Indulgence
Chanson française – Indulgence – Marco Valdo M.I. – 2015
Ulenspiegel
le Gueux – 13
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs
(1867).
(Ulenspiegel
– I, LIV)
Cette
numérotation particulière : (Ulenspiegel
– I, I), signifie très
exactement ceci :
Ulenspiegel :
La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs,
dans le texte de l’édition de 1867.
Le
premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman
comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre
d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur
vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui
ne figurent pas ici.
C’est la sainte boutique, ayez confiance !
Indulgences, indulgences, achetez des indulgences !
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Nous
voici, Lucien l’âne mon ami, à la treizième canzone de
l’histoire de Till le Gueux. Les onze premières étaient, je te le
rappelle :
01
Katheline
la bonne sorcière
[[50627]]
(Ulenspiegel
– I, I)
02
Till
et Philippe
[[50640]](Ulenspiegel
– (Ulenspiegel – I, V)
03.
La
Guenon Hérétique
[[50656]](Ulenspiegel
– I, XXII)
04.
Gand,
la Dame
[[50666]](Ulenspiegel
– I, XXVIII)
05.
Coupez
les pieds !
[[50687]](Ulenspiegel
– I, XXX)
06.
Exil
de Till
[[50704]](Ulenspiegel
– I, XXXII)
07.
En
ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel
– I, XXXIV)
08.
Katheline
suppliciée
[[50801]](Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09.
Till,
le roi Philippe et l’âne [[50826]](Ulenspiegel
– I, XXXIX)
10.
La
Cigogne et la Prostituée [[50862]](Ulenspiegel
– I, LI)
12.
La
messe du Pape, le pardon de Till et les florins de l’Hôtesse
[[50939]](Ulenspiegel – I, LIII)
Voici
donc, Lucien l’âne mon ami, la treizième chanson qui conte
l’histoire de Till le Gueux et tu me croiras, sit u le veux ou si
tu le peux, elle suit la douzième.
Mais
enfin, Marco Valdo M.I. mon ami, j’ai comme l’impression que tu
te moques de moi. Il est tout à fait prévisible que la treizième
suive la douzième. Tu enfonces des portes béantes.
Je
ne me moque pas du tout et surtout pas de toi. Je voulais juste
attirer l’attention sur le fait qu’il y avait déjà dans la
douzième une allusion au thème central de celle-ci. Et elle n’est
pas sans importance pour notre histoire ou pour notre manière – et
celle de Charles De Coster – de raconter. J'ai juste voulu montrer
comment procède le récit et aussi que le récit annonce le récit à
venir. En somme, que dans cette histoire, tout se tient et tout est
minutieusement construit.
Mais
de quelle allusion parles-tu, Marco Valdo M.I. ?
Cette
allusion se trouve tout à la fin de la canzone La
messe du Pape, le pardon de Till et les florins de l’Hôtesse
[[50939]], au
moment où Till, le pèlerin pèlerinant, est béni par Jules III,
pape de son état, lequel lui réclame, séance tenante, le prix de
son pardon. Voilà quand et comment le fils a bénéficié d’un
pardon tarifé. Dans cette treizième canzone, celle qui nous occupe
présentement, c’est au tour du père de devoir casquer pour
acheter du pardon et pas un peu, comme tu vas le voir. Ces pardons
négociables s’appellent des indulgences et tu en seras
peut-être étonné, cela se pratique encore de nos jours et à une
échelle que tu ne peux sans doute pas imaginer. Bien entendu, sous
le couvert de l’autorité de l’Église et uniquement dans la
religion catholique romaine.
Aujourd’hui ?
En ce siècle ? À nouveau, Marco Valdo M.I., j’ai la nette
impression que tu te moques.
Je
te le répète, je ne me moque pas. Sur ce point précis, je te
renvoie – afin d’éclairer
ta lanterne et d’étayer mon propos – je te renvoie au fait qu’il
existe bel et bien un « Manuel des Indulgences », dont la
dernière édition est assez récente ; elle date de 1999. Et il
s’agit là d’une publication vaticane, que tu peux trouver à
l’adresse suivante :
http://www.vatican.va/roman_curia/tribunals/apost_penit/documents/rc_trib_appen_doc_20020826_enchiridion-indulgentiarum_lt.html.
C’est
évidemment en latin, la langue officielle de cette Église. Ensuite,
si on ne vend plus à proprement parler directement des indulgences,
on peut à présent les obtenir de mille manières et notamment, en
achetant certains objets en
certains lieux, désignés par les papes, afin semble-t-il de
susciter la fréquentation des fidèles ou
d'encourager ce toursime religieux qu'est le pèlerinage.
Je
t’avoue ma stupéfaction, mais aussi, du coup, le grand intérêt
que je porte à ce que raconte la canzone, dont tu ne m’as pas
encore parlé.
J’y
viens, j’y arrive. La canzone raconte la venue de moines qui, de
village en village, d’église en église, s’en vont vendre des
indulgences aux populations crédules ou madrées, on ne sait trop.
Il s’agit aussi dans un régime théocratique de faire bonne
figure.
Les
Iraniennes, les Saoudiennes… par exemple, dit Lucien l’âne, en
savent quelque chose.
En
effet. Alors, pour comprendre cette histoire d’indulgences, suis
bien le raisonnement. Ces indulgences ne peuvent exister que si et
seulement s’il y a des fautes à pardonner et s’il y a un intérêt
quelconque à se faire pardonner de telles fautes ou si l’on veut
échapper à une punition et pour cela, il faut qu’il y ait
punition et que quelqu’un punisse et que la punition soit
effrayante. Il faut aussi qu’il existe un bénéfice à tirer de
telles pratiques. Pour faire court : on aura au chapitre
punition : l’Enfer et au chapitre bénéfice : le
Paradis. Entre les deux, comme il ne faut pas décourager le populo,
on a situé un purgatoire, littéralement : un endroit où l'on
se purge, dont je n’ose imaginer l’odeur qui y règne. Je
résume : on peut s’assurer le paradis en achetant des
indulgences – et dans le même mouvement, échapper à l’enfer et
au purgatoire.
À
propos, Marco Valdo M.I. mon ami, il me semble que les moines de la
chanson parlent comme des marchands de poisson à la criée ou sur la
place du marché du village.
Mais
ce sont des marchands de poisson et même si tu réfléchis, de
poisson pas frais – depuis le millénaire et demi (à l’époque
de Till le Gueux, vers 1550) qu’il traîne dans tous les villages
de par chez nous. Moi, dans tous les cas, je n’en mangerai pas. Et
puis, c’est loufoque cette
affaire d’indulgences, c’est loufoque et c’est un
attrape-nigaud, une pure escroquerie. Enfin, ça dépend de quel côté
de l’indulgence, on se trouve. C’est une
escroquerie au détriment de l’acheteur, du bon croyant à qui on
vend du vent. On met des
gens en prison pour des
embrouilles bien moindres
que ça.
En
effet, mais l’indulgence, ça fonctionne et ça rapporte gros. Dans
la chanson, Claes (le père de Till) va acheter des indulgences pour
dix mille ans. Était-il dupe ? Ou était-ce pour se faire bien
voir ? Ou tout
simplement parce que ça se faisait et que celui qui ne fait pas
comme il faut est souvent considéré comme suspect et qu'en
ces temps d’Inquisition, doublée d’une occupation étrangère,
il faut être des plus prudent, il vaut mieux ne pas attirer
l’attention ; une délation est si vite arrivée.
Je
ne peux que te donner raison. Et s’agissant de Claes, j’ajoute –
surtout quand on est déjà tenu à l’œil par les autorités :
Till et Katheline ont déjà
été condamnés. Sans doute
verra-t-on d’autres développements plus tard et en attendant la
suite, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde
plein d’indulgences, d’escroqueries, vantard, menteur, hypocrite
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Indulgences,
qui veut des indulgences ?
Deux
frères en robe de bures
Et
par-dessus venue d’Estramadure
Une
belle chemise de dentelles.
À
l’entrée de l’église, par temps clair,
Sous
le porche, par temps malsain,
Sur
la porte affichèrent
Leur
tarif : six liards, un patard, dix florins.
Cent,
deux cents, trois cents, quatre cents ans
D’indulgences
suivant le tarif exactement
Pour
les plénières, pour les crimes énormes
On
ignorait les règles, on oubliait les normes.
Pour
vingt florins et quelques cierges
On
pouvait désirer enfiler la Vierge.
Dieu
vous écoute pour un peu d’argent
Demandez
ce que vous voulez, Dieu vous entend.
C’est
la sainte boutique, ayez confiance !
Indulgences,
indulgences, achetez des indulgences !
Il
y en a pour les pauvres,
Il
y en a pour les riches.
En
vérité, je vous le dis,
Dieu
ne fait pas crédit.
Certes,
mais pour le prix,
Vous
avez droit au Paradis.
Claes
mis en confiance
Acheta
pour dix mille ans
De
belles et bonnes indulgences
Et
il paya tout sur le champ.
Il
lui en coûta un florin.
En
échange du paradis romain,
Claes
reçut en mains
Un
morceau de parchemin.