NOUS
SOMMES LES RATS
Version française – NOUS SOMMES LES RATS – Marco Valdo M.I. – 2017
Il
n’y a pas à dire, dit Lucien l’âne, il y a quand même des
chansons qui ont des titres bizarres. Qu’est-ce que c’est que ce
titre incroyable : « Nous sommes des rats », alors
que ce sont manifestement des humains qui chantent ? Je n’ai
rien contre les rats, ni même contre les humains, mais il ne faut
pas tout mélanger. C’est comme si je disais moi qui suis un âne,
que je suis un humain. Enfin, dans mon cas, c’est relativement
vrai. Je suppose donc qu’il s’agit de « rats »
humains, d’une utilisation symbolique du nom de « rat ».
Précisément,
répond Marco Valdo M.I. en souriant, il s’agit de rats
symboliques, d’humains qui se désignent eux-mêmes comme des rats.
Enfin, pas exactement. Ils ne se désignent eux-mêmes comme des rats
que par référence au fait que d’autres humains les considèrent
comme tels, d’une part ; mais aussi, d’autre part, car ils
vivent dans des conditions réelles assez misérables qu’ils
peuvent assimiler à celles dans lesquelles sont tenus les rats. Et
qui sont-ils ? Ceux qui chantent, évidemment, mais aussi, ceux
parmi lesquels ils vivent dans ce quartier paupérisé du Kreuzberg
berlinois et ceux qui vivent dans tous les autres
quartiers et régions du monde du même genre. Comme
les rats, ils vivent dans les coins pourris en marge de l’humanité
triomphante (relativement) et à Berlin ces coins pourris, ce sont
les squats où ces rats symboliques, de rats
métaphoriques, de rats de parabole se regroupent, vivent en
bandes et font de la musique.
Oh,
dit Lucien l’âne en secouant vivement la tête, je vois très bien
de quoi il s’agit et j’ai l’idée qu’il doit y avoir dans le
monde bien des endroits semblables et spécialement dans les grandes
concentrations urbaines, formées par ces gens chassés des zones de
faim, de démographie élevée, attirés par l’espoir d’une
situation meilleure, d’une vie moins éprouvante, moins figée dans
le malheur et la détresse ou alors, les artistes qui les rejoignent,
car ils ne peuvent vivre de leur art du fait qu’il ne s’agit pas
d’une marchandise, du fait que l’art ne peut faire l’objet de
commerce ou de spéculation sans perdre sa nature, sans se perdre
lui-même.
Il
y a dans ces grandes concentrations, dans ces amas d’êtres
humains, des coins où finissent les rejetés, les sans moyens, les
pauvres, les réprouvés en tous genres pour lesquels les gens de la
ville, les gens installés dans leur confort et leurs lieux aux
décors sophistiqués n’ont que mépris. Les installés, les
fortunés considèrent ces zones comme ils regardent les terrains
vagues où s’entassent les déchets et où souvent, on voit courir
les rats.
Ainsi,
reprend Marco Valdo M.I., dans cette Allemagne replète au ventre et
aux joues rebondies, qui s’intoxique de ses propres graisses, qui
s’enfonce dans son confort comme les armées dans le marécage au
dégel, ce groupe de jeunes venus de Bavière au quartier berlinois
du Kreuzberg, à l’époque quartier des squats se revendique comme
une jeunesse [avant la prochaine] guerre – en allemand :
Vorkriegsjugend, qui est le nom du groupe musical, un groupe
punk-hard-rock, que sais-je du genre, un groupe de résistance à
cette société allemande, qui a donné comme titre d’une de ses
publications : Widerstand dem Teutonenland : Résistance
(au sein) du pays des Teutons. Comme on peut le voir dans le texte,
la canzone est un véritable réquisitoire dans lequel toute une
jeunesse va se reconnaître.
J’ai
bien entendu ça, dit Lucien l’âne, mais la vraie question qui me
vient à l’esprit par rapport à cette opposition entre la jeunesse
– c’est-à-dire les survenants dans une société installée dans
son confort, et les rassis, assez repus de
leur richesse, fût-elle relative et à crédit,
est de savoir pourquoi ce mouvement se répète et pourquoi la
société ne tente jamais d’y mettre fin
par de vraies solutions. De cette manière,
elle finit par chasser ses propres enfants
comme ce fut le cas à Hamelin, quand ces derniers suivirent le
« Rattenfänger », le charmeur de rats.
Comme
toi et bien d’autres, Lucien l’âne mon ami, je me pose cette
question. Je constate que lorsque les jeunes se révoltent – dans
leur cas souvent momentanément avant de se ranger, et retrouvent
ainsi (tout aussi momentanément) ce que j’ai appelé l’esprit de
68, qui n’est pas un caractère spécifiquement « jeune »,
mais plutôt un rejet de certaines normes et coutumes, une rébellion
contre l’insupportable – la société a une forte tendance à
vouloir les remettre au pas, les encaserner, et au besoin, les
écraser, les éradiquer.
Et
comme tu l’as bien vu, cela se passe à divers endroits. En fait
partout, mais de manière concentrée et donc, plus remarquable, plus
marquante et plus puissante dans les grandes concentrations. Mais
si on veut y comprendre quelque chose, il faudrait reprendre la
réflexion en prenant comme fondement cette Guerre
de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches et les puissants font
aux pauvres (les pauvres étant ceux qui n’ont pas accès à la
richesse, qui ne s’accoutument pas de la richesse ou qui ne peuvent
s’y accoutumer) afin de conforter leur pouvoir, d’assurer leur
domination, d’étendre leurs richesses, de renforcer
l’exploitation, une guerre qui traverse toutes les périodes (pré-)
historiques et qui comme une marée sans cesse recommencée vient
frapper les mêmes rochers. On avait connu Spartacus à Rome ;
on l’a connu à Berlin.
Arrêtons
là notre dialogue et reprenons notre tâche ; tissons, tissons
le linceul de ce vieux monde gangrené par la richesse, méprisant,
méprisable, méprisé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Vous
voulez nous détruire
Avec votre merde quotidienne
Vous voulez nous empoisonner
Et à tout prix comme ça,
Vous voulez nous prendre la vie ;
Vous ne savez même pas pourquoi.
Vous voulez nous vendre vos saloperies
Avec votre merde quotidienne
Vous voulez nous empoisonner
Et à tout prix comme ça,
Vous voulez nous prendre la vie ;
Vous ne savez même pas pourquoi.
Vous voulez nous vendre vos saloperies
Nous
sommes les rats
Et nous vivons dans la merde
Nous sommes les rats
Et nous vivons dans la saleté
Et nous vivons dans la merde
Nous sommes les rats
Et nous vivons dans la saleté
Nous
devons vous obéir
Vous, mon bon monsieur
Vous voulez nous opprimer
Et détruire notre monde
Vous voulez nous encaserner
Et nous faire surveiller
Vous voulez nous rééduquer
Et faire de nous de bons citoyens
Vous, mon bon monsieur
Vous voulez nous opprimer
Et détruire notre monde
Vous voulez nous encaserner
Et nous faire surveiller
Vous voulez nous rééduquer
Et faire de nous de bons citoyens