ARGENTINE
Version
française – ARGENTINE – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson
italienne – Argentina
– Francesco Guccini – 1983
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L'Argentine, l'Argentine, quelle tension ! Cette Croix du Sud dans le ciel limpide,
L'inversion ambiguë d’Orion et l'horizon à l'air dépravé. |
Voici,
Lucien l'âne mon ami, une chanson de Francesco Guccini qui raconte
l'Argentine. Enfin, une certaine Argentine ou une chanson qui raconte
une histoire où il est question de l'Argentine. En soi, le récit
d'une émigration exotique, d'un voyage au bout du monde donnerait
déjà à la chanson toute son importance et sa place ici-même.
En
effet, il y a une longue, forte et nombreuse tradition d’émigration
italienne vers l'Argentine. J'ai entendu dire qu'on estime
actuellement qu'environ la moitié de la population argentine aurait
une ascendance italienne.
En
écoutant la chanson, on ressent cette prégnance, cette liaison
transhistorique et transgéographique. Mais si je t'ai dit cela,
c'est pour parler d'autre chose à propos de l'Argentine et ce que je
voudrais souligner tient au moment où Francesco Guccini crée cette
chanson. C'était en 1983 et cela n'est pas sans signification.
Et
alors ?, dit Lucien l'âne. J'imagine que cette année-là a une
certaine importance.
Je me souviens qu'à la suite d'une stupide guerre à propos d'îles
perdues dans l'océan – très exactement Les Malouines, que
tu évoquas dans une chanson
[[42641]], la dictature militaire en place depuis des années en
Argentine s'est effondrée. Est-ce bien de cela que tu voulais
parler ?
Exactement.
Une dictature instaurée quelques années auparavant par un putsch
militaire imbibé de l'idéologie « national-catholique »,
qui entendait sauver la civilisation chrétienne. Quelque chose qui
ressemble ce qu'on a connu aussi ici en Europe. Sur le continent
européen, ces dérives étaient le franquisme en Espagne, le
salazarisme au Portugal, le fascisme en Italie, le nazisme en
Allemagne, l'hortisme en Hongrie… Mais, c'est de l'histoire
ancienne, pensent certains ; on ne saurait le nier ;
cependant, il y a actuellement ici et maintenant une recrudescence de
cette idéologie national-quelque chose et aussi, d'une résurgence
des « racines chrétiennes » qui ne sent décidément pas
bon.
J'ai
entendu dire cela aussi et il suffit de lire la presse pour se rendre
compte que ce n'est pas faux. Il y a dans l'air comme un recul de
civilisation, une montée de conservatisme et de réaction religieuse
qui ne présage rien de bon. Mais ce n'est pas le sujet, je pense, de
cette chanson. Revenons à l'Argentine et à cette période autour de
1980.
J'y
viens. J'y viens. L'Argentine n'était pas la seule dictature de
l'époque en Amérique du Sud ; elle la dernière en date des
dictatures du « Cône Sud », mises en place et soutenues
par les États-Unis, à savoir : Chili, Bolivie, Uruguay,
Brésil. En ce temps-là, il y avait là-bas comme une stratégie
internationale tendant à empêcher une trop grande distanciation des
États du Sud par rapport à la domination politique et économique
du Nord. J'arrête là ces considérations géopolitiques et
s'agissant de l'Argentine, j'en reviens aux 30.000 morts et disparus
et aux millions d'exilés qu'avait faits ce « Proceso de
Reorganización Nacional » (Processus de Réorganisation
Nationale), nom officiel que se donnait ce régime, celui-là-même
où naquit le Mouvement des Mères de la Place
de Mai [[1097]].
Ainsi
la chanson, quand
elle n'est pas pure vacuité, se construit sur un fond de réalité,
un arrière-plan historique, ce que tu avais déjà noté en
présentant sur fond des accords de Munich, l'incroyable « Tout
va très bien, Madame la Marquise » [[43266]].
Un
dernier commentaire, si tu veux bien, Lucien l'âne mon ami. J'y
tiens, car je crains qu'on ne sous-estime certain danger argentin. Je
m'explique. Au moment où Francesco Guccini inventa cette chanson, il
ne pouvait évidemment savoir que ce pays lointain où fleurissait le
« national-catholicisme » porterait aux commandes de
l'Église catholique un chef (un
autre Francesco),
lui-même tout imprégné de cette idéologie aux
racines profondément enfoncées dans le terreau catholique des
siècles coloniaux de la Grande Espagne, fille de la Reconquista, de
l'Empire, de l'Inquisition et de la Compagnie de Jésus.
Raison
de plus pour que nous reprenions rapidement notre tâche et que nous
tissions le linceul de ce vieux monde malade du déisme, trop
religieux, croyant, crédule et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Le
train, ah, un train est toujours si banal
Quand
ce n'est pas un train de la prairie
Ou
un Orient Express spécial,
Locomotive
de fantaisie.
L'avion,
ah, l'avion est par contre aluminium de lumière,
L'avion,
c'est véritablement un saut par-dessus le grand fossé,
L'avion,
c'est toujours, le Baron Rouge, The Spirit of Saint Louis.
Alors
vient l'envie de voler qui fait crier dans un jour épuisé,
Dès
qu'on voit un gros porteur décoller et s’élever à l'infini.
Et
alors, pourquoi ne pas aller en Argentine ?
Lâcher
tout et aller en Argentine,
Pour
voir comment est faite l'Argentine…
Le
taxi, ah, le chauffeur de taxi
Pas
un instant ne perdit
Pour
nous dire qu'il était un pur Italien,
Gaucho
de Sondrio ou de Varese, caricature d'émigrant, enlisé au loin.
Ensuite,
ces rues d'autos et ces personnes des années 50 déjà vues,
Plongée
dans une vie retrouvée, vraie et vécue,
C'est
comme entrer au hasard sous un portail de fraîcheur, escalier et
odeurs habituels,
Poser
la veste, prendre le petit déjeuner et se retrouver parmi les jours
et des visages pareils.
Car moi, j'ai déjà vécu en
Argentine,
Qui sait comment je m'appelais en Argentine
Et
quelle vie j'avais en Argentine ?
Puis
un jour, dessinant un labyrinthe de pas sur ces pavés étrangers
On
s'aperçoit avec la force de l'instinct que ce ne sont pas les siens
et qu'on ne leur appartient pas,
Tout par contre démontre ce
peu qui nous est donné à vivre.
L'Argentine est seulement
l'expression d'une équation sans résultat,
Comme les lieux où
on ne vivra pas, comme les gens qu'on ne rencontrera pas,
Tous ces
gens qui ne nous aimeront pas, ce que nous ne faisons pas et nous ne
ferons pas,
Même si on prend toujours des choses, même si on
laisse quelque chose en route,
On ne sait si elle est graine qui
donne des fleurs ou poussière qui vole d'un souffle.
L'Argentine,
l'Argentine, quelle tension ! Cette Croix du Sud dans le ciel
limpide,
L'inversion ambiguë d’Orion et l'horizon à l'air
dépravé.
Mais quand pénètre cette nostalgie qu'on prend
parfois pour l'improbable
C'est la nuit, ah, la nuit, et tout est
parti, éloigné.
Ce qui attend est une aube pareille à celle qui
s'offre à la vue,
La même que dans le ciel boréal, l'aube douce
qui console.
Et alors, comme tout est pareil en Argentine !
Ou bien, qui sait comme est faite l'Argentine,
Et alors…
« Don't cry for me, Argentine »…