La
Sainte Famille
Chanson
française – La Sainte Famille – Marco Valdo M.I. – 2020
ARLEQUIN
AMOUREUX – 43
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Dialogue
Maïeutique
La
Sainte Famille, maintenant,
Marco Valdo
M.I. ; encore une fois, laisse-moi te demander : quel titre
est-ce là ? À quoi ça rime un titre comme ça ? Et
d’abord, de quelle Sainte Famille est-il question ?
Celle des religions ou
celle de la philosophie que deux messieurs allemands ont écrite, il
y a longtemps ?
Allons,
Lucien l’âne mon
ami, je
te réponds sans tergiverser qu’il s’agit d’une troisième
Sainte Famille qui est en quelque sorte assez terre à terre, même
si, il faut en convenir, elle est à l’image de la famille
biblique : le père, la mère et le fils, telle donc enfin que
la conçoit la tradition. J’espère que te voilà satisfait de
cette précision.
Comment
et pourquoi ne le serais-je pas ?, demande Lucien l’âne. Sur
ce point, je suis satisfait, mais le fait est que je ne sais rien du
reste, ni de quoi il s’agit.
Oh,
Lucien l’âne mon ami, il te souviendra que le précédent épisode
de cette longue histoire du déserteur s’achevait sur une rébellion
et sur la répression qui en était al suite logique. Rappelle-toi
cette fin sous forme de rébus :
« Le
bétail crève, les gens ont faim ;
Les
prix volent toujours plus haut.
On
arrête le meneur de la révolte du grain ;
Ivre,
il raconte la bataille de Marengo. »
Mais,
Marco Valdo M.I. mon ami, c’était une fausse énigme, car qui
d’autre là-bas à ce moment-là dans un village au fond de la
Bohême que le déserteur Matěj Kuře aurait pu, « Ivre,
raconter
la bataille de Marengo » ? Il
fallait quand même l’avoir vécue pour connaître tant de détails
à en faire un récit d’ivrogne.
Je
te l’accorde, Lucien l’âne mon ami, personne sauf quelqu’un
qui y était à la bataille de Marengo, mais aussi, dans cette émeute
de la faim. Heureusement, la châtelaine du lieu fut fort bienveillante
et l’événement était sans gravité, il tenait plus d’une
manifestation de mécontentement que d’une révolution. Pour toute
sanction, on chassa le meneur, à charge pour lui de ne plus remettre
les pieds dans le fief. Le meneur Serenus, alias, alias, alias et
donc, notre Matthias, montreur de marionnettes, reprend dès lors le
chemin de la fuite et s’en va se réfugier dans une grotte, une
ancienne carrière creusée dans la montagne proche. Là, il rentre
dans son univers fantasmatique où il vit en symbiose avec sa petite
bande et reprend la folle errance de ses méditations ; il
imagine que cette grotte est un théâtre, que le versant boueux qui
fait face est un amphithéâtre, il y voit – comme en rêve –
un public, et animant ses acteurs de bois, il monte un spectacle :
un spectacle improvisé où il laisse libre cours à la petite troupe
que depuis le début de cette odyssée, il véhicule dans une hotte
sur son dos.
Oui,
je sais, dit Lucien l’âne, il est à lui seul, ainsi, un théâtre
ambulant. Mais quel est donc ce spectacle improvisé ?
Il
reprend, Lucien l’âne mon ami, devant – note-le bien – devant
un public imaginaire, l’histoire de la princesse du Portugal qui
vire – pour éveiller le public – carrément à la pantalonnade.
Puis, afin d’apaiser les débordements, on en revient à une scène
sévère et classique du retour du croisé en ses foyers, mais cette
pieuse scène refroidit le public, il faut à nouveau pimenter
l’affaire : le père prodigue est bousculé et moqué par son
fils et du coup, il s’empresse de vouloir infliger la bastonnade à
son rejeton. Une poursuite s’engage que n’auraient pas désavouée
les frères Marx eux-mêmes : le fils file, le père court
derrière avec son gourdin levé ou alors, c’est son épée, on ne
sait et la mère tente de retenir le geste du père ; et le
public rit. Ainsi
se dessine l’image d’une famille exemplaire : sainte,
certes, puisque le croisé rentre de croisade, mais conforme aux
aventures familiales de l’époque où les pères châtient les fils
et les mères s’essayent à protéger leur progéniture de ces
brutalités paternelles.
Quel
exemple, dit Lucien l’âne, mais sans doute en était-il
vraisemblablement ainsi dans ces familles patriarcales – du moins,
en gros. En tout cas, il semble que le public y reconnaissait mieux
ce qu’il attendait d’un spectacle fait pour distraire et amuser,
un spectacle populaire dans la foulée de la commedia dell’arte.
Cela dit, je me demande s’il n’y a pas derrière tout ça une
mise en cause de cette sainte institution,
conservatrice de la société et une dénonciation de l’ennui qui
submerge cette dernière quand un pouvoir trop lourd l’écrase. Je
me souviens soudain qu’au moment où Jiří
Šotola
écrit cette histoire, la Bohême se trouve au cœur de la
Tchécoslovaquie, laquelle étouffe et s’ennuie à mourir sous
l’éteignoir soviétique. À finir pour finir, il nous reste, comme
tel est notre usage, à tisser le linceul de ce vieux monde ennuyeux,
sévère, tutélaire, lourd et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Après
correction, le meneur Serenus,
Avec
sa troupe sur le dos,
S’en
va chercher l’Eldorado
Dans
les bois, sous l’humus,
Il
déniche une grotte dans la pierre
Creusée
comme un théâtre
Et
devant, les parois de terre
Font
un amphithéâtre.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Quoi
de neuf au Portugal,
Votre
Grâce Royale ?
Au
Portugal, il y a de neuf
Qu’on
a rasé un œuf !
Don
Basile soulève la princesse,
La
jupe se trousse à la ceinture,
La
princesse se débat, on voit ses fesses
Le
public rit de toute cette nature.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
De
la croisade, le père siffle son retour.
Un
glaive en sa droite ; en sa gauche, la croix.
La
mère et le fils le regardent avec amour,
À
cette sainte famille, le public ne croit pas.
Le
fils rit de la croix, la poursuite commence :
Le
père après le fils, la mère après le père.
De
son bourdon, le père, l’enfant tance.
Le
public rit de ce trio exemplaire.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.