samedi 28 novembre 2015

Indulgence

Indulgence


Chanson française – Indulgence – Marco Valdo M.I. – 2015

Ulenspiegel le Gueux – 13

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LIV)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.


C’est la sainte boutique, ayez confiance !
Indulgences, indulgences, achetez des indulgences !



Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la treizième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les onze premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière [[50627]] (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe [[50640]](Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique [[50656]](Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame [[50666]](Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! [[50687]](Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till [[50704]](Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till [[50772]](Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée [[50801]](Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne [[50826]](Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée [[50862]](Ulenspiegel – I, LI)
11. Tuez les hérétiques, leurs femmes et leurs enfants ! [[50880]](Ulenspiegel – I, LII)

Voici donc, Lucien l’âne mon ami, la treizième chanson qui conte l’histoire de Till le Gueux et tu me croiras, sit u le veux ou si tu le peux, elle suit la douzième.



Mais enfin, Marco Valdo M.I. mon ami, j’ai comme l’impression que tu te moques de moi. Il est tout à fait prévisible que la treizième suive la douzième. Tu enfonces des portes béantes.


Je ne me moque pas du tout et surtout pas de toi. Je voulais juste attirer l’attention sur le fait qu’il y avait déjà dans la douzième une allusion au thème central de celle-ci. Et elle n’est pas sans importance pour notre histoire ou pour notre manière – et celle de Charles De Coster – de raconter. J'ai juste voulu montrer comment procède le récit et aussi que le récit annonce le récit à venir. En somme, que dans cette histoire, tout se tient et tout est minutieusement construit.


Mais de quelle allusion parles-tu, Marco Valdo M.I. ?


Cette allusion se trouve tout à la fin de la canzone La messe du Pape, le pardon de Till et les florins de l’Hôtesse [[50939]], au moment où Till, le pèlerin pèlerinant, est béni par Jules III, pape de son état, lequel lui réclame, séance tenante, le prix de son pardon. Voilà quand et comment le fils a bénéficié d’un pardon tarifé. Dans cette treizième canzone, celle qui nous occupe présentement, c’est au tour du père de devoir casquer pour acheter du pardon et pas un peu, comme tu vas le voir. Ces pardons négociables s’appellent des indulgences et tu en seras peut-être étonné, cela se pratique encore de nos jours et à une échelle que tu ne peux sans doute pas imaginer. Bien entendu, sous le couvert de l’autorité de l’Église et uniquement dans la religion catholique romaine.


Aujourd’hui ? En ce siècle ? À nouveau, Marco Valdo M.I., j’ai la nette impression que tu te moques.


Je te le répète, je ne me moque pas. Sur ce point précis, je te renvoie – afin d’éclairer ta lanterne et d’étayer mon propos – je te renvoie au fait qu’il existe bel et bien un « Manuel des Indulgences », dont la dernière édition est assez récente ; elle date de 1999. Et il s’agit là d’une publication vaticane, que tu peux trouver à l’adresse suivante : http://www.vatican.va/roman_curia/tribunals/apost_penit/documents/rc_trib_appen_doc_20020826_enchiridion-indulgentiarum_lt.html.
C’est évidemment en latin, la langue officielle de cette Église. Ensuite, si on ne vend plus à proprement parler directement des indulgences, on peut à présent les obtenir de mille manières et notamment, en achetant certains objets en certains lieux, désignés par les papes, afin semble-t-il de susciter la fréquentation des fidèles ou d'encourager ce toursime religieux qu'est le pèlerinage.


Je t’avoue ma stupéfaction, mais aussi, du coup, le grand intérêt que je porte à ce que raconte la canzone, dont tu ne m’as pas encore parlé.


J’y viens, j’y arrive. La canzone raconte la venue de moines qui, de village en village, d’église en église, s’en vont vendre des indulgences aux populations crédules ou madrées, on ne sait trop. Il s’agit aussi dans un régime théocratique de faire bonne figure.


Les Iraniennes, les Saoudiennes… par exemple, dit Lucien l’âne, en savent quelque chose.


En effet. Alors, pour comprendre cette histoire d’indulgences, suis bien le raisonnement. Ces indulgences ne peuvent exister que si et seulement s’il y a des fautes à pardonner et s’il y a un intérêt quelconque à se faire pardonner de telles fautes ou si l’on veut échapper à une punition et pour cela, il faut qu’il y ait punition et que quelqu’un punisse et que la punition soit effrayante. Il faut aussi qu’il existe un bénéfice à tirer de telles pratiques. Pour faire court : on aura au chapitre punition : l’Enfer et au chapitre bénéfice : le Paradis. Entre les deux, comme il ne faut pas décourager le populo, on a situé un purgatoire, littéralement : un endroit où l'on se purge, dont je n’ose imaginer l’odeur qui y règne. Je résume : on peut s’assurer le paradis en achetant des indulgences – et dans le même mouvement, échapper à l’enfer et au purgatoire.


À propos, Marco Valdo M.I. mon ami, il me semble que les moines de la chanson parlent comme des marchands de poisson à la criée ou sur la place du marché du village.


Mais ce sont des marchands de poisson et même si tu réfléchis, de poisson pas frais – depuis le millénaire et demi (à l’époque de Till le Gueux, vers 1550) qu’il traîne dans tous les villages de par chez nous. Moi, dans tous les cas, je n’en mangerai pas. Et puis, c’est loufoque cette affaire d’indulgences, c’est loufoque et c’est un attrape-nigaud, une pure escroquerie. Enfin, ça dépend de quel côté de l’indulgence, on se trouve. C’est une escroquerie au détriment de l’acheteur, du bon croyant à qui on vend du vent. On met des gens en prison pour des embrouilles bien moindres que ça.


En effet, mais l’indulgence, ça fonctionne et ça rapporte gros. Dans la chanson, Claes (le père de Till) va acheter des indulgences pour dix mille ans. Était-il dupe ? Ou était-ce pour se faire bien voir ? Ou tout simplement parce que ça se faisait et que celui qui ne fait pas comme il faut est souvent considéré comme suspect et qu'en ces temps d’Inquisition, doublée d’une occupation étrangère, il faut être des plus prudent, il vaut mieux ne pas attirer l’attention ; une délation est si vite arrivée.


Je ne peux que te donner raison. Et s’agissant de Claes, j’ajoute – surtout quand on est déjà tenu à l’œil par les autorités : Till et Katheline ont déjà été condamnés. Sans doute verra-t-on d’autres développements plus tard et en attendant la suite, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde plein d’indulgences, d’escroqueries, vantard, menteur, hypocrite et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Indulgences, qui veut des indulgences ?
Deux frères en robe de bures
Et par-dessus venue d’Estramadure
Une belle chemise de dentelles.

À l’entrée de l’église, par temps clair,
Sous le porche, par temps malsain,
Sur la porte affichèrent
Leur tarif : six liards, un patard, dix florins.

Cent, deux cents, trois cents, quatre cents ans
D’indulgences suivant le tarif exactement
Pour les plénières, pour les crimes énormes
On ignorait les règles, on oubliait les normes.

Pour vingt florins et quelques cierges
On pouvait désirer enfiler la Vierge.
Dieu vous écoute pour un peu d’argent
Demandez ce que vous voulez, Dieu vous entend.

C’est la sainte boutique, ayez confiance !
Indulgences, indulgences, achetez des indulgences !
Il y en a pour les pauvres,
Il y en a pour les riches.

En vérité, je vous le dis,
Dieu ne fait pas crédit.
Certes, mais pour le prix,
Vous avez droit au Paradis.

Claes mis en confiance
Acheta pour dix mille ans
De belles et bonnes indulgences
Et il paya tout sur le champ.

Il lui en coûta un florin.
En échange du paradis romain,
Claes reçut en mains
Un morceau de parchemin.