Dent
de Vipère
Chanson
française – Dent
de Vipère
– Marco
Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 118
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – IV, XX)
Ulenspiegel le Gueux – 118
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – IV, XX)
Dialogue
Maïeutique
À
vrai dire, Marco Valdo M.I. mon ami, je ne sais pas trop si la dent
de vipère est si dure qu’il faille la limer pour la mettre hors
d’état de nuire ; le vrai danger avec la vipère, ce n’est
pas la dent elle-même, mais le venin qu’elle permet d’instiller
dans le corps qu’elle mord ; c’est par l’entremise de ce
venin qu’elle mord à mort.
Je
pense comme toi, Lucien l’âne mon ami, cependant, ce n’est pas
vraiment là le sujet de la chanson. Enfin, pas directement. Même
si, en finale, ce serait le cœur-même de toute la saga de liberté :
limer la dent du vieux monde.
Oh,
dit Lucien l’âne, ça m’évoque irrésistiblement notre devise
que nous avons reprise des Canuts[[7841]] :
tisser le linceul du vieux monde. En somme, Till, Nelle, Lamme et
nous poursuivons le même objectif, nous avons – peut-être sous
des vocables différents – le même but : un monde qui
naîtrait toujours nouveau de ses propres créations, sans cesse
naissantes, au hasard de la vie, dans un accomplissement de liberté.
J’aime
moi aussi beaucoup cette idée, reprend Marco Valdo M.I. ; pour
le reste, dans la chanson, c’est la guerre de liberté qui
continue ; elle devient routinière. Pour certaines gens de
l’époque, la guerre, c’est la vie. Pense donc, une guerre qui
dure quatre-vingts ans. Je ne sais pas toi, mais moi, j’ai des
difficultés à imaginer une guerre d’une telle durée. On a le
temps d’y naître, d’y faire des enfants, d’avoir des
petits-enfants et pourquoi pas, des arrières-petits-enfants ;
sans même se presser. Mais trêve de divagation, une chose est
certaine, c’est que la dent de vipère espagnole était fort
difficile à réduire. L’envahisseur, le colonisateur s’entêtait
à se croire chez lui et en droit de l’être et par son entêtement,
il ne faisait qu’aggraver les choses et rendre la vie impossible à
d’entières populations qui n’en demandaient pas tant et se
seraient bien contentées de vivre, chose qu’elles jugeaient
suffire à leur bonheur
et à tous leurs emmerdements[[7794]]. Toutefois, au bout du
compte, l’Empire espagnol et son bras spirituel, l’Inquisition,
vont perdre plus que s’ils avaient dès le début cherché une
solution pacifique dans une ambiance générale de liberté.
C’est
pure raison, dit Lucien l’âne. D’autant plus que pour
contraindre l’autre, il faut impérativement se contraindre
soi-même. C’est le paradoxe du gardien, qui est plus prisonnier de
la prison que le prisonnier. Un prisonnier peut s’évader de sa
situation par l’esprit et par l’espoir d’en sortir ; le
gardien ne peut oublier un instant la prison. Le prisonnier peut se
voir pu s’imaginer exister sans la prison ; pas le gardien.
Que devient le prisonnier sans la prison, sans le gardien ? Il
est libéré d’un poids, il retrouve la vie ; pour le gardien,
sans la prison, sans le prisonnier, il n’a plus de raison d’être.
Bien entendu, il s’agit d’une métaphore du gardien, de sa
quintessence. On le décrirait mieux en disant, en spécifiant le
« service complexe de garde qu’est la prison ». Sans
compter que si le prisonnier peut s’évader ou être libéré au
bout d’un temps, le gardien est prisonnier de la prison, en quelque
sorte, à vie.
C’est
exactement ça, reprend Marco Valdo M.I., et il en va de même pour
le colonisateur, l’occupant, le dominateur, etc., qui s’épuise
sans repos à cette œuvre de domination. En fait, il s’intoxique
de sa propre haine, de ce mépris qu’il porte à l’autre
considéré comme inférieur. D’autre part, il me plaît d’attirer
l’attention sur le fait que les Gueux ne font pas vraiment de
prisonniers à long terme ; la plupart du temps, s’ils ne les
rallient las à leur cause, ils les relâchent contre rançon. Et
pour en finir à propos de la chanson, j’invite à considérer la
relation assez étrange et farce entre Lamme et son prisonnier.
Je
conclurai, dit Lucien l’âne. Tissons le linceul de ce vieux monde
emprisonneur, intoxiqué, autodestructeur, dominateur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Les
poules repues de graines
Restent
sourdes aux appels de Chantecler,
Le
vent de la mer a oublié l’hiver,
Lors,
Till harangue soudards et marins.
« Par
un placard singulier,
Le
duc de sang a imposé encore
Ruine,
faim et mort.
Aux
gens par lui déjà rançonnés,
Tous
ceux qui, à sa royale volonté,
Ne
se soumettront de bon gré,
Par
sa Royale Majesté seront éliminés
Et
leurs logis iront aux soudards étrangers.
La
lime arase la dent de la vipère ;
Nous
limerons la dent du vieux Monde
Et
nous sauverons de la haine immonde
Des
furieux, la terre des pères.
Albe,
le sang te soûle !
Nous
ne croyons pas à ta clémence,
Nous
ne craignons pas plus tes menaces
Que
les soubresauts de la houle.
Jusqu’Anvers,
descendons l’Escaut !
Nous
irons accoster au Pier
Pour
prendre hommes, vaisseaux,
Bateaux
et navires.
En
ville, en plein jour, compagnons,
Tous
les prisonniers, nous délivrerons,
Certains
bourgeois nous emmènerons
Afin
d’en tirer juste rançon.
Le
fils de l’amiral est ici en otage
Dans
une de ces maisons à étages,
Cherchons-le
pour le libérer
Et
le ramener à bord sans tarder.
Lamme
avise un moine capon,
Pansu,
pansard, très gras, très gros,
Le
happe soudain par le capuchon
Et
devant lui, le pousse au trot.
« Cent
florins de rançon, au moins !
Trousse
ton bagage et marche devant,
Sac
à lard, ventre à soupe, boudine à boudin ! »
Pataud,
pitaud, le moine court lentement.