Texte et musique de Gianfranco Manfredi
Album :Ma non è una malattia (Ce n'est pas une maladie)
Cette
fois, mais c'est souvent le cas, je t'apporte une chanson à haute
teneur poétique, une chanson de haute intensité mentale, une
chanson qui parle au cœur et à l'esprit.
Je
me réjouis déjà de te l'entendre dire, Marco Valdo M.I. mon ami,
dit l'âne Lucien en souriant. C'est toujours un plaisir de découvrir
une nouvelle chanson et ce plaisir se multiplie dans son attente de
ce que tu m'annonces là. Mais, dis-moi vite ce qu'elle raconte cette
chanson, de quoi elle parle, qui l'a écrite... Enfin, tout ce qu'il
te plaira de raconter...
Ah,
Lucien l'âne mon ami, j'aime beaucoup que tu aimes ce que je te
mitonne et aussi que tu réagisses avec tant enthousiasme à mes
annonces. Et puis, tu fais bien de poser toutes ces questions, car en
effet, l'intérêt d'une chanson tient à ce qu'elle raconte, à
l'auteur, à la façon dont elle raconte les choses, d'où elle
vient...
D'abord
l'auteur, si tu veux bien.
En
deux mots, Gianfranco Manfredi est né à la moitié du siècle
dernier et avait vingt ans en 1968 – ce qui le situe déjà assez
bien. Ses parents enseignaient la musique. Lui a fait des études de
philosophie dans des années assez agitées en des temps où les
intellectuels ne trahissaient pas tous, ne s'alignaient pas tous
systématiquement du côté des riches et des puissants.
Je
vois, je vois, dit Lucien l'âne en avançant un sabot noir comme la
nuit sans lune. Par parenthèse, ce mal (la trahison des clercs) a
été récemment analysé et dénoncé par Andrea Camilleri qui
disait, c'était au début novembre : « La mauvaise santé
de l'Italie aujourd'hui est due aussi à cette sorte de mélasse dans
laquelle tous se roulent et à la conformisation qui en découle. Un
jeune intellectuel qui commence à émerger aujourd'hui, n'émerge
pas car il représente une voix hors chœur mais précisément car il
sait incarner mieux que tout autre, un désir dominant de
non-engagement, de non participation... » et il conclut :
« Mais je dois le dire avec beaucoup de déplaisir – les
intellectuels d'aujourd'hui n'ont même pas conscience de leur
trahison ». Pour le reste, je te renvoie à son récent article
« Alla ricerca dell’impegno perduto », titre proustien
s'il en est.
[http://temi.repubblica.it/micromega-online/camilleri-alla-ricerca-dellimpegno-perduto/]
De
fait, ce mal est pernicieux et frappe de stupeur – à quelques
rares exceptions – les intellectuels dans toute l'Europe, sinon
dans le monde. La trahison des clercs est universelle. En fait, ce
sont les courtisans du système. Ils en recueillent avec componction
les prébendes. Mais, assez causé de cela. J'en viens à la
chanson... De qui, de quoi parle-t-elle ? Du moins, la version
que j'en ai tirée. Mais d'abord, il convient de préciser son
titre : « MAIS
QUI A DIT QU’ELLE N'EXISTE PAS », qui, tu en conviendras, est
assez énigmatique. Laissons de côté tout le reste et voyons
l'essentiel, à savoir qui est cette « elle », dont
certains disent qu'« elle n'existe pas ». Je
vois deux hypothèses... Ce peut être soit la liberté, soit la
révolution ; mais j'imagine mieux la chose avec l'une englobant
l'autre ou alors, les deux ensemble. Il y a quand même un indice :
la taupe.
Mais
que vient donc faire une taupe dans cette histoire ? D'où
sort-elle celle-là ? Que peut-elle bien signifier ?, dit
Lucien l'âne en fronçant les sourcils et en ramenant ainsi ses
oreilles vers l'avant esquissant ainsi une jolie grimace.
Je
te raconte vite cette histoire de taupe et tu verras en effet qu'elle
n'est si anodine. Ainsi, la première apparition de la taupe remonte
à Shakespeare et à la réponse qu'Hamlet fait au spectre de son
père qui remue la terre de sa tombe...
Et
rappelle-moi ce que dit Hamlet..., dit l'âne Lucien vivement
intéressé.
Je
te cite la traduction française : « Bien dit, vieille
taupe ! Peux-tu donc travailler si vite sous terre ?.
L'excellent pionnier ! ». Et bien des années plus tard,
nouvelle apparition de la même taupe chez le philosophe
allemand Hegel, que je te cite : « Il
arrive souvent que l'esprit s'oublie, se perde ; mais à l'intérieur
il est toujours en opposition avec lui-même ; il est progrès
intérieur - comme Hamlet dit de l'esprit de son père : 'Bien
travaillé, vieille taupe!" - jusqu'à ce qu'il trouve en
lui-même assez de force pour soulever la croûte terrestre qui le
sépare du soleil [...] L'édifice sans âme, vermoulu, s'écroule et
l'esprit se montre sous la forme d'une nouvelle jeunesse. ».
Ah,
dit Lucien l'âne, voilà qui est intéressant. Mais ce serait donc
l'esprit et non la liberté ou la révolution...
Attends
la suite avant de te prononcer, car la voici revenue notre taupe
dans le discours de Karl Marx et là, il s'agit de la révolution :
« Nous
reconnaissons notre vieille amie, notre vieille taupe qui sait si
bien travailler sous terre pour apparaître brusquement… » et
enfin, j'ai encore repéré sa trace chez Rosa Luxemburg, qui
disait : « vieille
taupe, tu as fait du bon travail ! ... Impérialisme ou socialisme.
Guerre ou révolution, il n'y a pas d'autre alternative ! »
Dès lors, la présence de la taupe, comme tu le vois, impose inévitablement l'idée de révolution. Enfin, liberté ou révolution se confondent finalement, vues de ce côté-ci de la barrière – je veux dire du côté où se situent la chanson, Gianfranco Manfredi, Andrea Camilleri et toi et moi et des millions d'autres... dans cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin d'accroître leur domination, de renforcer l'exploitation, d'étendre leurs possessions, de multiplier leurs profits, de protéger leurs privilèges, de magnifier leurs richesses.
Dès lors, la présence de la taupe, comme tu le vois, impose inévitablement l'idée de révolution. Enfin, liberté ou révolution se confondent finalement, vues de ce côté-ci de la barrière – je veux dire du côté où se situent la chanson, Gianfranco Manfredi, Andrea Camilleri et toi et moi et des millions d'autres... dans cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin d'accroître leur domination, de renforcer l'exploitation, d'étendre leurs possessions, de multiplier leurs profits, de protéger leurs privilèges, de magnifier leurs richesses.
Alors,
bienvenue à cette chanson, un « poing levé » (en
italien : « pugno chiuso ») à son auteur et à tous
ceux de ce côté de la barrière et reprenons notre tâche de
« taupes », creusons le tombeau de ce vieux système
(comme disait Hamlet : « Notre
époque est détraquée. Maudite fatalité... ») et
tissons le linceul de ce vieux monde marchand, étouffant,
conformiste, ennuyeux, mensonger et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
On
la trouve dans le fond de tes yeux
À
la pointe de tes lèvres
On
la trouve dans ton corps réveillé
La
fin du péché
La
courbe de tes flancs
La
chaleur de ton sein
Au
plus profond de ton ventre
Dans
l'attente du matin
On
la trouve dans le rêve réalisé
On
la trouve dans le pistolet-mitrailleur poli
Dans
la joie, dans la rage
La
destruction de la cage
La
mort de l'école
Le
refus du travail
L'usine
déserte
Ta
maison sans porte
On
la trouve dans l'imagination
La
musique sur l'herbe
On
la trouve dans la provocation
Le
travail de la taupe
L'histoire
du futur
Le
présent sans histoire
Les
moments d'ivresse
Les
instants de mémoire
On
la trouve dans le noir de la peau
Dans
la fête collective
Elle
emporte la marchandise
Elle
te prend la main
Elle
incendie Milan
Elle
lance les pavés
Les
pierres sur les blindés
Elle
cogne sur les fascistes
On
la trouve dans les rêves des voyous
Dans
les jeux des enfants
La
connaissance du corps
L'orgasme
de l'esprit
L'envie
dévorante
Le
discours transparent.
Qui
a dit qu'elle n'existe pas
Qui
a dit qu'elle n'existe pas
On
la trouve dans le fond de tes yeux
À
la pointe des lèvres
On
la trouve dans le pistolet-mitrailleur poli
Dans
la fin de l'État
Elle
existe, elle existe. Oui qu’elle existe.
Mais
qui a dit qu'elle n'existe pas...