samedi 11 juin 2016

BALLADE DE L’ARMÉE DES INVALIDES


BALLADE DE L’ARMÉE DES INVALIDES

Version française – BALLADE DE L’ARMÉE DES INVALIDES – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson allemande – Ballade von der Krüppelgarde – Robert Gilbert – 1930





Après la Guerre de 14-18, comme après toutes les guerres, en plus des morts et des disparus, des veuves et des orphelins, on trouve des multitudes de blessés et d’invalides : estropiés, manchots, unijambistes, culs de jatte, les aveugles, sans compter les « gueules cassées » qu’on ne montre plus en public. Sans compter également, les traumatisés de l’âme et de l’esprit et ceux dont la lucidité est partie à jamais et qui ont sombré dans la folie. C’était le cas en Allemagne comme dans tous les pays belligérants et partout, on vit bientôt des défilés, c’est-à-dire des « manifestations » calquées sur modèle militaire, de ces invalides de guerre pour protester contre le sort qui leur était fait. Ils s’estimaient à juste titre mal traités. Il est vrai qu’on n’en avait jamais eu autant à la fois ; il n’y avait quasiment rien de prévu pour eux et les pays eux-mêmes avaient du mal à se remettre de cette absurdité sanglante. L’Allemagne peut-être plus encore que les autres, car elle devait en outre pourvoir aux réparations dans les pays qu’elle avait envahis et détruits, puis elle connut l’inflation et enfin, les séquelles de la « crise ». C’est au milieu de tout ça qu’a surgi « l’armée des invalides ».

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, de mémoire d’âne, depuis le temps que je parcours les pays, j’en ai connu de ces invalides et je peux t’assurer qu’il y en aura tant qu’il y aura des guerres.

Ah, Lucien l’âne mon ami, tu as donc bien cette mémoire d’avoir rencontré pareille bande d’éclopés ; ton témoignage confirme donc ce que je disais précédemment. Mais avant d’aller plus loin, deux mots à propos du nom de cet incroyable défilé. Une traduction littérale serait : la garde des boiteux, des éclopés, des estropiés ou la garde boiteuse, éclopée, estropiée, infirme. Finalement, j’ai penché pour les invalides en référence à cet Hôtel des Invalides à Paris où depuis Louis XIV, sont hébergés ces militaires endommagés. Quant à la Garde, le mot ne recouvre pas la même chose en français qu’en allemand et vu le nombre, le mot « armée » conviendrait mieux. Et puis, j’avais en tête certain général de l’armée morte ou de l’armée des morts, que raconte Ismail Kadaré et qu’interpréta Marcello Mastroiani.
D’où, cette « armée des invalides ».

Je trouve, en effet, Marco Valdo M.I. mon ami, que voilà un excellent titre. Quant à ta question des éclopés, j’ai vu de telles bandes de
déglingués dégingandés bien des fois, à commencer par celle des Dix Mille de Xénophon, en passant par la première Croisade La Croisade de Pierre, les croisades en général et l’inénarrable Huitième croisade, en particulier et les retraites de Russie – française, européenne, allemande, italienne. Et comme tu le sais sans doute, j’en ai vues plusieurs de mes propres yeux d’âne. En plus, ces gens-là ne rêvaient que de me manger ; autant te dire que je me
suis tenu à l’écart de ces joyeux troupiers.

Tu as bien fait, Lucien l’âne mon ami. Car vaut mieux un âne vivant qu’un Lucien mort.
Quand deux mots à propos des croisades ; quand on considère l’ensemble, on découvre qu’il était surtout question de contrôler la Syrie, le Liban ; que les Turcs y affrontaient les Arméniens et sans doute, déjà, les Kurdes ; ça ressemble quand même
assez à ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient.

Maintenant, pour ta question, si je n’ai aucune idée à ce sujet, même vague, il me semble à voir ton œil qui vibre que toi, tu en as une
. Alors, de quoi s’agit-il ? Aurais-tu une réponse à cette question concernant une chanson de Jean-Baptiste Clément ?

Tu as l’œil, Lucien l’âne mon ami et de fait, j’ai trouvé une chanson de Jean-Baptiste Clément qui me semble, car je n’ai pas pu m’en assurer plus que ça auprès de Robert Gilbert, alias, alias, chanson qui me semble être
« Les Volontaires ». Quoique ces volontaires ont l’air en meilleure forme que cette armée de stropiats, d’impotents, d’unijambistes.
Sauf à la fin où :« ils se faisaient chair à canons
Et de civières
 ! »
Évidemment, c’est ce qui attend tous ceux qui se précipitent la fleur au fusil au-devant des canons et des pétoires ennemis. Quoi qu’il en soit, tu auras traduit une chanson et tu en apporteras une autre et c’est fort bien. Peut-être finira-t-on par dire que tu t’es gouré et que ce n’était pas « Les Volontaires », mais une autre chanson de
Clément qui a servi de base à celle-ci et donc quelqu’un te démentira.

Ce n’en sera que mieux, car alors, il apportera une autre chanson de Jean-Baptiste Clément, auteur dont je crois bien qu’une bonne part de la production mériterait
d’
d’être reprise.


Restons-en là, si tu veux bien, pour le moment et reprenons notre tâche qui est de tisser le linceul de ce vieux monde exploiteur, propriétaire, belliciste et cacochyme.



Heureusement
 !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Nous sommes l’armée des invalides,
La plus belle armée du monde
 ;
Nous sommes presque un milliard,
En comptant les morts.

Les morts ne suivent pas,
Ils doivent rester en terre
Nous ne pouvons pas marcher au pas,
La plupart d’entre nous n’ont qu’une jambe.

Notre lieutenant se terre sous terre
Notre capitaine a un moignon
Notre maréchal
rampe à terre,
Ce n’est plus qu’un tronc.

Nous sommes
l’armée des invalides
Un homme sur deux a
de solides
Membres de bois, comme des bâtons
Greffés sur ses articulations.

Ils disent : « Ce sont des prothèses
Bien plus belles que les jambes et les bras. »
Ils disent : « Les aveugles lisent
Mieux encore avec leurs doigts. »

Et si les morts pouvaient guérir,
Au trot, on les verrait revenir
Au lieu de pourrir désespérés
Dans un charnier.

Ils disent : « Retournez maintenant au travail et
Pas question de fainéanter ».
Ils disent : « Les faux membres à la chaîne
Font encore leur service ».

Attendez, même si nous boitons,
Contre vous nous marcherons
Même si à gauche, nous perdons
Notre jambe droite dans l’action.

Nous sommes l’armée des invalides,
le plus fort des bataillons
Et la fière avant-garde
De la révolution.

Nous sommes l’armée des invalides,
Le plus fort des bataillons
Et la fière avant-garde
De la révolution.