La
Confination
Lettre
de prison 22
28
mai 1935
Carlo Rosselli
Peinture de Carlo Levi |
Dialogue
Maïeutique
Lors
donc, Lucien l’âne mon ami, nous voici au 28 mai 1935 et la lettre
de Levi parle de confination.
Au
fait, questionne Lucien l’âne, qu’entend-on exactement par
confination ? – autant éclaircir les choses dès le début.
C’est
nécessaire, en effet, Lucien l’âne mon ami, d’autant plus que,
comme tu le sais certainement, quand on change de langue, il faut
changer de mot et même que d’un pays à l’autre, pour ce qui est
apparemment la même chose, dans la pratique, les choses soient très
différentes. C’est le cas ici. Je m’explique en ce qui concerne
ce terme de confination. J’avais au départ imaginé utiliser le
mot relégation, car c’était le mot ou plutôt la chose qui se
rapprochait le plus de ce que désigne en italien, le mot
« confino ». Donc, la relégation est une sanction pénale
française qui, en gros, oblige quelqu’un – le relégué – à
résider ou à être interné hors du territoire métropolitain –
c’est-à-dire fort loin, car le but est de se débarrasser de
condamnés particulièrement dangereux. Excellente définition, mais
elle ne s’applique pas aux condamnés « politiques »,
auquel s’applique la déportation, terme auquel j’aurais dû
finalement me rallier. Maintenant, le mot italien est « confino »
et il s’agit d’une « Pena restrittiva della libertà
personale consistente nell’obbligo di dimorare in un luogo
appartato e lontano. Trasformato nel 1930… » – « Peine
restrictive de la liberté personnelle consistant en l’obligation
de demeurer dans un lieu à l’écart et lointain… Transformé en
1930… » en une sanction politique qui relève de l’Ovra et
du Tribunal spécial, dont dépendent ces « magistrats »
et « fonctionnaires » qui s’occupent du cas de Carlo
Levi ; ce sont eux qu’il rencontre et qui l’interrogent et
le surveillent depuis des années. Donc, ici, j’allais dire
« déportation » et non, ce serait encore inexact. J’ai
finalement opté pour le néologisme « confination », du
moins dans cette acception particulière. Cette « confination »
est donc un exil intérieur, dans un lieu isolé dans région reculée
ou dans une île.
Si je
résume, Marco Valdo M.I., tu as dû trouver un mot particulier pour
désigner une pratique particulière, le « confino » ou
l’exil intérieur à l’italienne, exil qui nécessite un pays
assez grand pour créer l’éloignement. On a tous en mémoire
l’exemple de la Russie où trouver de l’éloignement à
l’intérieur du pays est assez simple.
Donc,
Lucien l’âne mon ami, cette « confination », ce
« confino », comme je viens de te le signaler, venait
d’être « adapté » aux besoins du régime fasciste en
en confiant la gestion au tribunal spécial et à l’Ovra
(police politique), car le-dit régime fasciste ne pouvait se
permettre d’exiler ses opposants, car ils avaient alors tendance à
se grouper, à s’organiser et à organiser la résistance à partir
de l’étranger ; il pouvait encore moins les fusiller, c’était
gênant pour l’image du régime vis-à-vis de la population, mais
surtout de l’étranger et il ne voulait (ni ne pouvait) laisser les
opposants sur place dans leur milieu de vie et d’influence et au
cœur de leur réseau de connaissances et d’organisation. Il lui
fallait couper les têtes sans les couper ; il fallait étêter
l’opposition – sans assassiner comme il l’avait fait pour
Giacomo Matteotti et comme il le fera, un peu plus tard, pour les
frères Carlo et Nello Rosselli. Ainsi, le mot « confination »,
c’est le point central de cette canzone, de cette lettre qui
annonce les décisions à venir et comme c’était le but et la
nécessité depuis le départ, il s’agit pour Carlo Levi de ménager
sa famille, mais surtout de transmettre l’information par ce biais
à « qui de droit », comme on dit. Le reste de la lettre
est une variation sur les thèmes usuels : le temps, le
plaidoyer d’innocence et les préoccupations d’artiste.
Voyons
voir ça, dit Lucien l’âne, et reprenons notre tâche et tissons
le linceul de ce vieux monde carcéral, assassin, menteur, bluffeur
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
J’attends
avec plaisir
Le
moment de sortir
Au
soleil pour m’allonger
Dans
la cour et le laisser
Doucement
me réchauffer.
Cette
histoire de prison
Qui
s’est répétée
Est
un habit de confection,
Une
soupe réchauffée,
Une
chose connue, une resucée.
Prison
et peine
N’ont
pas de sens
Pour
l’innocence
Et
la conscience
Est
souveraine.
Ils
m’ont avoué cette fois
Qu’ils
vont m’envoyer en confination,
Car
je suis suspect par mes relations
Politiques.
Mais je suis peintre, moi,
Qu’ai-je
à faire de tout ça ?
Donc,
ce sera la confination,
Sauf
si je convaincs la Commission
De
mon absolue innocence.
En
cela, j’ai tout à fait confiance ;
On
ne peut que me donner raison.
Où
en est l’exposition ?
Et
de mon prix, que sait-on ?
Mais
j’oublie
On
ne donne pas un prix
À
un bandit.