jeudi 27 juillet 2017

GRIGNES CONTRE LA GUERRE

GRIGNES CONTRE LA GUERRE

Version française – GRIGNES CONTRE LA GUERRE – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson italiennePernacchie contro la guerraFranco Trincale – s.d. (circa 1970)




Tu vois, Lucien l’âne mon ami, comme à l’ordinaire, ce titre te semble bizarre et certainement, il l’est.

En effet, Marco Valdo M.I., mon ami, ce titre est bizarre et comme à l’ordinaire, j’aimerais que tu me l’expliques.

Il est bizarre et je vais te l’expliquer, mais avant, Lucien l’âne mon ami, je me dois de te signaler qu’il aurait été encore plus bizarre si j’avais tenté de le traduire – disons, littéralement – de l’italien. Cela aurait donné quelque chose comme : « Prouts contre la guerre », mais des prouts faits avec la bouche en esquissant une grimace avec les lèvres ou en sortant la langue. Note en passant que des « langues contre la guerre » n’auraient pas eu meilleur effet.

Oui, sans doute, dit Lucien l’âne en ouvrant des yeux éberlués. C’eût été un peu trop amphibologique ; personne n’y aurait rien compris.

Maintenant, reprend Marco Valdo M.I. qui avait été interrompu, venons-en au titre que j’ai choisi et à ce mot « Grigne » qui t’intrigue. Qu’est-ce qu’une grigne ? Une grigne, sache-le si tu ne le sais pas déjà, est une grimace, un plissement du visage autour de la bouche, qui signifie une dérision, un mépris, un désappointement, une dépréciation, une amertume. Pour donner le sens du mot italien « pernacchia », il faut y ajouter le bruit d’un souffle, comme un vent sonore sorti de la bouche, sans qu’il puisse être confondu avec le rot, qui a des origines plus alimentaires, étant un trop plein de gaz surgi de l’œsophage. Traduisons : un prout simulé par la bouche. Figure-toi que je ne suis pas le seul à avoir rencontré cette difficulté d’expression en français. Ainsi, Georges Feydeau, qui en matière de prouts théâtraux peut passer pour un expert, avait exprimé l’équivalent français de « pernacchia » (on était en 1914) en disant : « Il faisait prouter ses lèvres ».

À propos de Prout, dit Lucien l’âne très amusé, j’ai bien ri quand on m’a conté ce congrès de géographes, où les géographes de langue française ont refusé catégoriquement de changer le nom du fleuve Prout, qui coule en Europe centrale sur près de 1000 kilomètres et qui sert de frontière moldavo-roumaine ; ces géographes primesautiers trouvaient cette dénomination trop drôle.

Ces géographes sont des farceurs, continue Marco Valdo M.I. et en ce qui me concerne, comme tu le vois, pour rendre le sens de pernacchia en français, j’ai choisi grigne, qui signifie un pli du visage, une grimace pour marquer le mécontentement, la tristesse aussi. Bref, à ton œil scintillant à ton front noir comme une étoile de première grandeur sur le coup de minuit, je vois que tu as compris.

Je résume, dit Lucien l’âne, cette chanson, ce sont des grimaces de mécontentement, lancées à la figure de la guerre et elles sont les bienvenues. Célébrons-les et par la même occasion, trinquons à Trincale. Maintenant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde triste, méprisable, belligérant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien l’âne.


Un homme dans le monde est mort,
Hier au soir est mort,
Mort de faim, dans la mine est mort.
Le travail l’a tué,
La faim l’a tué ;
Il y a déjà trop de morts sans la guerre,
Il y a déjà trop de morts par toute la Terre.

Ce ne sont pas les médailles,
Ce n’est pas la mitraille,
Ce sont les canailles
Qui font les héros,
Qui font les héros.

La guerre est un crime,
La guerre est une crétine,
C’est une manœuvre ultime,
C’est une grande rapine.

Dans le monde, un homme
Mourra demain.
Il faut le sauver maintenant,
Il doit rester vivant.
De guerre, ni de faim
Il ne doit mourir,
Dans le monde, un homme
Est déjà condamné.
Où qu’il se trouve, il faut le sauver.
C’est un être humain,
C’est un être sacré,
Jamais plus la guerre demain !

Ce ne sont pas les médailles
Qui font la paix.
Meurt un homme,
Peut-être toi, sait-on jamais ?
Réplique par des grignes,
Réponds par des rires,
Ne fais pas la guerre !
C’est toi qu’on met en terre.

Ce ne sont pas les médailles,
Ce n’est pas la mitraille,
Ce sont les canailles
Qui font les héros,
Qui font les héros.

La guerre est un crime,
La guerre est une crétine,
C’est une manœuvre ultime,
C’est une grande rapine.

dimanche 23 juillet 2017

MANDURA

MANDURA


Version française – MANDURA – Marco Valdo M.I. – 2017
Chanson italienne – ManduraDaisy Lumini – 1975

Paroles de Beppe Chierici
Musi
que de Daisy Lumini




Lucien l’âne mon ami, toi qui as parcouru de tes petits pas noirs et paisibles le monde depuis tant et tant de temps, tu as dû rencontrer souvent des gens plongés dans des atmosphères terrifiantes, des hommes écrasés par la crainte et tu dois donc bien connaître le sujet de la chanson de Mandura que je viens de mettre en langue française.

Peut-être, Marco Valdo M.I. mon ami, peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Je ne pourrai répondre à ta question que quand tu m’auras dit de quoi parle cette chanson.

En effet, Lucien l’âne mon ami, et je ne m’attendais à rien d’autre de toi. Tu es un âne intelligent, je le sais et je le dis ; mais, tu n’es pas un devin ; cela, je le sais aussi. Je me demande cependant si tes pieds si vaillants t’ont un jour mené au pays de Mandura, qui est – comme tu le sais certainement – là-bas quelque part en Éthiopie, une de ces régions où l’on parle (quand on parle, ce qui – tu le verras dans la canzone – n’est pas établi pour toujours avec certitude) le nilotique depuis la plus haute Antiquité ; un pays d’où provient la légende que rapporte la chanson.

Ah bien, l’Éthiopie, le nilotique, tout ça là-bas au fin fond de l’Afrique, sans doute m’y suis-je promené et je t’avoue que je ne me souviens pas particulièrement de Mandura. Il faut cependant se dire que les gens de Mandura ne doivznt pas me prendre en grippe pour autant. Oui, oui, dit Lucien l’âne, qu’ils ne prennent pas ombrage de ce manque de souvenirs les concernant, mais il y a tant de lieux et tant de gens dans le monde et tant des moments dans une existence et comme on commence à le savoir dans notre société, la faculté d’oubli est une nécessité et même une des fonctions essentielles de la mémoire ; surtout dans mon cas ; c’est le revers de la médaille de mon infinitude relative, car nul ne sait quand j’ai commencé, nul ne sait quand je finirai. Bref, concernant la nécessité de l’oubli, c’est facile à comprendre. Il y a d’abord un point de vue que je qualifierai de logistique, on ne peut pas plus entasser les souvenirs dans un cerveau que des choses dans un entrepôt. Aussi grand soit-il, un entrepôt a des limites et si on peut maximiser l’entreposage, cela passe par des aménagements spécifiques et des dépenses énergétiques (par exemple, pour empiler, stocker rationnellement) et par un triage, une mise en ordre pour pouvoir retrouver les divers éléments. Tout cela aussi suppose une dépense d’énergie qui a également ses limites. Comme disait ma grand-mère, il y des limites à tout. Cela dit, tu n’as pas répondu à mon attente ; je ne sais toujours pas ce que raconte la chanson.

En effet, Lucien l’âne mon ami, je ne t’ai pas encore dit ce que raconte cette chanson. Ce qu’elle raconte est finalement assez simple, si on s’en tient au premier niveau de lecture. C’est l’histoire d’un pays – en l’occurrence, Mandura, qui est sous la coupe d’un souverain qui est convaincu qu’il faut imposer son autorité par la force et la terreur. Il le fait si bien et si fort que le pays vit dans une ambiance de suspicion et de répression permanente et qu’il donne au roi le surnom de Peur. Dans ce pays, la population entière n’ose plus parler car, murmure-t-elle « les murs ont des oreilles ». Elle se réfugie dans le silence, Mandura devient mutique et s’éloigne totalement de ce royaume de Peur, si bien ou si mal que quand la guerre éclate, il n’y pas un habitant pour défendre le royaume et le roi.

Eh bien, Marco Valdo M.I., me voilà renseigné sur le sens général de la chanson, mais il m’a semblé que tu avais en tête d’autres éléments.

Bien sûr, Lucien l’âne mon ami, puisque je te l’avais laissé entendre. J’avais pensé et je le pense encore d’ailleurs que l’aventure du roi Peur – lequel est tout le contraire du roi Pausole de plaisante mémoire, rappelait assez celle qu’a connue l’Italie durant le fascisme et n’eût été la volte-face opérée en pleine course, le royaume d’Italie se serait trouvé proprement défait. On pourrait également l’appliquer à l’Allemagne nazie dont l’effondrement fut complet ou d’une certaine manière à l’Union Soviétique qui a proprement implosé, elle aussi. On pourrait chercher d’autres exemples ; je songe au régime de Salazar, qu’une chanson fit se dissoudre ou à la Roumanie de Ceaucescu. J’aurais assez idée de voir là une sorte de parabole à usage assez général.

Soit, dit Lucien l’âne, on devrait en trouver beaucoup de tels épisodes dans la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour assurer leur domination et leur pouvoir ; de toute façon on ne va pas en faire un plus gros fromage ; il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde terrorisé, brutal, oppressif et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Dans une nation du nom de Mandura
Vivait un souverain, Peur était son nom.
Certes, ce n’était pas son vrai nom,
Mais on se souvient seulement de ce nom -là.

L’histoire ne dit pas qui l’a ainsi nommé.
Cependant, ce surnom est approprié
Et je veux bien parier
Que c’est la population qui lui a donné.

Ce triste sire répétait à ses courtisans :
« Être sévère est le lot des rois et des présidents !
Croyez-moi, pour gouverner, c’est sûr,
Il faut un tempérament de chef et la poigne dure. »

Il disait à ses ministres, « Il ne sert à rien de discuter,
Le peuple doit se laisser guider.
Si on ne le gronde pas, il fait des caprices
Et s’il ne vous craint pas, il manigance. »

Il pensait, un sujet, c’est comme un enfant.
Ce n’était pas de peuple, mais de populace
Qu’étaient qualifiés les habitants
Par leur roi Peur, l’homme sans face.

Il promulguait des lois pour tous et pour tout
Et même sur la façon de couper le chou,
Et sur comment parler, se vêtir, chanter
Et gare à qui osait regimber.

Avec les ans à Mandura, il arriva une chose
Vraiment incroyable et très pénible :
La peur terrifiait tant les gens,
Que chaque habitant devint balbutiant.

À la parole, il y avait de tels freins
Que rapidement, tout le monde s’est tu.
Et qui n’articule pas, c’est bien connu
En moins que rien, muet devient.

À Mandura, on ne pouvait plus parler
Et les enfants grandissaient sans trouver
Quelqu’un qui leur enseigne le bien et le mal,
En quoi l’homme est différent de l’animal.

« Qui ne dit mot consent », pensait le roi Peur
« Un peu de discipline, ma foi, c’est bon.
Cette populace est plus muette qu’un poisson ;
Si j’ai été fort dur, c’est pour leur bonheur. »


Ainsi ce souverain à force d’être sévère
Réduisit le peuple à un troupeau
Et quand les voisins déclarèrent la guerre,
Sous terre, le peuple se réfugia aussitôt.

Peur perdit son royaume et paya amèrement
Le fait d’avoir méprisé les gens,
Le fait que le roi de Mandura,
Au peuple, la peur seule inculqua.


Ici se termine ma chanson ;
Espérons que soit claire sa leçon :
Q
ue ce n’est pas la sévérité
Qui forge la personnalité.

mardi 18 juillet 2017

LE BAL À LAÏKA – Ballade de la balade cosmique de Laïka

LE BAL À LAÏKA
– Ballade de la balade cosmique de Laïka

Version française – Le Bal à Laïka – Ballade de la balade cosmique de Laïka – 2017
Chanson italienneLa ballata di LaikaDaisy Lumini1975

Paroles de Beppe Chierici
Musi
que de Daisy Lumini






Voici, Lucien l’âne mon ami, une jolie chanson pour une jolie petite chienne martyr, qui fut en 1957, la première personne dans l’espace. Je sais, je sais, il aurait fallu dit le premier être vivant biologique, issu de la Terre… Mais, j’aime mieux Personne, ça rappelle l’Odyssée – du moins en français et puis, elle le mérite bien. Elle a ouvert la voie à l’humanité vers les étoiles et une éventuelle immortalité. Donc, la première personne dans l’espace à taquiner les comètes ; elle y mourut après quelques heures, de surchauffe et de stress ou l’inverse.
Pour cette mission à portée universelle, on l’avait capturée à Moscou où elle vivait peinarde dans la rue et on l’avait formée en vue de cet exploit, dont – comme bien l’on pense – elle se serait volontiers passée.

Je me souviens de cette histoire et de cette jeune chienne à qui finalement, ils donnèrent le nom de Laïka. Un joli nom, je trouve, pour une chienne lancée à la conquête du ciel.

Moi aussi, Lucien l’âne mon ami, je trouve ce nom joli d’autant plus qu’il m’a permis ce titre en forme de calembour qui fleure bon la Russie. Un titre qui à lui seul résume toute l’aventure. Car, comme on le sait, la balalaïka est cet instrument traditionnel de musique russe, une sorte de banjo ou de guitare triangulaire qui dans la Russie profonde, souvent anime le bal.

À propos de bal à Laïka, dit Lucien l’âne en souriant un peu, la pauvre chienne a dû se seriner cet air du Veau d’Or, tiré du Faust de Gounod où le chœur répète le « Et Satan conduit le bal » du baryton soliste.

Cela n’est pas dit dans la chanson, susurre Marco Valdo M.I., où c’est Laïka elle-même qui raconte son destin et qui nous dit ce qu’elle en pense. Je voudrais ajouter une précision quant à ma version française où j’ai introduit un dernier petit quatrain, qui ne figurait pas dans la version italienne, un petit final que je te laisse découvrir.

Alors allons le découvrir et saluons Laïka, héroïne malgré soi, puis reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde plein de rivalité, de précipitation et de concurrence, ambitieux, absurde et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Je suis Laïka, une petite chienne blanche.
Je vivais à quatre pattes et comme un chien,
Je m’acharnais sur les chats et le matin
Jusque dans le poulailler, je coursais les poules.
Si je voyais un beau chien sur la route,
Je ressentais une soudaine émotion,
Car même, nous les bêtes,
On éprouve du sentiment, de la passion.

Je ne pouvais pas me plaindre vraiment ;
Avec moi, on se comportait humainement.
Ma ration, dans ma gamelle,
Était là toujours abondante et ponctuelle.
Je ne comprenais pas les humains.
Je les entendais soupirer :
Putain, la vie ici, quelle vie de chien,
Alors que moi, je vivais bien.

Un beau jour, on m’a conduite
Dans un endroit blinquant et très imposant.
Je fus traitée comme si j’étais malade,
Mais moi, j’étais plein d’allant.
On me colla sur la peau des machins
Reliés à des écrans incolores
Où passaient des programmes barbants :
des ondes, des zigzags, des bips sonores

Cet attirail sur ma peau m’embêtait ;
Notre langue à nous les chiens,
C’est l’aboi et furieuse, j’aboyais.
« Gentille Laïka ! », répondaient les humains.
Un jour, ils m’ont mise dans une fusée.
Au moment du décollage,
J’étais folle de rage
D’être utilisée comme cobaye.

Je ne suis pas une petite précieuse,
Mais on m’en fit encore de belles :
À une vitesse vertigineuse,
Ils me lancèrent dans le ciel
Mourir toute seule,
Là-bas au loin dans ma capsule.
Alors je compris les dédains abyssaux
Où les hommes tiennent les animaux.

À Moscou, sur une place,
On m’a élevé un monument.
Quel honneur pour un chien sans race
D’être ainsi mis en avant,
Mais si j’avais pu
Exprimer mon opinion,
Je n’aurais jamais voulu
Être le cobaye d’une si folle ambition.

Les hommes veulent à tout prix
L’aventure, le succès et la gloire.
Nous les bêtes, rester à notre place,
Ça nous va très bien aussi.
Si j’avais survécu à cette balade,
J’aurais organisé un bal, une grande fiesta,
J’aurais fait une belle ballade,
Sur un air de balalaïka.

lundi 17 juillet 2017

Nicolas le Civil et le Héros militaire

Nicolas le Civil et le Héros militaire

Chanson française – Marco Valdo M.I. – 2017











Dialogue maïeutique


Tu te souviens certainement, Lucien l’âne mon ami, de cette Maison des Morts à Séville en Espagne en 1937 où était emprisonné l’écrivain hongrois A.K., condamné à mort par la Haute Cour militaire de Malaga, tribunal fantoche des franquistes, ces nationalistes espagnols, qui faisaient la guerre « civile » à la République espagnole. Avec l’appui des troupes fascistes italiennes (il y avait là 50 000 italiens) et les nazis allemands (ce sont des avions allemands qui ont bombardé Guernica) – qui répétaient une manière de générale, comme on dit au théâtre. La passivité des démocraties a assuré la victoire des nationalistes en 1939. On connaît la suite : invasion de la Pologne, invasion de l’Albanie, etc. Plus de 40 000 000 de morts.

Et comment donc, Marco Valdo M.I. mon ami, que je m’en souviens de ces deux chansons : La Maison des Morts et « Espagne 1937 ». Ce n’est pas pour me vanter, mais certaines fois, j’ai de la mémoire. Mais si tu m’en parles, il doit bien y avoir une raison qui serait une troisième canzone qui compléterait la trilogie ibérique.

Exact, Lucien l’âne mon ami, tu as tapé dans le mille. La canzone qui vient compléter ce que tu appelles ma trilogie ibérique s’intitule « Nicolas le Civil et le Héros militaire » – comme tu peux le remarquer, si Nicolas a un nom, une personnalité propre, le Héros militaire, comme il se doit, est anonyme ; c’est un « elkerlijk » militaire, c’est n’importe quel héros, n’importe quel militaire au moment où il se transforme en héros ; c’est le personnage du héros militaire, c’est une figure. Cette histoire est aussi tirée du Testament espagnol d’A.K. Elle est bâtie sur un dialogue qui a , comme le nôtre, cette fonction maïeutique – accoucheuse de vérité dont usait volontiers Socrate, chose que tu pourrais confirmer, toi qui le croisa, en ce temps-là.

Effectivement, je le confirme, dit Lucien l’âne en hochant son large front. C’est ce même dialogue qu’entretiennent plus tard Dante et Virgile, l’Oncle Toby et le caporal Trim, Jacques le fataliste et son maître, Don Quichotte et Sancho, etc. C’est une excellente manière de faire progresser un raisonnement que de le mitonner sur le mode de la conversation. Donc, il y a un dialogue entre Nicolas le Civil et le Héros militaire. Mais encore ?

Sache, Lucien l’âne mon ami, que Nicolas le civil est un jeune homme – il a à peine 17 ans, condamné à mort lui aussi tout comme l’était A.K. et sache également que Nicolas n’aime pas du tout cette idée de mourir, il préfèrerait vivre et, dit-il, apprendre à lire.
Quant au Héros militaire, lui aussi, va bientôt mourir ; il ne le sait pas et aucun tribunal n’a explicitement décidé sa condamnation et de plus, il n’est même pas en prison ; mais une chose est certaine, il doit mourir précisément pour devenir un héros (et plus tôt sera le mieux) ; ça, c’est pur le principe et il va mourir réglementairement, car il est militaire.
Et ces deux-là débattent de la vie et de la mort et de l’idée qu’on peut s’en faire et de la conception qu’on peut en avoir selon qu’on est civil ou militaire ; quand on est civil et qu’on rêve d’apprendre à lire et quand on est militaire et qu’on rêve de mourir en héros.
Et dans la canzone, il y a les petits refrains à envergure variable qui déclinent métaphoriquement les états de la vie ; pas ceux de la mort qui elle ne mange pas de pain ; elle dévore les hommes, les femmes, les enfants et les animaux.

Note mon ami Marco Valdo M.I. qu’elle est patiente la mort. Elle ne commence à réclamer sa part qu’au moment où la vie s’en va. Cela dit, il vaudrait mieux pur tous – civils et héros, que les héros meurent entre eux sans déranger les civils et le fassent dans un monde qui leur serait propre, en quelque sorte, ils mourraient entre héros dans une aimable confrérie, pleine de congratulations. Ils pourraient organiser des compétitions de morts glorieuses, à qui serait le plus méritant, le plus audacieux, le plus téméraire, que sais-je, le plus héroïque et décerner des médailles en or, en argent, en bronze et pourquoi pas même, en chocolat. Quant à nous, Marco Valdo M.I., nous qui ne sommes pas de héros, nous qui ne sommes que des bêtes de somme (en italien : somari), nous braves tâcherons, il nous faut continuer notre œuvre infime et tisser le linceul de ce vieux monde héroïque, militaire, nationaliste, grandiloquent, thanatocole, thanatophore, thanatophile et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Pouvez-vous imaginer d’être mort ?
Avant d’être nés, on était tous morts.
Quoi ?
Avant de mourir, on est tous vivants.
Ne me demandez-pas pourquoi,
C’est évident.

Il y a du pain blanc
Hier, demain, maintenant

Après, on est tous morts.
C’est vrai, mais alors
Pourquoi avoir peur de la mort ?
Moi, je n’ai pas peur de la mort.
J’ai juste peur de mourir,
Dit Nicolas, c’est trop tôt.

Il y a du pain noir,
On peut garder espoir.

Moi, c’est le contraire
Dit le futur héros militaire.
Je n’ai pas peur de tuer,
Je n’ai pas peur de mourir, non plus.
C’est simple. On tue et ils ne vivent plus.
C’est simple : j’aime tuer.

Il y a du pain gris
On a parfois des amis.

J’aime tuer.
J’aime la mort.
Pourquoi ? Car je suis fort.
Quand on est tueur ou officier,
La mort est notre métier.
Nous sommes exercés, on est dressés.
Nous savons comment
Mourir réglementairement.

Il y a du pain blanc
Il y a du pain noir
Hier, demain, maintenant
On peut garder espoir

Nicolas avait dix-sept ans.
Nicolas n’est pas mort élégamment
Il n’était pas exercé, évidemment
Et pas pressé non plus de mourir.
La mort ne lui plaisait pas tellement :
Il rêvait d’apprendre à lire.

Il y a du pain blanc
Il y a du pain noir
Il y a du pain gris
Hier, demain, maintenant
On peut garder espoir
On a parfois des amis.