L’Algérien
Chanson
française – L’Algérien
– Patrick Font – 1972
Dialogue
Maïeutique
La
guerre d’Algérie est déjà de l’Histoire ancienne, presqu’aussi
ancienne dans la mémoire des gens d’aujourd’hui que les guerres
mondiales, déclare Marco Valdo M.I.
Oui,
dit Lucien l’âne, elle date de plus d’un demi-siècle. C’est
déjà un bon bout de temps.
Imagine
Lucien l’âne mon ami que sur les 42 000 000 d’Algériens
actuellement en Algérie, seuls les gens de plus de 60 ans, soit
environ 5 % auront vécu durant cette guerre et plus de la
moitié de la population a moins de 30 ans. Cependant, sauf peut-être
pour de vieux Pieds-Noirs ou de vieux harkis ou les vieux d’Algérie,
elle ne fait plus l’actualité, même si le FLN (Front de
Libération Nationale) est encore toujours au pouvoir ; mais, il
a perdu l’aura qu’il avait vers 1960, au moment de
l’indépendance.
En
effet, dit Lucien l’âne, l’Algérie n’est plus ce qu’elle
était ou ce qu’on a cru ou espéré qu’elle pourrait être. Elle
n’est pas la seule dans ce cas, on dirait même que c’est une
sorte d’évolution naturelle. Avec le temps, les États (et leurs
dirigeants, leurs élites) se sclérosent et paralysent leur
environnement, l’empoisonnent ou l’étouffent.
Il
y a certainement de ça et nous ne pouvons que le constater, reprend
Marco Valdo M.I. ; pourtant, la chanson même si elle s’intitule
« L’Algérien » ne pare directement ni de l’Algérie,
ni de la guerre d’Algérie, même si, à la réflexion, elle baigne
dedans. Elle est une lettre adressée par un Français à un de ses
amis Algériens, qui dix ans après l’indépendance, après des
années de travail immigré en France, vraisemblablement à Paris,
est retourné au pays. C’est une lettre d’adieu, car les deux
amis savent ou sentent qu’ils ne se reverront jamais. Elle raconte
avec nostalgie leur amitié et l’espoir d’une future « mythique »
retrouvaille. Elle
me fait penser à ce Flamenco
de Paris de Léo Ferré, qui dit :
« Toi
mon ami l’Espagnol
de la rue de Madrid »
En
fait, si je comprends bien, dit Lucien l’âne, si ce sont des amis
depuis un certain temps, ils devaient être amis depuis un certain
temps déjà et pour eux, la guerre était encore toute proche, toute
chaude.
À
mon sens, précise Marco Valdo M.I., ce sont d’incorrigibles
pacifistes, pour, sur les cendres d’une guerre qui avait fait
environ 350 000 morts algériens en moins d’une dizaine d’années,
vouloir bâtir une amitié entre des gens des camps adverses. Un peu
comme si, au cours de la guerre de 1914-18, un poilu avait fait
ami-ami avec un fritz.
Certes,
dit Lucien l’âne, il faut du courage, de la conscience, de la
confiance et de la volonté pour affirmer son humanité au milieu du
délire binaire et massacreur, face aux nationalismes des camps.
Ce
que tu dis, Lucien l’âne mon ami, est vrai pour ces deux amis de
la chanson, mais aussi et même surtout, pour celui qui l’a écrite
et qui l’a chantée en public ces années de tout-après-guerre. On
lui en a beaucoup voulu.
Je
pense qu’on en a dit assez à propos de la chanson ; alors,
tissons le linceul de ce vieux monde guerrier, nationaliste, binaire,
vindicatif, absurde et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Depuis
que tu es reparti
Retrouver
dans ton Algérie
Tout
ce qui te manquait chez nous,
Tu
nous manques un peu
Et
tu me croiras si tu veux,
Tu
nous manques même beaucoup.
Tu
nous disais qu’avec le temps,
On
oublierait les bons moments.
Hélas,
tu n’étais pas prophète,
Car
le temps passe et tu verras,
Quand
tu liras cette lettre,
Que
les copains ne t’oublient pas.
Dans
Paris que tu aimais bien,
Il
y a de plus en plus d’Algériens,
Il
en arrive tous les jours.
Comme
disent les gens civilisés,
On
sera bientôt colonisés;
Moi,
je leur dis chacun son tour.
Ils
ont des yeux de pauvre chien
Qui
me rappellent un peu les tiens
Lorsque
nous avons fait connaissance.
Je
ne sais plus pourquoi on s’est parlé,
Mais
je sais qu’on ne s’est plus quittés
Jusqu’à
ce que tu quittes la France.
Aujourd’hui,
c’est comme autrefois,
Tous
les Arabes sont en proie
Aux
quolibets des imbéciles.
Tous
les Arabes ont des surnoms :
Bicots,
bougnoules, ratons –
Tu
parles d’un état-civil.
On
a des fourmis dans les poings
Quand
la vue d’un Nord-Aricain
Fait
déblatérer les minables ;
Mais
s’il fallait cogner les cons,
Il
faudrait un marteau-pilon
D’une
taille incommensurable.
Comment
se portent tes enfants
Que
tu nous montrais en ouvrant
Ton
portefeuille en peau de chagrin ?
La
photo était si râpée
Qu’il
nous fallait deviner,
Mais
tu nous en parlais si bien
Que
malgré la distance qui
Nous
séparait de ton pays,
On
les voyait mieux qu’en image
Et
le parasol du café
Se
changeait alors en palmier,
Le
court espace d’un mirage.
Et
puis l’automne a rappliqué,
Les
parasols ont replié
Les
feuilles qui nous abritaient.
Alors,
avec tous les oiseaux,
Tu
as rejoint les pays chauds
En
nous disant, je reviendrai.
On
a dit oui en sachant bien
Que
tu mentais comme un chrétien,
Sacré
Bon Dieu de fils de ta race !
Le
jour où on se reverra,
Je
suis certain qu’il y aura
De
vrais palmiers sur la terrasse.