mardi 24 avril 2018

LE COÛT SOCIAL


LE COÛT SOCIAL

L’ANONYME TOSCAN DU XXIe SIÈCLE ET LE PETIT ORCHESTRE DU COÛT SOCIAL

Version française – LE COÛT SOCIAL – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson italienne – Costo sociale – AT(hée) du XXI siècle – aprile 2018
Texte et musique : Anonimo Toscano del XXI Secolo
Sur une idée de Riccardo Venturi
Coro del Coordinamento Anarchico e Libertario di Firenze
(Chœur de la coordination anarchiste et libertaire de Florence)




Dans ce cas, je fais un peu l’intermédiaire ; mon vieil ami Riccardo Venturi, hospitalisé en soins intensifs pour l’énième petit infar il y a quelques jours (vous aurez peut-être remarqué son absence du site), m’a prié de développer l’idée de chanson qu’il avait eue durant les longues heures nocturnes, en tenant compte que dans une UTIC (Unità di Terapia Intensiva Cardiologica), on ne peut faire grand-chose, étant nus et cloués au lit dans une chose qui ressemble assez au 41 bis (carcer duro, régime carcéral de haute sécurité). J’ai exécuté volontiers le travail, en suivant les suggestions précises de RV, même si le susdit est maintenant déjà bien et que dans son petit chez soi, il fait des traductions du suédois, se fait des injections d’insuline, car sa glycémie est montée à des valeurs monstrueuses suite à l’événement traumatique et il sifflote gaiement ; et qui le tue, cela… dit par le soussigné lequel, comme vous saurez tous, est immortel. Ainsi, en somme, est née cette chose que j’ai confiée à un « orchestrina » nouveau-né, formé – très exactement – par moi-même personnellement en personne et par d’autres étranges figures qui, d’autre part, se sont pressées les jours passés dans le département où Venturi était hospitalisé pour la post-opération (un rayon qui s’appelle « Medicina di ElezioneMédecine d’Élection », à raison de quoi RV a immédiatement crié : « Ne pas déléguer, ne pas voter ! »). J’inviterais même Venturi à en faire partie, s’il n’a pas perdu la voix, et naturellement même le DQ82 qui est médecin. Comme disait mon ancêtre Anonyme Toscan du XIV Siècle, « un barbier-chirurgien fait toujours bon usage. » [At(hée)-XXI]

Dialogue maïeutique


Lucien l’âne mon ami, notre ami Ventu est revenu, le bon RV, alias mille autres noms, a fait récemment un xième petit infar (infartino), c’est-à-dire un infarctus du myocarde, événement fréquent chez les humains, du moins dans la partie la plus urbanisée et la plus riche de notre monde contemporain. Car, globalement, vois-tu mon ami l’âne, dans les pays les plus riches, même les pauvres ont les maladies des riches.


Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, je sais ça. C’est un des effets pervers de la Guerre de Cent Mille Ans, non pas que les riches filent perversement leur chtouille aux pauvres, mais parce que le mode de vie général est pour une grande part calqué sur celui des riches, même si c’est de façon caricaturale, même si en définitive, il s’agit d’un ersatz : technologie, équipement, alimentation – sucre, tabac, alcool à profusion ; le tout lié à une sédentarisation et aux faux sports et aux fitnesses (mes fesses !) n’y changent rien. La maladie, les maladies sont des faits de civilisation ; elles sont fortement liées au mode de vie.


Peut-être, Lucien l’âne mon ami, mais ça ne nous console pas des ennuis de santé de notre ami. Je dirais même – en pensant à d’autres – de nos amis. Depuis des années, l’ « infar » est à la mode, en quelque sorte. « Le cœur, vous dis-je, le cœur », dit-on maintenant où Molière voyait le foie et même le poumon.


Oh, dit Lucien l’âne, à cela, je ne résiste pas. Pour Ventu et lui seul, je m’en vais faire la tirade du poumon de Monsieur Molière.


Halte-là, Lucien l’âne mon ami, subodorerais-tu que notre ami Ventu serait un malade imaginaire ?


Certes non, Marco Valdo M.I. mon ami, mais je lui ferai quand même sa tirade :
« Ce sont tous des ignorants, c'est du poumon que vous êtes malade.
– Du poumon?
– Oui. Que sentez-vous?
– Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
– Justement, le poumon.
– Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux. .
– Le poumon.
– J'ai quelquefois des maux de cœur.
– Le poumon.
– Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
– Le poumon.
– Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'était des coliques.
– Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez?
– Oui, Monsieur.
– Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin?
– Oui, Monsieur.
– Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir?
– Oui, Monsieur.
– Le poumon, le poumon, vous dis-je. »

(Molière, Le Malade imaginaire, III, 10)

Le poumon, certes, Lucien l’âne mon ami. Le poumon, quoique le foie et le pancréas et l’insuline, dont dépend, semble-t-il, RV, ont partie liée.
Dans sa chanson, l’Athée du XXI met l’accent sur le « coût social » de la santé et des traitements qu’on lui applique et – à raison – il se réjouit de pouvoir être soigné sans devoir (trop) débourser ou sans rien débourser du tout, c’est selon. C’est l’argument de fond de la chanson. Je disais qu’il a raison de se réjouir, car, dans de nombreux pays – et non des moindres – ce genre de traitement est littéralement hors de prix et accessible aux seuls (suffisamment) riches. Là-bas, la situation est claire et simple : les pauvres ne se soignent pas. Je n’ignore pas qu’il y en a aussi ici, mais actuellement encore, c’est un phénomène encore assez limité.

Cela dit, Marco Valdo M.I. mon ami, on n’est pas là pour faire une conférence sur le système de santé dans le monde. Parle-moi un peu de la chanson.

C’est une excellente idée, rétorque Marco Valdo M.I., de mettre ainsi le holà à ma logorrhée et de me ramener à la chanson de Ventu, dont il y aurait un milliard de choses à dire, dont je te ferai grâce. Cependant, elle me plaît beaucoup en ce qu’elle raconte le séjour de Ventu en UTIC, mais vu par lui-même avec pas mal d’autodérision, ce qui est un excellent remède à l’autolamentation. Je m’empresse et je profite de la circonstance pour lui adresser nos plus vives félicitations ; elles sont d’autant plus joyeuses que la chanson est bien rassurante quand elle annonce et conclut :

« Quand vous lirez ça, je serai à table déjà
Avec ma belle assiette de bresàola,
L’huile, le limoncino et le pain complet
Et je vous envoie à tous ce secret
Que je me prépare à ma vie normale,
Mais d’une normalité un peu spéciale,
À ma vie pour tout dire hors norme »

Restons-en là, Marco Valdo M.I. mon ami et comme RV et l’Athée du XXI (Stanislas André Steeman l’avait bien dit : L’Assassin habite au XXI, roman inspiré de Drôle de Drame (et de ses mimosas) de Jacques Prévert), notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde malade, égrotant, cardiaque, hépatique, essoufflé, sucré, diabétique et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Étendu nu seul dans la nuit
Enserré de tubes roses ou gris,
De toux, de râles, tout est normal,
Je respire une puanteur d’animal ;
Un nouveau stent a été posé
Et on a débouché les anciens ;
Ma vie se dissout et s’en va sans rien,
Comme le Canard WC.

Bourré d’insuline, s’écoule de mon corps
Un peu de liquide naturel et de sanie,
Remis au metoprolole encore,
Remis à la diète et puistabli ;
Et tout ça,
Aux frais de l’État.

Si dans autre État, j’avais été soigné
Comme aux Étazunis, si beaux, si grands,
Si modernes, si fiers, si importants,
J’aurais dû payer les infirmiers ;
J’aurais payé les tubes et les haricots verts,
Les perfs, les cachets et jusqu’aux aiguilles,
Le séjour, l’eau, la bouffe et la thérapie,
Sans compter combien coûte cher
Une heure de coronarographie.

Étendu nu seul dans la nuit,
Entre rébus et mots croisés,
Je révise mon hébreu tout éveillé,
« Prise de sang ! », hurle une fille,
« Tension ! »,
J’ai une faim de loup, un appétit de lion.

J’ai une faim de loup, la dent d’animal,
J’ai une faim de coût social ;
Coûter un peu, mais il me paraît
Que je coûte moins qu’une Panda,
Et beaucoup moins qu’un soldat,
Et moins encore qu’une mission de Paix.

Avec ma vie de débauché,
Mes demi-litres, mes vodkas et mes fumées,
Mes nuits blanches et mes colères,
J’ai retrouvé mes cathéters,
Mes cocktails de pilules et d’insuline,
Le haricot, les carottes molles,
Le yaourt maigre sans vitamine,
Le Plavix et
mon metoprolole.

Cependant on s’en fout ; il n’y a pas de mal,
Parfois, à se faire une injection de médicament ;
Et, comme dit un certain Génois, pas banal,
Va-z-y toi lui dire que c’est le printemps.

Je vous écris et quand vous lirez ceci,
Je serai déjà chez moi dans mon charivari,
Là, avec mon vélo et mes tartines,
Mes anars, mes livres, mon chat et mon canari,
Mes chansons contre la guerre et mon insuline.

On m’a dit : « Du mouvement ! Il faut bouger !
Et ne nous cassez pas les pieds ;
En somme, Monsieur Venturi, vous nous coûtez
Plus que des vacances de luxe en été. »

Et je rétorque, les statistiques à la main,
Que je coûte moins,
Qu’une avalanche dans la vallée ;
Quelle putain de maléfique chiée
Que cette santé privatisée.

Quand vous lirez ça, je serai à table déjà
Avec ma belle assiette de bresàola,
L’huile, le limoncino et le pain complet
Et je vous envoie à tous ce secret
Que je me prépare à ma vie normale,
Mais d’une normalité un peu spéciale,
À ma vie pour tout dire hors norme,
Et vous salue d’un beau coût social.

[Ghghghghghghg !!!]