrai !
Je voyageais avec les blancs, je marchais avec les blancs,
J’ai eu l’honneur de mourir, avec les blancs !
Moi, Charlie Wright dit Smiley,
Pauvre nègre né sur les rivages du Mississippi
Et mort sur le bord d’un fossé,
Un jour de mars, en Italie.

Ce sont nos voix, entre mille autres,
Qu’entendent, la nuit, les arbres, la lune et les grillons.
Un jour nos croix tomberont
Et se confondront avec la terre.
Et avec la terre se confondront nos osselets,
Qui ne reposent pas encore en paix.
Sur les prés, viendront des enfants
Et parmi tant de questions d’enfant,
peut-être, aussi celle-ci : « Papa, c’est quoi la guerre ? »
Et alors, il faudra expliquer qu’un temps,
Mais il y a très très longtemps,
Les hommes se massacrèrent.
On rangea les hommes d’une tribu,
D’une ville, d’un État.
« C’est quoi un État ? »
Face aux hommes d’une autre tribu,
Ou d’un continent,
D’une autre ville, d’un autre état, d’un autre continent
Avec des fusils.
« C’est quoi des fusils ? »
Avec des canons.
« C’est quoi des canons ? »
Avec des bombes.
« C’est quoi des bombes ? »
Ils se tuèrent. C’est ça la guerre.
« Oui, mais pourquoi papa ? Pourquoi ? »

Et alors pensifs, nous ferons silence.
Et, peut-être, alors nous saurons nous aussi, finalement, pourquoi.