jeudi 28 novembre 2013

MAIS QUI A DIT QU’ELLE N'EXISTE PAS


MAIS QUI A DIT QU’ELLE N'EXISTE PAS

Version française - MAIS QUI A DIT QU’ELLE N'EXISTE PAS – Marco Valdo M.I. – 2013
Chanson italienne – Ma chi ha detto che non c'è – Gianfranco Manfredi – 1976

Texte et musique de Gianfranco Manfredi
Album :Ma non è una malattia (Ce n'est pas une maladie)




Cette fois, mais c'est souvent le cas, je t'apporte une chanson à haute teneur poétique, une chanson de haute intensité mentale, une chanson qui parle au cœur et à l'esprit.


Je me réjouis déjà de te l'entendre dire, Marco Valdo M.I. mon ami, dit l'âne Lucien en souriant. C'est toujours un plaisir de découvrir une nouvelle chanson et ce plaisir se multiplie dans son attente de ce que tu m'annonces là. Mais, dis-moi vite ce qu'elle raconte cette chanson, de quoi elle parle, qui l'a écrite... Enfin, tout ce qu'il te plaira de raconter...

Ah, Lucien l'âne mon ami, j'aime beaucoup que tu aimes ce que je te mitonne et aussi que tu réagisses avec tant enthousiasme à mes annonces. Et puis, tu fais bien de poser toutes ces questions, car en effet, l'intérêt d'une chanson tient à ce qu'elle raconte, à l'auteur, à la façon dont elle raconte les choses, d'où elle vient...


D'abord l'auteur, si tu veux bien.


En deux mots, Gianfranco Manfredi est né à la moitié du siècle dernier et avait vingt ans en 1968 – ce qui le situe déjà assez bien. Ses parents enseignaient la musique. Lui a fait des études de philosophie dans des années assez agitées en des temps où les intellectuels ne trahissaient pas tous, ne s'alignaient pas tous systématiquement du côté des riches et des puissants.


Je vois, je vois, dit Lucien l'âne en avançant un sabot noir comme la nuit sans lune. Par parenthèse, ce mal (la trahison des clercs) a été récemment analysé et dénoncé par Andrea Camilleri qui disait, c'était au début novembre : « La mauvaise santé de l'Italie aujourd'hui est due aussi à cette sorte de mélasse dans laquelle tous se roulent et à la conformisation qui en découle. Un jeune intellectuel qui commence à émerger aujourd'hui, n'émerge pas car il représente une voix hors chœur mais précisément car il sait incarner mieux que tout autre, un désir dominant de non-engagement, de non participation... » et il conclut : « Mais je dois le dire avec beaucoup de déplaisir – les intellectuels d'aujourd'hui n'ont même pas conscience de leur trahison ». Pour le reste, je te renvoie à son récent article « Alla ricerca dell’impegno perduto », titre proustien s'il en est. [http://temi.repubblica.it/micromega-online/camilleri-alla-ricerca-dellimpegno-perduto/]


De fait, ce mal est pernicieux et frappe de stupeur – à quelques rares exceptions – les intellectuels dans toute l'Europe, sinon dans le monde. La trahison des clercs est universelle. En fait, ce sont les courtisans du système. Ils en recueillent avec componction les prébendes. Mais, assez causé de cela. J'en viens à la chanson... De qui, de quoi parle-t-elle ? Du moins, la version que j'en ai tirée. Mais d'abord, il convient de préciser son titre : « MAIS QUI A DIT QU’ELLE N'EXISTE PAS », qui, tu en conviendras, est assez énigmatique. Laissons de côté tout le reste et voyons l'essentiel, à savoir qui est cette « elle », dont certains disent qu'« elle n'existe pas ». Je vois deux hypothèses... Ce peut être soit la liberté, soit la révolution ; mais j'imagine mieux la chose avec l'une englobant l'autre ou alors, les deux ensemble. Il y a quand même un indice : la taupe.


Mais que vient donc faire une taupe dans cette histoire ? D'où sort-elle celle-là ? Que peut-elle bien signifier ?, dit Lucien l'âne en fronçant les sourcils et en ramenant ainsi ses oreilles vers l'avant esquissant ainsi une jolie grimace.

Je te raconte vite cette histoire de taupe et tu verras en effet qu'elle n'est si anodine. Ainsi, la première apparition de la taupe remonte à Shakespeare et à la réponse qu'Hamlet fait au spectre de son père qui remue la terre de sa tombe...

Et rappelle-moi ce que dit Hamlet..., dit l'âne Lucien vivement intéressé.


Je te cite la traduction française : « Bien dit, vieille taupe ! Peux-tu donc travailler si vite sous terre ?. L'excellent pionnier ! ». Et bien des années plus tard, nouvelle apparition de la même taupe chez le philosophe allemand Hegel, que je te cite : « Il arrive souvent que l'esprit s'oublie, se perde ; mais à l'intérieur il est toujours en opposition avec lui-même ; il est progrès intérieur - comme Hamlet dit de l'esprit de son père : 'Bien travaillé, vieille taupe!" - jusqu'à ce qu'il trouve en lui-même assez de force pour soulever la croûte terrestre qui le sépare du soleil [...] L'édifice sans âme, vermoulu, s'écroule et l'esprit se montre sous la forme d'une nouvelle jeunesse. ».


Ah, dit Lucien l'âne, voilà qui est intéressant. Mais ce serait donc l'esprit et non la liberté ou la révolution...


Attends la suite avant de te prononcer, car la voici revenue notre taupe dans le discours de Karl Marx et là, il s'agit de la révolution : « Nous reconnaissons notre vieille amie, notre vieille taupe qui sait si bien travailler sous terre pour apparaître brusquement… » et enfin, j'ai encore repéré sa trace chez Rosa Luxemburg, qui disait : « vieille taupe, tu as fait du bon travail ! ... Impérialisme ou socialisme. Guerre ou révolution, il n'y a pas d'autre alternative ! »
Dès lors, la présence de la taupe, comme tu le vois, impose inévitablement l'idée de révolution. Enfin, liberté ou révolution se confondent finalement, vues de ce côté-ci de la barrière – je veux dire du côté où se situent la chanson, Gianfranco Manfredi, Andrea Camilleri et toi et moi et des millions d'autres... dans cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin d'accroître leur domination, de renforcer l'exploitation, d'étendre leurs possessions, de multiplier leurs profits, de protéger leurs privilèges, de magnifier leurs richesses.

Alors, bienvenue à cette chanson, un « poing levé » (en italien : « pugno chiuso ») à son auteur et à tous ceux de ce côté de la barrière et reprenons notre tâche de « taupes », creusons le tombeau de ce vieux système (comme disait Hamlet : « Notre époque est détraquée. Maudite fatalité... ») et tissons le linceul de ce vieux monde marchand, étouffant, conformiste, ennuyeux, mensonger et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



On la trouve dans le fond de tes yeux
À la pointe de tes lèvres
On la trouve dans ton corps réveillé
La fin du péché
La courbe de tes flancs
La chaleur de ton sein
Au plus profond de ton ventre
Dans l'attente du matin

On la trouve dans le rêve réalisé
On la trouve dans le pistolet-mitrailleur poli
Dans la joie, dans la rage
La destruction de la cage
La mort de l'école
Le refus du travail
L'usine déserte
Ta maison sans porte

On la trouve dans l'imagination
La musique sur l'herbe
On la trouve dans la provocation
Le travail de la taupe
L'histoire du futur
Le présent sans histoire
Les moments d'ivresse
Les instants de mémoire

On la trouve dans le noir de la peau
Dans la fête collective
Elle emporte la marchandise
Elle te prend la main
Elle incendie Milan
Elle lance les pavés
Les pierres sur les blindés
Elle cogne sur les fascistes
On la trouve dans les rêves des voyous
Dans les jeux des enfants
La connaissance du corps
L'orgasme de l'esprit
L'envie dévorante
Le discours transparent.

Qui a dit qu'elle n'existe pas
Qui a dit qu'elle n'existe pas

On la trouve dans le fond de tes yeux
À la pointe des lèvres
On la trouve dans le pistolet-mitrailleur poli
Dans la fin de l'État

Elle existe, elle existe. Oui qu’elle existe.
Mais qui a dit qu'elle n'existe pas...