SI ON TE COUPAIT EN MORCEAUX
Version française – SI ON TE COUPAIT EN MORCEAUX – Marco Valdo M.I. – 2021
Chanson
italienne – Se ti tagliassero a pezzetti – Fabrizio
De André – 1981
Paroles
et musique : Fabrizio
De André
LE JOUEUR À LA MANDOLINE
André Derain – ca. 1930
Dialogue maïeutique
Je me demande, Lucien l’âne mon ami, ce que dirait une jeune fille à qui on commencerait par dire ce qui fait le titre, l’accroche de la chanson : « Se ti tagliassero a pezzetti – SI ON TE COUPAIT EN MORCEAUX ». Qu’en penses-tu ?
Oh moi, dit Lucien l’âne, je ne suis qu’un âne, mais je serais très affolé, très apeuré ou très intrigué : très affolé, car je me demanderais de quel esprit malade aurait surgi cette proposition folle ; apeuré, me disant que mon interpellateur serait bien capable de la mettre à exécution et pour ce faire, de m’exécuter ; intrigué, me demandant ce qui pourrait bien suivre un tel hors d’œuvre. Dans tous les cas, je serais très attentif à la suite.
Et c’est précisément là le but recherché, reprend Marco Valdo M.I. ; par cette accroche, c’est attirer toute l’attention de la demoiselle, la sidérer d’un coup d’accroche-cœur, la tétaniser d’un coup d’arrache-cœur et ça marche, évidemment. Par la suite, il apparaît qu’il s’agit bien d’attirer l’attention d’une jeune (ou moins jeune) femme. C’est donc ce que confirme en apparence la seconde strophe, laquelle m’a fait songer à une chanson de Brassens, qui elle-même renvoie à toute une tradition qui se perd dans la nuit des temps, qui s’intitule « Dans l’eau de la claire fontaine » et qui commence ainsi :
« Dans l’eau de la claire fontaine,
Elle se baignait toute nue
Une saute de vent soudaine
Jeta ses habits dans les nues… »
Et cette eau de la claire fontaine est sans doute, dit Lucien l’âne, de la même eau de la même fontaine que celle que chantait depuis longtemps celui qui disait :
« À la claire fontaine, m’en allant promener
J’ai trouvé l’eau si belle que je m’y suis baigné »
Sans doute, Lucien l’âne mon ami, même si la version plus moderne de Brassens est plus malicieuse et se situe en quelque sorte de l’autre côté du miroir, comme une autre chanson de Fabrizio De André qui conte aussi une rencontre au bord de la fontaine ; elle porte un titre à rallonge : Carlo Martello torna dalla battaglia di Poitiers – CHARLES MARTEL DE RETOUR DE LA BATAILLE DE POITIERS ; je t’en cite un petit extrait :
« Le
miroir de la fontaine d’étain
Reflète le fier vainqueur des
Mores.
Quand voici que dans l’eau débonde,
Admirable
vision, le symbole de l’amour.
Au cœur de longues tresses
blondes
Paraît en plein soleil son sein nu. »
De celle-là, je me souviens, dit Lucien l’âne.
Donc, dit Marco Valdo M.I., la chanson poursuit son déroulé et il se révèle qu’il convient de prendre le titre au sérieux et que par ailleurs, la dame, la demoiselle est peut-être d’une autre dimension que celle qu’on pouvait penser. Serait-ce vraiment Madame Liberté qui sera assassinée ?
Tout ça, dit Lucien l’âne, est bien mystérieux.
Il te reste donc, Lucien l’âne mon ami, à aller voir la chanson et à méditer. À mon sens, c’est voulu et ça donne tout son charme à la chanson. Elle invite à une sorte de danse des voiles où la danseuse, horriblement séduisante, se dépouille voile après voile jusqu’à présenter sa (ou ses) vérité.
C’est toujours troublant ces choses-là, dit Lucien l’âne. Imaginons et tissons le linceul de ce vieux monde terne, morne, triste et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Si on te coupait en morceaux,
Le vent les ramasserait,
Les araignées recoudraient
Ta peau,
La lune tisserait tes cheveux
Et peindrait ta figure
Et le pollen d’un dieu,
D’un dieu, ferait ton sourire.
Je t’ai trouvée près de la rivière
Qui jouait d’une feuille de fleur,
Qui d’amour chantait les paroles légères ;
J’ai goûté tes lèvres et de ton cœur
Le rouge rouge miel liquoreux.
J’ai dit donne ce que tu veux,
Je donnerai ce que je peux.
Rose jaune, rose de cuivre,
Je n’ai jamais dansé tant
Sur le fil de la nuit d’argent,
Sur les pierres du jour, ivre,
Moi, les soirs, joueur de guitare,
Moi, joueur de mandoline au matin,
À la fin, on tomba dans le foin.
Perdue
pour beaucoup, perdue pour peu,
Pris au sérieux, pris par jeu,
Il n’y eut pas beaucoup
À dire ou penser. Pour nous,
La fortune souriait au miroir
Comme un étang au printemps
Soufflé par tous les vents
Du soir.
Et, j’attendrai demain
Pour la nostalgie
Madame Liberté, mademoiselle Anarchie
Précieuse comme le vin,
Gratuite comme la tristesse,
Nimbée de beauté et de faiblesses.
À
la gare, je t’ai
croisée.
Prise au piège
D’un tailleur droit et beige,
Tu suivais ta senteur poivrée,
Journaux dans une main
Et dans l’autre ton destin ;
Tu marchais déjà tout à côté
De ton assassin.
Si on te coupait en morceaux,
Le vent les ramasserait,
Les araignées recoudraient
Ta peau,
La lune tisserait tes cheveux
Et peindrait ta figure
Et le pollen d’un dieu,
D’un dieu, ferait ton sourire.