mardi 20 novembre 2018

Monsieur L’Agent


Monsieur L’Agent


Chanson française – Monsieur L’AgentBoby Lapointe – 1969






Dialogue maïeutique


L’autre jour, si tu t’en souviens, Lucien l’âne mon ami, j’avais inséré ici même une version française d’une chanson italienne dont le titre était : « Monsieur le Policier », en italien : « Signor Poliziotto ». J’aurais d’ailleurs pu traduire ce titre par « Monsieur l’Agent » et si je ne l’ai pas fait, c’est qu’il existait une chanson bien antérieure par sa conception qui portait ce titre. Et de plus, une chanson de Boby Lapointe, qui raconte, comme le titre le laisse entendre, la conversation entre un quidam et un agent de police.

Oh, dit Lucien l’âne, ça promet. Je veux dire que les conversations avec les policiers sont toujours intéressantes et pleines d’enseignement. Il faut les écouter attentivement, même si parfois, le style en est assez abrupt.

Certes, Lucien l’âne mon ami, et souvent, elles se terminent dans l’incompréhension réciproque qui emmène les protagonistes à aller poursuivre la discussion au commissariat où l’agent peut disposer en toute tranquillité de l’aide experte de ses collègues. Grâce à quoi, le quidam finit par mieux comprendre les injonctions des représentants de l’ordre. Donc, je me suis dit au moment de choisir le titre de la version française de cette chanson du groupe Management del dolore post-operatorio qu’il ne fallait pas l’intituler « Monsieur l’Agent ». D’un autre côté, cela impose que l’on connaisse la chanson de Boby Lapointe, laquelle date quand même d’un demi-siècle. C’est donc ce pourquoi, je la présente aujourd’hui.

Et tu fais bien, répond Lucien l’âne, car personne n’aurait rien su de ce dilemme et pire, on n’aurait même pas pu comparer ces deux visions des rapports francs et cordiaux entre les gens et les agents. Donc, l’une, celle de « Monsieur le Policier », illustre la fonction de « contrôle » (social ?) de la police – elle s’adresse aux citoyens ; l’autre, « Monsieur l’Agent », son rôle de régulation de la circulation automobile – elle concerne plus spécifiquement les usagers.

Ce sont en effet deux fonctions fort différentes et si tu me permets une réflexion historique, de ces deux fonctions, c’est la fonction de contrôle de la population qui est la plus ancienne. La régulation organisée de la circulation n’est apparue qu’avec le développement des villes et la présence de plus en plus pressante du charroi automobile.

À propos de charroi automobile et des encombrements qu’il déclenche, la situation – malgré toutes les mesures prises par les autorités – ne s’est pas améliorée depuis cinquante ans ; bref, la chanson de Boby Lapointe est toujours d’actualité et même, plus encore qu’à l’époque où elle fut composée. Une autre caractéristique des conversations avec les policiers, et le fait s’avère dans les deux chansons, c’est qu’elles se terminent par une séance d’explication musclée, dont le bénéficiaire ne sort que rarement indemne.

En cela, la police me rappelle le libéralisme, qui lui aussi commence ses explications doucement et finit par user de la force la plus brutale pour imposer libéralement son point de vue, comme le montrait bien Les Lanternes libérales :

« Réussissez et consommez !
Gagnez et profitez
 !
Travaillez et crevez
 !
Soyez performants, intériorisez
la carotte ; sinon,
nous sortirons le bâton. »

Alors, tissons le linceul de ce vieux monde libéral, policier, persuasif et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M .I. et Lucien Lane


Monsieur l’agent, monsieur l’agent…
Monsieur l’agent,
Est-ce que je vais bientôt sortir…
De ce carrefour ?
Il y a longtemps, longtemps, longtemps,
Monsieur l’agent,
Que je suis là avec ma tire
À ce carrefour.
Chez nous, ma femme qui m’attend
Avec sa mère,
M’a recommandé d’être là à l’heure,
Comme il y a sa mère
Et moi, je rapporte le beurre
Pour mettre dans les épinards,
Elles vont me reprocher mon retard…
Amer.

Pourquoi
Quand le feu est vert,
C’est comme quand il est rouge ?
Personne ne bouge,
Je trouve ça louche,
Oh là là, quel temps, on perd !
Je m’énerve,
Je m’énerve,
Je m’éner ner ner ner ner ner ner ve.

Mais qu’est-ce donc que cet agent…
L’agent qui est-ce,
Planté devant mon véhicule…
La jambe en l’air.
Allons, ayez monsieur l’agent…
La gentillesse
De garder votre matricule…
Là, j’en dis trop.
Mais la police est sur les dents…
Et l’agent siffle,
Pas content que je le bouscule…
L’agent gît vite
J’ai beau lui dire :
« Ma femme cardiaque
Est au lit avec une attaque »
Ça lui fait une belle jambe…
Au lit.
Il sort son petit carnet
Pour me fiche une contredanse
Et je suis en transe,
Mon beurre sera rance
Quand il aura terminé.
Je m’énerve,
Je m’énerve,
Je m’éner ner ner ner ner ner ner ve.

Au violon, mes sanglots longs
Bercent ma peine,
J’ai reçu des coups près du colon,
J’ai mal vers l’aine !

MONSIEUR LE POLICIER

MONSIEUR LE POLICIER


Version française – MONSIEUR LE POLICIER – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Signor PoliziottoManagement del dolore post-operatorio2012







Tout part d’une anecdote sur Léo Ferré. Il fut arrêté à la frontière, entre la France et l’Italie, à l’époque des Brigades Rouges. Et pendant que les policiers fouillaient dans la voiture et ne trouvaient rien, il dit : « Cons ! », « Les bombes ne sont pas où vous les cherchez, elles sont là, dans la tête ! ».
La chanson fondamentalement développe l’idée qu’il ne suffit pas d’attendre que le rêve vienne à toi. Il faut le chercher, travailler, vraiment te casser le cul pour n’importe quoi, n’importe quelle idée. Pour avoir raison, il faut se démener… c’est une souffrance immense, surtout pour celui qui n’est aidé par personne, même au niveau psychologique. L’idée que nos parents n’ont pas dû nous soutenir jusqu’ici. Nous ne devons remercier personne. Nous avons travaillé davantage lorsque ça allait mal, comme des fous, parce que la chose nous plaisait tant. Ça me fait penser que c’est bien que les choses aillent mal, un peu de temps en temps, peut-être parce que ça durcit l’estomac. Mon estomac me fait mal souvent, cependant ensuite d’autant plus je n’arrive pas à écrire, d’autant plus j’écris, et ça m’ennuie de le dire, parce que je voudrais que ce ne soit pas ainsi. Cependant, c’est peut-être précisément lorsque je suis mal que sort une phrase parfaite parmi un million d’autres qui sont à jeter.

Luca Romagnoli sur DLSO



Pour rêver, amour,
Il ne suffit pas de dormir.
On doit en avoir un terrible besoin,
Car le besoin est le père de chaque rêve.
Mourir de faim,
Mourir de soif,
En cherchant
à ne pas tomber dans leurs rets,
La route est
étroite,
La route est
angoissante,
On rit de nous, mais on est sur le bon chemin.

Et ils nous poursuivent ;
Ils nous regardent en face et puis, ils rient
Et quand ils peuvent inventer
Une nouvelle loi pour nous arrêter,
Ils le font.

Monsieur le policier,
Excusez-nous de gâcher la fête.
Les bombes
ne sont pas dans la valise,
Elles sont dans nos têtes.
Monsieur
le policier,
Excusez-nous de gâcher la fête.
Les bombes
ne sont pas dans la valise,
Elles sont dans nos têtes.

Halte, halte !
On est cernés.
Voilà, je le savais,
on est encerclés.
Regard
ons-les dans les yeux
Et cherch
ons à ne pas pleurer.
Non, pas esclaves,
Il ne faut pas pleurer
Pour
la peine qu’ils nous font,
Ce
sont de très mauvais exemples de normalité,
De normosit
é.

Pour rêver, amour,
Il ne suffit pas de dormir ;
I
l faut en baver,
Il faut gagner.
Ce n’est pas du tout facile,

Car ils nous poursuivent ;
Ils nous regardent en face et puis, ils rient
Et quand ils peuvent inventer
Une nouvelle loi pour nous arrêter,
Ils le font.

Monsieur le policier,
Excusez-nous de gâcher la fête.
Les bombes
ne sont pas dans la valise,
Elles sont dans nos têtes.
Monsieur
le policier,
Excusez-nous de gâcher la fête.
Les bombes
ne sont pas dans la valise,
Elles sont dans nos têtes.

Sus au Trésor de Guerre


Sus au Trésor de Guerre

Chanson française – Sus au Trésor de Guerre– Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
109
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
IV, XIII)



Dialogue Maïeutique

En ce temps-là, Lucien l’âne mon ami, Lamme attendait sa mort sur la potence et maudissait ses bourreaux. Avec Till et Nelle, il marchait au supplice en portant sa bedaine en colère. C’est le point de départ de cette chanson où le sort soudain bascule.

Bien sûr, dit Lucien l’âne, comme les personnages de légendes ne peuvent mourir aussi banalement, Nelle, Till et Lamme ne mourront pas cette fois-ci ; ils ont le destin de mourir tranquillement un jour lointain dans la paix des Pays libérés. Ou peut-être, ne mourront-ils jamais comme tous les gens de cet autre monde d’où toi-même, tu es issu.

Et toi aussi, reprend Marco Valdo M.I. un peu songeur. À propos de personnages de légendes, il m’est venu à l’esprit que le nom le plus approprié pour cette histoire de Till et consorts serait « La Chanson de Till ou la Geste de Liberté », ce qui la replacerait dans le courant des grandes chansons des trouvères et renouerait avec le fil interrompu. Par la même occasion, on redonnerait à la chanson – canzone, cantone… – sa vraie dimension.

C’est une bonne idée, répond Lucien l’âne. Donc, nos personnages, nos héros – osons le mot – marchent à la mort et puis, que se passe-t-il ?

La nuti tombe et dans la pénombre, soudain, arrivent « au galop » les renforts des Gueux qui avaient été longtemps empêchés par les circonstances ; ils déboulent à cette dernière extrémité (du moins pour Nelle, Till et Lamme ; pour les pendus et les décapités, c’est trop tard) comme le tonnerre brise la cuirasse des nuages. C’est un véritable coup de théâtre et pour les soldats espagnols bien campés dans leur récente victoire, c’est la surprise : le massacre change de camp. Pour l’armée du ducaillon Frédéric, digne fils du duc d’Albe, c’est la débandade. Dans la foulée, la flotte des Gueux s’est dégagée et a repris la maîtrise des bouches du Rhin et de la Meuse, le contrôle de cet enchevêtrement de mer, de lacs et de canaux.

Lors donc, si je comprends, dit Lucien l’âne, nos héros, qui sont des héros comme le sont les héros de bande dessinée ou comme du théâtre de Tchanchès ou les marionnettes de Toone.

Tu ne crois pas si bien dire, Lucien l’âne mon ami, car les marionnettes de chez Toone sont la descendance directe de celles qui naquirent à Bruxelles sous l’impulsion involontaire de Philippe II, le tyran espagnol qui avait fait fermer les théâtres pour éteindre les foyers de rébellion qui y couvaient ou qui auraient pu y couver. En conséquence, dans les rues sombres de Bruxelles, jaillirent comme des champignons après la pluie de petits théâtres clandestins où des comédiens toujours interdits donnaient leurs voix aux pouchenelles, qui sont les poupées de bois de ce théâtre en réduction. Et pour nos héros, il est temps de retourner sur leur navire où ce n’est que festin et ripaille. Et la fête est pimentée par l’arrive d’une flotte de Lisbonne, escortée parla marine du Roi d’Espagne. Une de ces armadas qui venait ravitailler et renforcer l’armée d’occupation. Ignorant les derniers retournements, cette flotte va se jeter dans l’antre des Gueux et ces derniers vont s’empresser de s’en emparer et de mettre la main sur un formidable trésor de guerre : un demi-million de pièces d’or ; de quoi poursuivre la lutte, sans compter les épices, le sucre, les armes, les munitions, la poudre…

Voilà une terrible aventure qui finit bien, conclut Lucien l’âne. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde corseté d’or et d’argent, avare, avide, arrogant et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Nelle, Till et Lamme marchent sans bruit.
Heure de mort dans la noire nuit,
Nelle dit : « D’autres délivreront les Pays. »
« Oh, ma douce, pourquoi m’as-tu suivi ? »

Les Espagnols baillent encore aux corneilles.
Par-dessus les blés, sonnent cliquetis
D’armes ; on entend mille cris,
Les arquebuses étincellent comme soleils,


« Vive les Gueux ! », ils arrivent en courant,
« Vive les Gueux ! », les piques en avant,
« Vive les Gueux ! », ils descendent au galop,
« Vive le Gueux ! », hache au poing, le coteau.

Sur les soldats que les torches éclairent
Et que la nuit noire méduse
Tirent, tirent les arquebuses
Mille et mille petits éclairs.

Tue ! Tue !, tombent les Espagnols,
Pris dans le cercle de fer et de feu.
« Pas de pitié pour ces guignols,
Guerre sans merci, Vive les Gueux ! »

Plus tard, sur la mer libre, les Gueux
Chantent aux mouettes les chants de liberté,
Chantent aux goélands les jours joyeux
Et le bonheur des Pays libérés.

Lamme descend à terre dans chaque port
Et ramène des vivres à foison :
Volailles, moutons, bœufs et porcs,
Pommes, carottes, haricots et salaisons.

Noces et festins sur les navires,
La senteur des sauces s’élève au ciel.
Une flotte de Lisbonne du large vire.
Pour le Gueux, c’est tout miel.

La flotte sans nouvelle ignore
Que les Gueux tiennent les ports.
Le combat s’engage ; après mille morts,
La flotte ibérique se rend au plus fort.

Et les Gueux de compter : joyaux, sucre,
Épices, muscade, girofle, gingembre ;
Réaux, ducats, cinq cent mille pièces d’or
Trésor de guerre : l’Espagnol paye le prix fort.