La
Poule d’Homère
Chanson
française – La Poule d’Homère – Marco Valdo M.I. – 2020
Quelques
histoires albanaises, tirées de nouvelles d’Ismaïl Kadaré,
traduites par Christian GUT et publiées en langue française en 1985
sous le titre La Ville du Sud.(3)
Dialogue
Maïeutique
Quel
titre étrange, une fois encore, Marco Valdo M.I. mon ami. Que peut
bien raconter une chanson qui est intitulée « La Poule
d’Homère ». C’est très ambigu. Enfin, pour ce qui est
d’Homère, je sais qui c’est ; je l’ai promené un jour
sur mon dos, il y a très longtemps, j’en conviens, mais j’ai une
mémoire d’âne. Seulement pour ce que j’en sais, et j’en sais
sans doute plus que quiconque actuellement, Homère voyageait seul.
C’était une sorte de vagabond, le déserteur de tant de combats.
Donc, s’il est question de lui attribuer une « poule »,
je pense que c’est une erreur. Avec le métier qu’il avait
d’aller raconter des histoires de village en village et à pied
encore bien, la plupart du temps, il ne pouvait pas s’encombrer
d’une poule. Et de plus, à l’âge qu’il avait quand il s’était
affublé du nom et de la réputation d’Homère, encore moins. Il
n’en avait pas les moyens. Tout ceci évidemment, à supposer que
nous parlons du même Homère ou que l’Homère dont nous parlons
aujourd’hui est bien l’Homère d’alors.
L’Homère
d’alors ?, soit ! Lucien l’âne mon ami, tu fais bien
de parler de cet Homère-là. Le personnage ainsi visé dans la
chanson est bien celui-là, il n’y a pas d’erreur : il
s’agit de l’aède auquel on attribue l’Iliade et l’Odyssée.
Quant à sa personne réelle et à la vie qu’il a vraiment vécue,
c’est pareil que pour William Shakespeare, celui qui a vraiment
écrit les pièces de théâtre publiées sous ce nom. On ne sait pas
grand-chose, on suppute, on suppose mille choses.
Oui,
je sais, dit Lucien l’âne, en guise de tête d’Homère, on a un
buste ; pour Shakespeare, on a un mauvais portrait et aucun des
deux – buste ou portrait – fait de leur vivant. Quoique pour ce
qui est de William Shakespeare, les choses évoluent et on commence à
lui trouver à l’incarner dans une personne réelle, dont le nom
d’auteur serait un hétéronyme.
Mais
laissons cela, dit Marco Valdo M.I., on risquerait une querelle
d’Anglais et ça nous entraînerait trop loin. Maintenant, pour ce
qui est de la poule, tu as été trop vite en besogne. Il s’agit
d’une malheureuse gallinacée, déjà presque morte au début de la
chanson.
Bien,
bien, dit Lucien l’âne, tu me dis que cette volatile meurt et puis
quoi ?
Il
existe en français, Lucien l’âne mon ami, et presque tous les
enfants la connaissent, une comptine, une très petite comptine qui a
inspiré le début de la chanson. Cette comptine, vraiment enfantine,
est très courte, si courte que je te la chante entièrement de
mémoire à l’instant :
« Une
poule sur un mur
Qui picore du pain dur
Picoti, Picota
Lève la queue et puis s’en va. »
Qui picore du pain dur
Picoti, Picota
Lève la queue et puis s’en va. »
Oh,
dit Lucien
l’âne, les
comptines sont des choses fort mystérieuses. Je pense que leur grand
secret, c’est d’être à la mesure de la mémoire enfantine.
Enfin,
bref, reprend Marco Valdo
M.I., cette poule se noie dans la citerne et on ne peut l’y laisser
sous peine d’empoisonner toute la famille. Il faut donc extraire la
poule, mais aussi, vider et nettoyer la citerne. On fait venir des
ouvriers et parmi eux, il y a un certain Omer, qui va en quelque
sorte ressusciter Homère.
D’accord,
dit Lucien l’âne, mais que viennent faire les Allemands dans cette
histoire de poule ?
Mais
rien précisément, répond Marco Valdo M.I. ; ils n’ont rien
à y faire sauf que dans la tête de l’enfant, perdu dans cette
guerre qui ravage toute l’Europe d’alors, ces Allemands sont les
affreux monstres qui mutilent et qui tuent. Ainsi, la guerre s’invite
dans l’imaginaire des enfants.
En
somme, dit Lucien l’âne, c’est toujours ainsi dans la
Guerre de Cent Mille Ans ; elle est partout, elle s’insinue
dans tous les moments de la vie, y compris dans celle des enfants ;
elle façonne leur interprétation du monde, elle nourrit leurs peurs
et leurs terreurs, mais elle nourrit aussi leurs jeux et leurs rêves.
Enfin, que dire, tissons le linceul de ce vieux monde monstrueux,
imaginaire, fantastique et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Une
poule dans la cour,
S’en
vient faire un petit tour ;
Trop
curieuse de tout,
Elle
tombe dans le trou.
Dans
l’eau de notre citerne,
La
poule caquetante se noie.
Tout
le quartier à notre poterne
Se
presse comme à l’opéra,
Pour
voir ce spectacle rare
De
la citerne qu’on nettoie.
Une
citerne n’est pas une mare,
On
ne la vide pas comme ça.
Ainsi,
tel Diogène, l’homme au tonneau,
Les
ouvriers, lanterne à la main,
Au
bout d’une corde, depuis le matin,
Descendent
et montent avec leur seau.
Le
plus vaillant et le plus petit aussi
Au
joli nom d’Omer répond.
Par
le trou, je crie son nom
Et
la citerne en écho renchérit.
Sais-tu
qui était Homère ?, me dit mon père.
Un
ancien aède aveugle des deux yeux,
Il
racontait Hélène, Troie et la guerre.
Pourquoi
les Allemands lui ont-ils crevé les yeux ?
C’était
il y a très, très longtemps,
Il
n’y avait pas encore d’Allemands.
Souvent,
à présent, je crie « Omer ! » au trou
Et
la citerne répond Homère à chaque coup.