Les Trente Copains
Chanson
française – Les
Trente
Copains
–
Marco Valdo M.I. – 2020
Scènes
de la vie quotidienne au temps de la
Guerre de Cent Mille Ans.
Histoire
tirée du roman « Johnny et les Morts » – du moins de
la traduction française de Patrick Couton de « Johnny and the
Dead » de Terry Pratchett. (1995)
Dialogue
Maïeutique
Comme
tu le sais sans doute,
Lucien
l’âne mon
ami,
tout
comme l’appellation « camarade » signifie – du moins,
c’est son sens originel – « quelqu’un avec qui on partage
la chambre ou la chambrée, l’appellation « copain »,
comme celle toute proche de « compagnon », indique
« quelqu’un avec qui on partage le pain ». Ce sont des
expressions qui proviennent du langage militaire.
Oui,
mais encore, demande Lucien l’âne. Pourquoi me parles-tu de toute
cette étymologie ?
Précisément,
répond Marco Valdo M.I., parce que la chanson raconte l’histoire
de copains, d’une bande de trente copains qui partent ensemble à
la guerre. Ils y vont comme un groupe de supporteurs, heureux et
triomphants s’en vont un dimanche loin de chez eux pour encourager
leur équipe favorite. Ils partent joyeux et pleins d’entrain, sûrs
de la victoire. C’était en 1916 quelque part en Angleterre :
en l’occurrence à Blackbury, mais ce pouvait être ailleurs ;
c’était un mouvement euphorique qui emportait les jeunes gens. Ce
Blackbury dont nous hantons le cimetière et racontons les morts «
presque
célèbres »
depuis quelques chansons :
Le
Cimetière,
Le
Taxidermiste,
Le
Syndicaliste,
L’Illusionniste,
La
Suffragette,
Le
Footballiste et L’Inventeur.
Trop
d’enthousiasme, un grégarisme aigu, mais bien sûr, je sais que
c’est le cas de nombreux hommes, dit Lucien l’âne. Moi, on ne
m’aurait pas dans une aventure aussi stupide ; c’est bon
pour les moutons. Moi, j’aime la
mauvaise herbe, celle que raconte Tonton Georges :
« Les
hommes sont faits, nous dit-on,
Pour vivre en bande, comme les moutons.
Moi, je vis seul, et c’est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin. »
Pour vivre en bande, comme les moutons.
Moi, je vis seul, et c’est pas demain
Que je suivrai leur droit chemin. »
Donc,
continue Marco Valdo M.I., ils
s’en vont à la guerre et après quatre semaines et
c’est court quatre semaines, à la première offensive, la grande
offensive de la Somme, supportée par les troupes britanniques (les
troupes françaises étaient occupées à Verdun, à l’autre bout
du front), qui fit des dizaines de milliers de morts, vingt-neuf
sur trente des copains étaient tués. Un seul a survécu à cette
bataille et à la guerre.
En
somme, dit Lucien l’âne, ces jeunes gars sont célèbres (presque)
de n’être plus ; célèbres par leur mort anonyme, mais
ensemble,
tous ensemble et dès lors, surtout
par la cohésion de leur groupe jusque dans l’anéantissement.
Pourtant,
si j’ai bien suivi, il n’y en a que vingt-neuf qui sont morts et
la question se pose de savoir ce qu’est devenu le trentième.
Oui,
répond Marco Valdo M.I., telle est la question. Être mort ou ne pas
être mort, le survivant se la posera jusqu’à la fin. Je vais te
répondre et ainsi conclure cette histoire, cette parodie, calquée
sur l’Anthologie de Spoon River (1915) du poète étazunien Edgar
Lee Master.
Oh,
interrompt Lucien l’âne, soit dit en passant, ça me rappelle
Victor Hugo :
Si
l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si
même
Ils
ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ;
S’il
en demeure dix, je serai le dixième ;
Et
s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »
Il
n’en reste qu’un, en effet, dit Marco Valdo M.I., et c’est
Thomas Atkins – ancêtre putatif de tous les Tommies – qui
tentera d’atteindre le siècle suivant et dans le même temps,
manquera de peu, d’à peine quelques années, d’être centenaire
avec
pour toute compagnie, le personnel de la Résidence du Soleil, un de
ces ordinaires mouroirs où sont remisés les vieux en attendant
l’heure conclusive, leur complétude.
« Un
mort,
c’est
bien.
C’est
complet. Ça n’a pas de mémoire. C’est terminé. On n’est pas
complet quand on n’est pas mort. »
disait
Boris Vian, qui était un spécialiste de la norme. La chanson
finalement dit qu’une fois réduit en cendres, à sa demande,
Thomas Atkins – le dernier mort de la bande, à sa demande, fut
semé à l’endroit où étaient les restes des copains.
Eh
bien, conclut Lucien l’âne, « Poussière
dans
la poussière des copains », voilà
une fin finale qui finit bien. Maintenant, tissons le linceul de ce
vieux monde poussiéreux, longuet, tristounet, un brin macabre et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M. I. et Lucien Lane
Mil
neuf cent seize. Première guerre.
Première ?
On attendait la suivante ?
Ce
devait être la der des ders ;
La
plaisanterie n’est pas marrante.
Sur
l’écran morne de la visionneuse,
Le
cliché fané d’une jeunesse heureuse.
Alignés,
souriants comme au cinéma,
Ils
étaient là, trente soldats,
Les
trente, le
bataillon, le bataillon
Des
Vieux Copains de Blackbury,
Tous
ensemble,
tous
ensemble
pour la nation,
Dans
la Somme, ils sont partis.
Heureux
visages pleins de sourire,
Hilares
comme à la foire aux fous rires,
Les
oreilles en chou-fleur, les yeux de travers
Et
tous les pouces pointés en l’air.
La
Somme ? Un fleuve, des marais, une plaine,
Une
vallée,
une
jolie
campagne
de
France,
Des
tranchées, des monuments en pierre,
Un
gigantesque jardin de souffrances.
Et
les copains, bille en tête, s’en allèrent au front ;
À
la fête,
même uniforme, chantant
à l’unisson.
En
clan, ils s’étaient
engagés
pour le pays,
Tous
ensemble,
ils partirent
là
entre amis.
À
peine quatre semaines plus tard,
Quatre
semaines, sans
retard,
sans
rencart
Sauf
Thomas
Atkins,
tous les
gars,
Tous
ensemble
sont restés là-bas.
Atkins,
Thomas
Atkins, quasi-centenaire,
Le
seul survivant du
bataillon éphémère
À
la fin du siècle, finissait
lentement sa guerre
À
la Résidence
du Soleil, antichambre du cimetière.
Des
bricoles,
des médailles dans
une boîte en fer,
La
photo des Copains pouce
en l’air,
C’étaient
toutes
ses
affaires.
Il
est mort hier, dit l’infirmière.
Jamais,
personne
ne
venait
le voir.
Demain,
le
crématoire et le départ :
Retour
dans la Somme, semé
sur
le terrain,
Poussière
dans
la poussière des copains.