Les
Prisonniers des Gueux
Chanson
française – Les
Prisonniers
des
Gueux –
Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 116
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – IV, XVII)
Ulenspiegel le Gueux – 116
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – IV, XVII)
HUGO DE GROOT à 16 ans |
Dialogue
Maïeutique
Après
l’expédition nocturne, Dirk Slosse, les gens de la ferme et tout
le butin sont ramenés à bord de la Brielle. On en était là,
rappelle Marco Valdo M.I., quand commence la chanson.
Je
ne souviens fort bien de toute cette cavalcade,
dit Lucien l’âne. Et je suis très
curieux de connaître la suite.
Et
tu as bien raison, Lucien l’âne mon ami, car elle est peu
ordinaire. Ayant appris la chose, le nouvel amiral Worst, que le
Taiseux avait désigné à la place de Guillaume de la Marck, dit
Lumay, considéré comme trop autoritaire et trop sanguinaire
et dont le navire est lui aussi bloqué sur les glaces de l’IJ,
arrive dès le matin à bord de la Brielle. Il s’agit de remettre
les pendules à l’heure : de condamner dans le principe cette
insubordination notoire qu’est le raid à la ferme et dans le même
temps, passer l’éponge sur sa propre condamnation de cet
événement. En un seul mouvement, il couvre ainsi les décisions de
Till et de Lamme et en plus, il récompense les Gueux de la Brielle
pour leur acte de guérilla en leur annonçant qu’ils bénéficieront
du tiers du butin – le reste étant réparti entre la flotte et les
dépenses générales des Gueux.
Évidemment,
Marco Valdo M.I. mon ami, il aurait été de mauvaise grâce à les
condamner, car leur action nocturne assurait le ravitaillement
de toute la flotte pour un bout de temps.
Par
ailleurs, continue Marco Valdo M.I., il préside aux débuts des
réjouissances qui durent plusieurs jours ; la flotte attendant
que la glace fonde pour retrouver sa capacité de mouvement. Pour
une fête, c’est
une fête e toute à la gloire du maître-queux.
Elles
me plaisent bien, moi, les chansons de fête, dit Lucien l’âne.
J’ai un peu l’impression d’y participer.
Avant
de te laisser conclure, Lucien l’âne mon ami, il me faut attirer
ton attention sur
une manière de faire inhabituelle dans les guerres où on a plutôt
l’usage d’éliminer l’adversaire ou de le réduire à l’état
de prisonnier. J’insiste sur ce fait, car pour les Gueux, c’est
l’application de leur devise de liberté qu’ils considèrent,
bien avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de
1948, comme un droit humain. Au
passage, je rappelle que Hugo de Groot de Delft, alias Grotius, qui
écrit « Au
nombre de ces faits particuliers à l’homme,
se trouve le besoin de se réunir, c’est-à-dire
de vivre avec les êtres de son espèce, non pas dans une communauté
banale, mais dans un état de société paisible, organisée suivant
les données de son intelligence »,
est un descendant direct de ces Gueux et par ailleurs, va
théoriser leurs principes et de ce fait, devenir un des fondateurs
du « droit de la guerre et la paix ». Dès lors, ils
proposent à leurs prisonniers – aux femmes comme aux hommes – un
choix de libre décision : rester avec les Gueux et s’engager
dans le combat pour la liberté ou choisir de s’en aller, mais sous
double condition d’une rançon et de ne plus servir l’occupant
espagnol. En
outre, spécifiquement pour les femmes, il est offert de se choisir
librement un avenir.
Ce
sont en effet, dit Lucien l’âne, choses peu ordinaires. Je n’ai
jamais rencontré dans mes expéditions, bien entendu avant les
Gueux, pareille proposition. Je pense même que dans certains pays
contemporains, ce serait encore une nouveauté révolutionnaire.
Cependant, pourquoi exiger une rançon de la part de ces gens qui
n’étaient que des servants ?
D’abord,
Lucien l’âne mon ami, il faut supposer qu’une telle rançon
serait dans leur cas assez symbolique, à la mesure de leurs moyens,
mais c’est un principe : c’est leur façon
de contribuer à l’effort commun de libération, à
la lutte d’émancipation.
Ensuite, il faut se replacer dans le contexte
pour comprendre cette nécessité des Gueux de se procurer, au besoin
par la force, les moyens de mener à bon terme cette guerre de
liberté. Cette guerre, il faut le rappeler, est l’œuvre de gens
qui au départ, étaient pacifiques, loyalistes et même,
bienveillants à l’égard des structures en place. Sans l’avidité,
l’arrogance, la rapacité, la brutalité des Espagnols, sans
l’intransigeance et le fanatisme catholique, impulsé et dirigé
par l’Inquisition, jamais, ces gens des Pays n’auraient pensé à
se rebeller ; jamais, ils ne se seraient jetés à corps perdu
dans la quotidienneté de cette guerre. De plus, il faut comprendre à
quelle désespérance, ils avaient été poussés pour oser
faire la guerre contre le plus riche et le plus puissant empire du
monde. Il faut se souvenir que les Gueux des bois étaient des
miséreux réfugiés dans les lieux les moins hospitaliers – comme
le feront toujours partout les résistants du monde entier ; il
faut se rappeler que les Gueux des mers étaient au début quelques
dizaines de pêcheurs et de paysans sur de minuscules bateaux face
aux « invincibles » armadas espagnoles et de plus, ils ne
disposaient en propre d’aucun port où se réfugier. Ainsi, les
pillages des biens ennemis étaient la reprise de ce qui avait été
extorqué aux Pays.
Après
ça, dit Lucien l’âne, tissons, nous aussi, le linceul de ce vieux
monde rétrograde, disciplinaire, nationaliste, borné et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Sur
la Brielle, arrive au matin.
Solennel,
l’amiral. Il dit :
« Pour
vous, il y a un tiers du butin.
Je
vais régler le destin des prisonniers.
Qu’on
pende Dirk Slosse par le cou au grand mât
Et
haut pour qu’au loin, on le voie.
Et
dans la glace, faites un trou et aussitôt
Jetez
son corps sous l’eau. »
Puis,
l’amiral demande faussement étonné :
« J’entends
des poules glousser,
Des
brebis bêler, des truies grogner,
Des
veaux mugir, des vaches meugler. »
Lamme
répond : « Ces moutons, ces porcs, ces bœufs,
Sont
prisonniers de gueule des Gueux.
Les
canes, les oies, les poules seront épargnées
Contre
les œufs, rançon de fricassées. »
Till
complète : « Hommes et garçons de ferme,
Vous
ne pouvez rester prisonniers.
Il
faut choisir : ou vous engager
Dans
l’équipage pour un terme ;
Contre
une rançon et votre parole
De
ne jamais plus servir l’Espagnol,
Vous
pouvez choisir de payer
Et
bientôt, libres, vous en aller
Et
vous, mignonnes commères,
Vous
aussi avez choix de liberté :
Garder,
ici ou là, votre homme à vos côtés
Ou
parmi nous, choisir un compère. »
Ce
jour-là et les suivants,
Il
y a grande fête sous les haubans,
Sur
le pont, dans la cuisine :
Sans
souci, chez Lamme, on dîne.
Assise
sur une vergue, au froid de la bise,
Nelle
boit en un grand hanap d’or,
Nelle
essoufflée de souffler, souffle encore
Et
contre le vent, fait glapir le fifre.
Avec
le vin, l’équipage tangue un peu :
« Chez
Lamme, c’est musique de cuisine ;
Tous
ensemble, chez Lamme, on dîne.
Vive
le Maître Queux ! Vive les Gueux ! »