mardi 23 janvier 2018

Rotatives

Rotatives

Chanson française – RotativesGuy Béart – 1968

Dialogue maïeutique

Voici, Lucien l’âne mon ami, une chanson de Guy Béart, chanteur au répertoire polymorphe et gigantesque. Il a tenu la scène soixante ans et comme pour presque tous les chanteurs – à part Georges Brassens et Jacques Brel, bien de ses compositions et de ses interprétations sont méconnues. Si je dis ça, ce n’est pas que j’ai l’intention de te bassiner avec l’interminable énumération de ces chansons, ni même d’en tenter une docte classification par thèmes ; je dis ça, car j’ai un peu l’impression que Guy Béart est un de ces créateurs dont l’interlocuteur se contente de se rappeler l’une ou l’autre de ses chansons qui eurent du succès aux temps de sa jeunesse – à l’interlocuteur. « Ah, Guy Béart ! L’eau vive… Vive la Rose et tout ça… » 
Précisément, « Et tout ça … ». 
Mais la chanson n’a pas d’âge, et si le compositeur, le chanteur disparaît, elle reste. La chanson homérique, autrement l’Iliade et l’Odyssée, n’ont pas d’âge ou elles en ont un tellement plein de sons et de furie qu’on l’entendra encore avec passion dans les siècles des siècles. Il en est de plus secrètes, de plus discrètes que le temps a tenté d’effacer et qui d’un coup de cœur reviennent à l’oreille ou à la voix intérieure de l’un d’entre nous. Et c’est ainsi que les chansons vivent !

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, te voilà encore dans un vol planant au-dessus du marigot et des cagots et au passage, tu fais la peau aux ragots. Tout cela est fort bien, mais dis-nous quand même quelques mots de la chanson.

Lucien l’âne mon ami, si Guy Béart n’était vraiment pas un parigot, vu qu’il était venu du Caire en passant par le Mexique et le Liban, il a fait son chemin à Paris aussi. C’est fou d’ailleurs les chanteurs français qui ont fait leur chemin à Paris et qui sont des étrangers et pas seulement des chanteurs. Ça me rappelle cette phrase que Pierre Dac fait dire à De Gaulle : « Et si la France n’était pas la France, tous les Français seraient des étrangers ».

Oh, oh, Marco Valdo M.I., de la même façon, mais avec moins de prestance, l’actuel Président des Zétazunis pourrait déclarer dans un moment de lucidité : « Et si les Zétazunis étaient l’Amérique, tous les Zétazuniens (sauf les Indiens) seraient des étrangers ».

Très juste, il devrait le méditer, ajoute Marco Valdo M.I. Maintenant, revenons un instant à la chanson qui, en fait, ne demande pas beaucoup de commentaires, tant elle est précise dans son attaque. Quoique… Son sujet est la presse de cancans, centrées sur les stars ou sur les princesses anglaises… Lady machin et Sir truc ; les amants de l’une, les amants de l’autre. C’est encore d’actualité. Par exemple :

« Les princes des manchettes
Que l’on anoblira
Grâce à la caméra. »

Facile dit Lucien l’âne, ce devait être Grâce Kelly, une jolie actrice américaine, devenue princesse de Monaco.

Exact, Lucien l’âne mon ami. Il y en a eu de plus récentes de ces aventures rutilantes ou de ces romances de caniveau, pour lesquelles les rotatives – machines à tirer les grands tirages s’emballent. On ne citera pas de noms, il n’est pas dans nos habitudes de tirer sur les corbillards de ces messieurs qui dévergondaient les très jeunes demoiselles, même si les rotatives bénissaient leurs apparitions. On vend de la merde, mais ça cache le sang ; on vend de la princesse et du scandale aseptisé, ainsi on embrouille la réalité.

En effet, Marco Valdo M.I. mon ami, tournez, tournez rotatives, il faut rattraper les télés, qui décidément courent plus vite dépecer la charogne. Quant à nous, on se limitera à notre tâche et à tisser, tisser le linceul de ce monde nauséabond, puant, suant, odoriférant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Quand le soleil est sage,
Il nous faut des orages,
Du sang, des sensations
Et des superstitions.
Dans les hebdomadaires,
Vivants mais légendaires,
Renaissent les héros
Des contes de Perrault.
Le monde est un spectacle,
Il nous faut des miracles,
Des meurtres, des amants
Et des enterrements.
Chantons les marionnettes,
Les princes des manchettes
Que l’on anoblira
Grâce à la caméra.

Tournez, tournez rotatives
Pour les âmes sensitives
À tout cœur et à tout sang,
À la prochaine, je descends.
Le métro chante sa chanson grise,
Je n’ai pas trouvé de place assise.
Il me faut pour tenir le coup,
Une histoire à dormir debout.

Souffrez que je présente,
Une fille qui chante :
Voici la cendrillon de nos microsillons.
Elle n’a pas de souffle,
Mais gagne une pantoufle.
Qui va la remplacer,
C’est le petit Poucet.
Cette jeune starlette,
D’un seul coup de baguette
De son impresario,
A perdu son maillot,
Mais le bon photographe
A corrigé la gaffe
Avant que vienne un flic
Qui presse le déclic.

Tournez, tournez rotatives,
Pour les âmes sensitives !
À tout cœur et à tout sang
À la prochaine je descends
Le métro chante sa chanson grise
Je n’ai pas trouve de place assise
Il me faut pour tenir le coup
Une histoire à mourir debout.

La commère bavarde,
Mais c’est Shérazade.
Nous sommes tout autant
Ses lecteurs, ses sultans.
Qui a le vent en poupe ?
C’est Riquet à la Houppe
Qui malgré sa laideur
En amour est vainqueur.
C’est dans une clinique
Que la quenouille pique ;
La belle au bois dormant
Boit des médicaments
Ou bien, c’est pas de chance,
Elle attend la naissance
D’un rejeton royal
Pourvu qu’il soit normal
Et lorsque le sang coule
Sur les fous, sur les foules,
S’il va du bon côté,
Ça peut se raconter ;
Mais s’il peut faire tache,
De grâce qu’on le cache
Sous la soie des papiers
Des mariages princiers.
Si les sorciers nous mentent
Et si la vie augmente
Pourquoi crier : À bas
Le Marquis de Carabas !
Puisqu’à toutes les pages
De nos revues d’images,
Pour nous réconforter,
Il y a ces chats bottés.

Tournez, tournez rotatives !